Paul Verlaine

1844 / 1896

Croquis Parisien

Cauchemard

Croquis parisien


La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

Le ciel était gris. La bise pleurait
Ainsi qu'un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d'étrange et grêle façon.

Moi, j'allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l'oeil clignotant des bleus bec de gaz.

Cauchemar

J'ai vu passer dans mon rêve
-Tel l'ouragan sur la grève,-
D'une main tenant un glaive
Et de l'autre un sablier,
Ce cavalier

Des ballades d'Allemagne
Qu'à travers ville et campagne,
Et du fleuve à la montagne,
Et des forêts au vallon,
Un étalon

Rouge-flamme et noir d'ébène,
Sans bride, ni mors, ni rêne,
Ni hop! ni cravache, entraîne
Parmi des râlements sourds
Toujours! Toujours!

Un grand feutre à longue plume
Ombrait son oeil qui s'allume
Et s'éteint. Tel, dans la brume,
Eclate et meurt l'éclair bleu
D'une arme à feu.

Comme l'aile d'une orfraie
Qu'un subit orage effraie,
Par l'air que la neige raie,
Son manteau se soulevant
Claquait au vent,

Et montrait d'un air de gloire
Un torse d'ombre et d'ivoire,
Tanids que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents
Trente-deux dents.