L'Atelier du peintre est une uvre
de Jean Désiré Gustave Courbet, artiste français né
à Ornans le 10 juin 1819 et mort le 31 décembre 1877 à
La Tour-de-Peilz, Suisse. Son titre complet est : LAtelier du peintre.
Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années
de ma vie artistique (et morale). Exécutée en 1855, elle est
actuellement exposée au musée d'Orsay, rez-de-chaussée,
section 7.
Refusée à lExposition
universelle de 1855, luvre est dévoilée au public
lors d'une exposition personnelle de lartiste, le Pavillon du Réalisme,
sous le numéro 1. Le tableau sera tout d'abord racheté par
sa veuve à la vente posthume Victor Desfossés, et servira
de toile de fond au théâtre amateur de l'Hôtel Desfossés
(6 rue Galilée à Paris). Elle est acquise en 1920 par le
musée du Louvre pour 700 000 francs, offerts en partie par l'association
les amis du Louvre, complétés par une souscription publique
et une contribution de lÉtat.
Analyse
de luvre
Description
générale
La scène se passe dans l'atelier de Courbet à Paris. Elle
est divisée en trois parties : au centre, lartiste, avec
derrière lui, un modèle nu. À sa droite, les élus,
les bons ; à sa gauche, ceux qui vivent de la mort et de la misère.
Le tableau se présente donc comme un jugement dernier. Contre la
cloison se trouve un mannequin figurant Saint Sébastien percé
de flèches, représentant lAcadémie. Courbet
en dit ceci dans une lettre qu'il adresse à son ami Champfleury
en janvier 1855 : « c'est l'histoire morale et physique de mon atelier,
première partie. Ce sont les gens qui me servent, me soutiennent
dans mon idée qui participent à mon action. Ce sont les
gens qui vivent de la vie, qui vivent de la mort. C'est la société
dans son haut, dans son bas, dans son milieu. En un mot c'est ma manière
de voir la société dans ses intérêts et ses
passions. C'est le monde qui vient se faire peindre chez moi. »
Iconographie
Avec l'Atelier du peintre, Courbet remet en cause la hiérarchie
des genres en livrant là une sorte de manifeste personnel, il élève
la scène de genre au rang de la peinture historique, dont il utilise
dailleurs le format. Courbet mêle dans ce tableau toutes les
catégories traditionnelles : le paysage, la scène de genre,
le nu, le portrait de groupe, la nature morte
La toile est, de fait,
une galerie de portraits, cest-à-dire une réunion
de figures connues, dallégories ou simplement de différentes
catégories sociales. Il cherche ainsi à donner à
tous ces genres leurs lettres de noblesse. Par les mots « allégorie
réelle », le peintre prévient son public que chacun
des personnages représente une idée en même temps
qu'un être de chair. Sous l'influence de Proudhon il se fait moralisateur
et c'est le monde qu'il entend juger. Le nu peut être perçu
comme une représentation allégorique de la peinture qu'il
admire et qui inspire lart de Courbet. Le sous-titre donne par ailleurs
la mesure du propos ambitieux et un peu énigmatique du peintre.
Courbet cherche en effet à faire une sorte de bilan de son uvre
à travers ce tableau. Le thème de la création artistique
nest pas inhabituel mais Courbet le renouvelle en se plaçant
au centre, en se positionnant en tant quacteur principal. Il revendique
ainsi son statut dartiste.
Composition
Courbet commente ainsi le tableau dans une lettre : « Le tableau
est divisé en deux parties. Je suis au milieu, peignant ».
Très peu de peintres se sont, jusque là, représentés
au centre de leurs uvres. Ses élus et réprouvés
sont comme départagés par une « religion nouvelle
», celle de lartiste ou de lart, « religion »
commune aux socialistes utopiques, aux romantiques, ainsi quà
Proudhon, ami et confident du peintre. Courbet se définissait lui-même
comme un républicain « de naissance ».
Partie centrale
Au centre, le peintre, son modèle et les souvenirs épars
de son passé. Sur le chevalet figure un paysage de Franche-Comté,
plus précisément un paysage dOrnans que Courbet est
en train de peindre, il priviligie ses origines, son milieu, son paysage
natal. L'artiste est assis sur une chaise, de profil. Il porte un pantalon
à carreaux et un veston à col rayé. Courbet, dans
cette composition joue donc le rôle de médiateur, de régulateur.
À ses pieds se trouve un chat blanc. Devant la toile, un petit
berger comtois, pieds nus dans ses sabots, avec les cheveux en bataille,
regarde la toile. Il est le symbole de l'innocence et de la vie. À
droite du peintre se trouve une femme nue, son modèle qui regarde
le peintre travailler ; elle est de profil et est coiffée dun
chignon ; elle retient avec ses deux mains une grande draperie qui traîne
sur le sol ; ses habits sont jetés négligemment sur un tabouret.
Gauche
Selon Courbet, il y a, « à gauche, l'autre monde de la vie
triviale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse,
les exploités, les exploiteurs, les gens qui vivent de la mort
» : un braconnier, qui représente la chasse est assis au
centre et ressemble étrangement à Napoléon III. Son
chien regarde un sombrero et un poignard qui symbolisent la poésie
romantique. Une tête de mort sur un journal représente la
presse. En face, une irlandaise allaitant un enfant, allusion à
la Grande Famine de 1845 en Irlande, ou plus simplement à la misère
en général. Devant, un rabbin représente la religion
hébraïque et un second Juif, le commerce. Ce dernier offre
une étole à un bourgeois, portant un haut-de-forme, assis.
Ce bourgeois serait peut-être le grand-père de Courbet ou,
selon Hélène Toussaint, le banquier et ministre des finances
Achille Fould rapportant dans sa cassette l'argent nécessaire au
coup d'État. Le marchand dhabits serait Persigny, ministre
de lIntérieur de Napoléon III. Parmi les autres symboles
et figures allégoriques de ce côté de l'uvre,
on peut aussi remarquer une paillasse à bicorne pour le théâtre
et un prêtre pour la religion catholique (il pourait s'agir de Louis
Veuillot, journaliste ultra catholique et directeur de LUnivers).
Dans le fond, toujours à gauche, on trouve un faucheur et un terrassier
symbolisant la vie des champs ou peut-être des nations en lutte
pour leur indépendance (Italie, Hongrie, Pologne), un croque-mort
(Émile de Girardin, fondateur de journaux populaires, tenu pour
« fossoyeur de la République » pour avoir soutenu Louis
Napoléon Bonaparte en 1851), un ouvrier désuvré,
pour le chômage, un républicain de 1793 (Lazare Carnot) et
enfin une fille publique (nue) pour la débauche.
Droite
Toujours selon Courbet, on trouve « à droite tous les actionnaires,
c'est-à-dire les amis, les travailleurs, les amateurs du monde
de l'art. », en tout douze personnages, les amis « élus
» du peintre : Au premier plan, Charles Baudelaire, lisant assis
sur une table ; il symbolise la poésie. À ses côtés
un couple bourgeaois visitant latelier, ce sont donc des amateurs
mondains. Certains y reconnaissent le couple Sabatier, collectionneurs
montpelliérains et fouriéristes militants. À leurs
pieds, leur enfant qui lit, cest lenfance studieuse. Au milieu
du groupe un couple s'embrasse pour figurer lamour libre. Champfleury,
l'ami du peintre, se trouve sur un tabouret et représente la prose,
son domaine artistique. Dans le fond, Proudhon, avec ses fines lunettes,
pour la philosophie sociale, Promayet pour la musique, Max Buchon pour
la poésie réaliste, Urbain Cuenot, un ami intime de Courbet,
et enfin, Alfred Bruyas (le mécène de Montpellier).
Dessin
Courbet a une très bonne connaissance de lart espagnol ce
qui se ressent dans latelier ; en effet il sinspirait souvent
de Ribera et de Zurbaran. Courbet a eu recours à la photographie
pour son modèle. Chaque personnage est unique avec une expression
du visage qui lui est propre.
Couleurs
Les tons dominants sont les couleurs ocres, or et marron.
Lumière
La lumière vient de droite par une fenêtre : elle éclaire
donc les « bons » et le dos du modèle ; cette lumière
est assez diffuse et prend une coloration jaune. Le tableau reste cependant
assez sombre, cela vient sûrement du fait que Courbet avait lhabitude
de peindre au préalable ses toiles en noir pour revenir petit à
petit vers les tons clairs. Le tableau au centre, Courbet, son modèle
et l'enfant sont mieux éclairés et ressortent de la toile.
Facture
Gustave Courbet peint avec de la matière, au couteau, de façon
emportée - on voit les coups de pinceau ; il méprise le
« fini ». Il aime mieux paraître gauche ou négligent,
se voir reprocher ses erreurs de perspective et d'anatomie, la raideur
et l'âpreté de ses figures, que de s'en remettre à
des formules.
Dans
la carrière de lartiste
LAtelier est perçu comme une uvre majeure et caractéristique
de Courbet. Lannée 1855 et plus particulièrement ce
tableau marquent son bilan personnel. Cest une époque où
Courbet tente de prendre ses distances avec la peinture. Il faut ajouter
que son tableau, La rencontre, est pour sa part accepté à
lexposition universelle de la même année.
LAtelier de Courbet a donc une
forte valeur emblématique, cest une uvre moderne et
révolutionnaire, dans le sens où il élève
son histoire au rang de peinture dhistoire, ainsi que ses idées
et connaissances.
Ce tableau, assez décrié
en 1855, est aujourdhui considéré un grand modèle
artistique, représentant non seulement luvre de Courbet
mais aussi un mouvement artistique à part entière, le Réalisme.
Il y a aussi le désir et le pouvoir de protéger la forme
et la couleur des choses contre la déchéance, ce qui valut
à Courbet d'être classé comme réaliste. Les
interprétations de ce tableau restent multiples on peut compter
trois niveaux de lecture: le tableau de genre avec le portrait de groupe,
le paysage et le nu ; les personnifications et les allégories.
Dans lhistoire de lart
Les critiques de lépoque ont qualifié luvre
de « vulgaire ». On connaît à ce sujet lopinion
de Eugène Delacroix : « je vais voir lexposition de
Courbet quil a réduite à 10 sous. Jy reste seul
pendant près dune heure et jy découvre un chef-duvre
dans son tableau refusé ; je ne pouvais marracher à
cette vue. On a rejeté là un des ouvrages les plus singuliers
de ce temps mais ce nest pas un gaillard à se décourager
pour si peu. » Henner, lui, en dit alors : « Voilà
un fond que Velázquez naurait pas mieux peint. Et cette figure
nue, avec quel talent, quel goût elle est faite. »
Champfleury
disait que, devant Courbet, « la femme apparaît avec plus
de franchise qu'elle ne s'en accorde à elle-même devant son
miroir. » Contrairement à L'après-dîner à
Ornans, au Retour des paysans de la foire de Flagey ou bien aux Casseurs
de pierre, qui sont des scènes de genre et des peintures de petit
format, l'Atelier est un grand format mêlant tous les genres que
Courbet a pu peindre. Ce n'est pas une peinture qui a un rapport avec
sa région et Ornans plus précisément.
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