Paul Verlaine

1844 / 1896

La dure epreuve va finir:
Va, chanson, a tire-d'aile
Hier, on parlait de choses et d'autres,

La dure épreuve va finir:
Mon cœur, souris à l'avenir.


Ils sont passés les jours d'alarmes
Où j'étais triste jusqu'aux larmes.

Ne suppute plus les instants,
Mon âme, encore un peu de temps.

J'ai tu les paroles amères
Et banni les sombres chimères.

Mes yeux exilés de la voir
De par un douloureux devoir,

Moi, oreille avide d'entendre
Les notes d'or de sa voix tendre,

Tout mon être et tout mon amour
Acclament le bienheureux jour

Où, seul rêve et seule pensée,
Me reviendra la fiancée !


Va, chanson, à tire-d'aile
Au-devant d'elle, et dis lui
Bien que dans mon cœur fidèle
Un rayon joyeux a lui,

Dissipant, lumière sainte,
Les ténèbres de l'amour
Méfiance, doute, crainte,
Et que voici le grand jour !

Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous ? la gaîté,
Comme une vive alouette
Dans le ciel clair a chanté.

Va donc, chanson ingénue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revient enfin.

Hier, on parlait de choses et d'autres,
Et mes yeux allaient recherchant les vôtres ;
Et votre regard recherchait le mien
Tandis que courait toujours l'entretien.

Sous le sens banal des phrases pesées
Mon amour errait après vos pensées ;

Et quand vous parliez, à dessein distrait,
Je prêtais l'oreille à votre secret :

Car la voix, ainsi que les yeux de Celle
Qui vous fait joyeux et triste, décèle,

Malgré tout effort morose et rieur,
Et met au plein jour l'être intérieur.

Or, hier je suis parti plein d'ivresse :
Est ce un espoir vain que mon cœur caresse,

Un vain espoir, faux et doux compagnon ?
Oh ! non ! n'est-ce pas ? n'est-ce pas que non ?