Auguste Rodin

1840 ~ 1917

Dessinateur

Un Dessin de sculpteur

Claudie Judrin Six études de danseuses cambodgiennes
juillet 1906
mine de plomb, aquarelle et gouache sur papier
27,1 x 21,1 cm
D.5076

Un sculpteur ne dessine pas comme un peintre. L'un construit, l'autre enveloppe, par une ligne tel Laurens ou par des hachures, tel Michel-Ange, par une technique sèche tel Csaky ou fondue, tel Maillol ; néanmoins quel que soit son trait, le sculpteur recherche volontiers l'espace ou le volume. Rodin ne manque pas à la règle bien qu'il déconcerte parfois le public. Habitué à un dessin de peintre, le spectateur s'attend à rencontrer une étude préliminaire à une oeuvre, donc à une sculpture. La nature hybride des grands créateurs ne peut obéir à une telle facilité ; Rodin dessine en sculpteur mais pas pour sa sculpture.

La Beauté
1887-1888
mine de plomb, plume et encre brune sur page 47 de Charles Baudelaire,
les Fleurs du Mal, Paris,
Poulet-Malassis et de Broise, 1857
D.7174

Si l'on met de côté un temps où l'homme n'est pas encore lui-même, on arrive à ses dessins noirs romantiques, inspirés de Dante ou de Baudelaire mais revus par une imagination puissante. La mine de plomb, soulignée de plume est alors enrichie de lavis d'encre brune, parfois violette, ponctuée d'éclats de gouache. Le terme de reprise s'applique aussi à sa démarche car il découpe un nombre infini de dessins, les colle sur une feuille, les retravaille et les fixe à nouveau sur un troisième support. Comment interpréter ces repentirs et ces successions de couches de papiers sinon par un regard de sculpteur? Et que dire de certaines silhouettes de damnés découpées et placées sur la feuille pour être jetées dans l'espace? Il est vrai qu'un œil rapide passe à côté de cette cuisine d'artiste que Rodin ne divulguera qu'en 1897 dans un album, confié à la maison Goupil, dont la préface fut rédigée par son ami Octave Mirbeau, qui ne soufflera mot de telles pratiques mais qui en relèvera l'aspect intime. Ce que l'on prenait alors pour un brouillon et ce que Rodin lui-même considérait comme une recherche qu'il acceptait cependant de publier comme telle, est aujourd'hui remis à sa juste place, à une époque où l'on est friand avant tout de nouveauté. On peut aujourd'hui comprendre les audaces puisque le scandale a acquis ses lettres de noblesse. Ce dessin dramatique de la fin du dix-neuvième siècle sera-t-il mieux apprécié en cette fin de vingtième? Il est depuis longtemps estimé par l'âme torturée ne nos voisins d'outre-Rhin.

Le Cercle des amours
vers 1880
mine de plomb, plume, lavis d'encre brune et gouache sur papier
19,5 x 15,1 cm
D.7756

Au même moment et jusqu'à sa mort, Rodin est fasciné par l'architecture. Les cathédrales de France vont l'attirer dès que les commandes officielles lui laissent des temps de répit, et dès que la Porte de l'Enfer entre dans son œuvre pour ne plus le lâcher. Sans trêve il sillonne les routes de son pays, de la Touraine à l'Aveyron, de la Bretagne à la Bourgogne. Les carnets se couvrent de consoles, de pilastres, de moulures d'églises car si Rodin, en septembre 1914, est persuadé d'être un des derniers à avoir étudié nos chefs-d'oeuvre romans ou gothiques et qu'il écrit à Romain Rolland qu'on dira la chute de Reims comme on dit la chute de Constantinople alors que paraissent ses illustrations sur les Cathédrales de France, il rend hommage toute sa vie aux monuments les plus modestes de nos provinces. Un crayon à la main et inlassablement, le sculpteur perce le mystère de l'ombre et de la lumière sur la pierre et il note sans cesse les mots : "noir", "blond", selon que la clarté pénètre plus ou moins le creux d'une moulure. C'est toujours le sculpteur qui dessine en cherchant la bosse, la saillie, le ressaut. Ayant du mal, contrairement à un Bourdelle, à faire œuvre d'architecte, il veut découvrir le secret des bâtisseurs anonymes du Moyen Age et de la Renaissance.
Ce goût des Anciens l'accompagne toute sa vie alors que son dessin se met à changer dans les années 1890, qu'il devient incompréhensible à son entourage à mesure qu'il se fait plus moderne. Le corps humain toujours à l'honneur comme chez la plupart des sculpteurs était alors presque asexué jusqu'à ce que peu à peu la femme commence à devenir l'unique modèle. Son dessin prend de l'assurance, de l'ampleur, de la lumière, de la sérénité. Par le crayon, Rodin sort de son Enfer. C'est une révolution de son regard qui observe et qui s'apaise devant la Nature qu'il pénètre désormais avec une opiniâtreté tranquille de voyeur.

Palais de justice de Dijon
plume et lavis brun sur papier
18,7 x 14,7 cm
D.5891

Il refait ses gammes dans un souci comparable à celui de Renoir qui se croit soudain dans une impasse tant qu'il ne retourne pas au trait d'Ingres. Aucune pose ne le rebute et la femme est dans tous ses états sur la feuille blanche. Il ne s'agit pas de parfaire un visage, une main ou un pied, seuls comptent le mouvement, l'attitude, le geste. Le public ne suit plus et crie à l'inachevé. Au lieu de se perdre dans une analyse du détail, Rodin guette le tout, l'expressif à la manière des Japonais dont il a vu les estampes chez Goncourt. Sa mine de plomb, souvent d'un seul jet, s'accompagne de l'estompe qui modèle les formes d'un coup de pouce ou de l'aquarelle gouachée qui vient en deçà ou au delà du trait afin de mieux faire sortir le corps d'une feuille en deux dimensions, qu'un sculpteur voit en trois dimensions. C'est uniquement par la magie du volume que la femme est assise, allongée car jamais peut-on dire n'apparaissent une chaise ou un lit. L'illusion de l'espace est parfaite et l'œil n'est pas distrait par l'accessoire. Notre temps va s'engouffrer dans cette porte là. Rodin découpera de nouveau ses silhouettes de femmes afin de donner le sentiment du relief mais c'est presque superflu tant il est rare de rencontrer une main si aérienne chez un modeleur. Un peintre appuie pour exprimer, un sculpteur contourne.

Puissent ses dessins donner une idée juste d'un dessin de sculpteur qui en fit près d'un dizaine de milliers. Ne boudons pas notre plaisir mais sachons lire derrière la ligne. Rodin le symboliste nous prend par la main.

Destinés à l’obscurité d’un carton, en raison de leur fragilité, les quelque sept mille dessins du musée Rodin sont présentés au public, par roulement, tous les trois mois, dans une petite salle qui leur est consacrée, au rez-de-chaussée de l’hôtel Biron. La lumière, grande ennemie des œuvres sur papier, y est d’une faible intensité conformément aux règles internationales de conservation.

Femme nue dans le mouvement de ses voiles
vers 1890 ?
mine de plomb, plume, encres, aquarelle et gouache sur papier
17,5 x 11 cm
D.4309

Portrait de Séverine
vers 1893
fusain sur papier
32 x 24,7 cm
D.5644

La Tempête ou la Vague
vers 1900?
mine de plomb et aquarelle sur papier
32,6 x 23,6 cm
D.4186

Femme nue debout contre une femme nue de profil aux mains jointes
mine de plomb et aquarelle sur papiers découpés
32,4 x 22,5 cm
D.4146-5228