Un Dessin
de sculpteur
Claudie
Judrin Six études de danseuses cambodgiennes
juillet 1906
mine de plomb, aquarelle et gouache sur papier
27,1 x 21,1 cm
D.5076
Un sculpteur ne dessine
pas comme un peintre. L'un construit, l'autre enveloppe, par une ligne
tel Laurens ou par des hachures, tel Michel-Ange, par une technique
sèche tel Csaky ou fondue, tel Maillol ; néanmoins quel
que soit son trait, le sculpteur recherche volontiers l'espace ou
le volume. Rodin ne manque pas à la règle bien qu'il
déconcerte parfois le public. Habitué à un dessin
de peintre, le spectateur s'attend à rencontrer une étude
préliminaire à une oeuvre, donc à une sculpture.
La nature hybride des grands créateurs ne peut obéir
à une telle facilité ; Rodin dessine en sculpteur mais
pas pour sa sculpture.
La
Beauté
1887-1888
mine de plomb, plume et encre brune sur page 47 de Charles Baudelaire,
les Fleurs du Mal, Paris,
Poulet-Malassis et de Broise, 1857
D.7174
Si
l'on met de côté un temps où l'homme n'est pas
encore lui-même, on arrive à ses dessins noirs romantiques,
inspirés de Dante ou de Baudelaire mais revus par une imagination
puissante. La mine de plomb, soulignée de plume est alors enrichie
de lavis d'encre brune, parfois violette, ponctuée d'éclats
de gouache. Le terme de reprise s'applique aussi à sa démarche
car il découpe un nombre infini de dessins, les colle sur une
feuille, les retravaille et les fixe à nouveau sur un troisième
support. Comment interpréter ces repentirs et ces successions
de couches de papiers sinon par un regard de sculpteur? Et que dire
de certaines silhouettes de damnés découpées
et placées sur la feuille pour être jetées dans
l'espace? Il est vrai qu'un il rapide passe à côté
de cette cuisine d'artiste que Rodin ne divulguera qu'en 1897 dans
un album, confié à la maison Goupil, dont la préface
fut rédigée par son ami Octave Mirbeau, qui ne soufflera
mot de telles pratiques mais qui en relèvera l'aspect intime.
Ce que l'on prenait alors pour un brouillon et ce que Rodin lui-même
considérait comme une recherche qu'il acceptait cependant de
publier comme telle, est aujourd'hui remis à sa juste place,
à une époque où l'on est friand avant tout de
nouveauté. On peut aujourd'hui comprendre les audaces puisque
le scandale a acquis ses lettres de noblesse. Ce dessin dramatique
de la fin du dix-neuvième siècle sera-t-il mieux apprécié
en cette fin de vingtième? Il est depuis longtemps estimé
par l'âme torturée ne nos voisins d'outre-Rhin.
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Le
Cercle des amours
vers 1880
mine de plomb, plume, lavis d'encre brune et gouache sur papier
19,5 x 15,1 cm
D.7756
Au même moment
et jusqu'à sa mort, Rodin est fasciné par l'architecture.
Les cathédrales de France vont l'attirer dès que les
commandes officielles lui laissent des temps de répit, et dès
que la Porte de l'Enfer entre dans son uvre pour ne plus le
lâcher. Sans trêve il sillonne les routes de son pays,
de la Touraine à l'Aveyron, de la Bretagne à la Bourgogne.
Les carnets se couvrent de consoles, de pilastres, de moulures d'églises
car si Rodin, en septembre 1914, est persuadé d'être
un des derniers à avoir étudié nos chefs-d'oeuvre
romans ou gothiques et qu'il écrit à Romain Rolland
qu'on dira la chute de Reims comme on dit la chute de Constantinople
alors que paraissent ses illustrations sur les Cathédrales
de France, il rend hommage toute sa vie aux monuments les plus modestes
de nos provinces. Un crayon à la main et inlassablement, le
sculpteur perce le mystère de l'ombre et de la lumière
sur la pierre et il note sans cesse les mots : "noir", "blond",
selon que la clarté pénètre plus ou moins le
creux d'une moulure. C'est toujours le sculpteur qui dessine en cherchant
la bosse, la saillie, le ressaut. Ayant du mal, contrairement à
un Bourdelle, à faire uvre d'architecte, il veut découvrir
le secret des bâtisseurs anonymes du Moyen Age et de la Renaissance.
Ce goût des Anciens
l'accompagne toute sa vie alors que son dessin se met à changer
dans les années 1890, qu'il devient incompréhensible
à son entourage à mesure qu'il se fait plus moderne.
Le corps humain toujours à l'honneur comme chez la plupart
des sculpteurs était alors presque asexué jusqu'à
ce que peu à peu la femme commence à devenir l'unique
modèle. Son dessin prend de l'assurance, de l'ampleur, de la
lumière, de la sérénité. Par le crayon,
Rodin sort de son Enfer. C'est une révolution de son regard
qui observe et qui s'apaise devant la Nature qu'il pénètre
désormais avec une opiniâtreté tranquille de voyeur.
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Palais de justice de Dijon
plume et lavis brun sur papier
18,7 x 14,7 cm
D.5891
Il
refait ses gammes dans un souci comparable à celui de Renoir
qui se croit soudain dans une impasse tant qu'il ne retourne pas au
trait d'Ingres. Aucune pose ne le rebute et la femme est dans tous
ses états sur la feuille blanche. Il ne s'agit pas de parfaire
un visage, une main ou un pied, seuls comptent le mouvement, l'attitude,
le geste. Le public ne suit plus et crie à l'inachevé.
Au lieu de se perdre dans une analyse du détail, Rodin guette
le tout, l'expressif à la manière des Japonais dont
il a vu les estampes chez Goncourt. Sa mine de plomb, souvent d'un
seul jet, s'accompagne de l'estompe qui modèle les formes d'un
coup de pouce ou de l'aquarelle gouachée qui vient en deçà
ou au delà du trait afin de mieux faire sortir le corps d'une
feuille en deux dimensions, qu'un sculpteur voit en trois dimensions.
C'est uniquement par la magie du volume que la femme est assise, allongée
car jamais peut-on dire n'apparaissent une chaise ou un lit. L'illusion
de l'espace est parfaite et l'il n'est pas distrait par l'accessoire.
Notre temps va s'engouffrer dans cette porte là. Rodin découpera
de nouveau ses silhouettes de femmes afin de donner le sentiment du
relief mais c'est presque superflu tant il est rare de rencontrer
une main si aérienne chez un modeleur. Un peintre appuie pour
exprimer, un sculpteur contourne.
Puissent
ses dessins donner une idée juste d'un dessin de sculpteur
qui en fit près d'un dizaine de milliers. Ne boudons pas notre
plaisir mais sachons lire derrière la ligne. Rodin le symboliste
nous prend par la main.
Destinés
à lobscurité dun carton, en raison de leur
fragilité, les quelque sept mille dessins du musée Rodin
sont présentés au public, par roulement, tous les trois
mois, dans une petite salle qui leur est consacrée, au rez-de-chaussée
de lhôtel Biron. La lumière, grande ennemie des
uvres sur papier, y est dune faible intensité conformément
aux règles internationales de conservation.
Femme
nue dans le mouvement de ses voiles
vers 1890 ?
mine de plomb, plume, encres, aquarelle et gouache sur papier
17,5 x 11 cm
D.4309
Portrait
de Séverine
vers 1893
fusain sur papier
32 x 24,7 cm
D.5644
La
Tempête ou la Vague
vers 1900?
mine de plomb et aquarelle sur papier
32,6 x 23,6 cm
D.4186
Femme
nue debout contre une femme nue de profil aux mains jointes
mine de plomb et aquarelle sur papiers découpés
32,4 x 22,5 cm
D.4146-5228