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Idylles prussiennes (1871)

Idylles prussiennes (1871)
Octobre 1870 -- Février 1871

4- La Besace

L'air est lourd et le soleil fauve.
Dis, que veux-tu, bon Allemand,
Pauvre vieillard au crâne chauve,
Pour t'en aller tranquillement?

Que faut-il mettre en ta besace?
-- Ames secourables, merci.
Mettez-y, s'il vous plaît, l'Alsace;
Mettez-y la Lorraine aussi.

Sur votre bonté souveraine
Pour l'amour de Dieu j'ai compté:
Dans mon sac avec la Lorraine
Mettez-moi la Franche-Comté!

Messieurs, à Dieu je recommande
Votre vendange et vos moissons!
Ma besace a la bouche grande,
Mettez-y, s'il vous plaît, Soissons.

Je vous bénis, que Dieu m'entende!
Et je ne réclame plus rien
(Ma besace a la bouche grande)
Sinon le mont Valérien!

-- Bon vieillard au crâne d'ivoire,
Dont les jours heureux sont passés,
Reste ici jusqu'à la nuit noire:
Tu ne demandes pas assez!

Pour apaiser ta faim qui raille,
Vieillard chauve, nous te donnons
Les éclats de notre mitraille
Et les boulets de nos canons,

Et le sang que ton coeur préfère,
Vieillard, et nous allons t'offrir
Les prodiges que peuvent faire
Tous ceux qui veulent bien mourir.

Nous t'offrons un festin sur l'herbe,
Où devant toi dans le ravin
Le sang généreux et superbe
Ruissellera comme du vin,

Où la Mort, ta fidèle amante,
Blanche sous le casque allemand,
Peut remplir sa coupe fumante
Et se soûler hideusement.

Oui, vous pourrez manger et boire
Et laver vous bras rafraîchis,
Toi, vieillard au crâne d'ivoire
Et ton amante aux os blanchis!

Devant les paroles railleuses,
Paris est lent à s'étonner:
Écoute un peu nos mitrailleuses,
Ce sont elles qui vont tonner.

Donc, mange à ta faim! Continue.
Les noirs corbeaux au bec durci
Qui volent en haut dans la nue
Prétendent qu'ils ont faim aussi!

Octobre 1870.

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