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Nous tous (1884)

Nous tous (1884)
décembre 1883 - mars 1884
LXXIX
80 - Anniversaire
-- 26 février --

O mon Maître! un nouveau printemps,
Avec ses souffles palpitants
Baise ta chevelure, insigne
Comme le cygne.

Tes deux enfants sont dans tes bras;
Et tout ce que tu célébras
Vient acclamer ta force élue
Et te salue.

Au loin, sous la rumeur du flot,
La mer te dit, dans un sanglot:
J'ai moins de colère et de rages
Que tes orages.

Le bois touffu te dit: J'ai moins
D'oiseaux, les cieux m'en sont témoins,
Que n'en accueille dans son ombre
Ta strophe sombre.

Le ciel, en son tragique effroi,
Dit: Ton esprit est, comme moi,
Plein de gouffres et de désastres,
Mais criblé d'astres.

Le glaive, au chaste éclair d'acier,
Te dit: Poëte et justicier,
Je suis effrayant, moi le glaive,
Moins que ton rêve.

Et la lyre, pleine de voix,
Que seul tu touches et tu vois,
Murmure: Je suis ta servante
Et je m'en vante.

Et les humbles et les petits,
Déchirés par leurs appétits,
Les groupes cent fois adorables
Des misérables;

Les femmes, si souvent en pleurs,
Que tout blesse, comme des fleurs;
Et les cohortes vagabondes,
Les têtes blondes;

Les enfants, dont tu sais les noms,
Te disent: Maître, nous venons
Louer la douceur infinie
De ton génie. --

O grand songeur plein de pitié,
Par qui le crime est châtié,
Terrasse la haine méchante:
Vis! Aime! Chante!

Marche, auguste, dans ton chemin,
Et contre tout glaive inhumain
Lève ta main pensive et calme
Qui tient la palme!

26 février 1884.

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