LES
FÊTES GALANTES
En février 1869,
quand Verlaine publie les 22 pièces qui composent Les Fêtes
galantes, l'idée de se laisser inspirer par Fragonard, Boucher,
Watteau et, plus généralement, par les plaisirs qu'on
associe au monde de Louis XV n'est pas du tout neuve. De fait, Hugo,
Gautier et Banville avaient déjà, tout au long des années
cinquante et soixante du XIXe siècle, favorisé un regain
d'intérêt pour une société et des artistes
longtemps jugés artificiels et superficiels. Dans La Gazette
rimée et L'Artiste, deux revues où Verlaine fait paraître
en 1867 et 1868 quelques-uns des poèmes qu'il réunira
bientôt en recueil, la mode de Watteau et des personnages de la
Commedia dell'arte avait déjà été lancée,
et cela bien avant que le poète des Romances sans paroles n'y
cède à son tour.
Dans l'ensemble, les fêtes
auxquelles nous convie Verlaine mettent en valeur le plaisir dans ce
qu'il a de plus sensuel: des pièces comme Sur l'herbe ou En bateau
où les messieurs n'attendent que la noirceur pour se laisser
aller à leurs désirs le montrent bien, de même que
les rêveries érotiques de L'Allée ou ces promesses
que pressentent les Ingénus. La mélancolie n'a pas ici
la lourdeur qu'elle prendra chez les Romantiques, et quand on parle
de mort, comme dans les Indolents, il s'agit d'habitude de la petite
mort qui suit la jouissance. Cependant, la fantaisie qui domine l'ensemble
du recueil prend nettement l'allure, dans les pièces qui ferment
Les Fêtes galantes, d'une tristesse de plus en plus désespérée.
En ce sens, le chant du rossignol qui termine En sourdine relève
d'une sensibilité et d'une esthétique (car, ici, la douleur
est à la fois poignante et belle) fort différentes de
ce qu'on retrouvait plus tôt dans le recueil.
Le style de Verlaine est,
dans Les Fêtes galantes, beaucoup plus souple que dans Les Poèmes
saturniens. Les vers sont parfois très brefs (cf. Colombine,
À Clymène), la langue orale domine des poèmes comme
Sur L'herbe ou Les Indolents et, surtout, de nombreuses tournures familières
(Verlaine parle de culotte, de vertigo et emploie l'expression se pendant)
et quelques archaïsmes (faquins, céans, pensers) donnent
une allure vive au recueil, vivacité particulièrement
bien adaptée au sujet. Davantage encore que dans Les Poèmes
saturniens, Verlaine se révèle ici un artiste qui maîtrise
parfaitement bien son outil, la langue française.
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