Le
Monument
à
Balzac Le Monument à Balzac
1898
bronze
270 x 120 x 128 cm
S.1296
Photo : J. Manoukian
Avec ce grand projet de
la maturité de Rodin il n'est plus question de décrire
ou de raconter, mais plutôt de faire pénétrer
le spectateur au plus profond des personnages concernés. "J'ai
compris, disait Rodin à Gsell, (qu'il fallait) autour du personnage
représenté faire entrevoir le milieu où il vit
et faire imaginer comme un halo d'idées qui expliquent ce personnage.
L'art ainsi se prolonge en mystérieuses ondes" (Paul Gsell,
"Le musée Rodin à Meudon, La Renaissance de l'Art
français et des Industries de luxe, août 1923).
"Vous avez observé,
lui déclara à son tour Gsell, que dans l'ère
où nous entrons, rien n'a autant d'importance pour nous que
nos propres sentiments, notre propre personne intime (...) Et cette
disposition qui chez nous était presque inconsciente, vous
nous l'avez révélée à nous même"
(Rodin, L'Art. Entretiens avec Paul Gsell, 1911). C'est en effet sur
la "personne intime" que se penche Rodin, et il cherche
à en révéler la profondeur et la richesse plutôt
que de rappeler les circonstances extérieures d'une existence.
Pour le Monument à Balzac que lui commanda en 1891 la Société
des gens de lettres sous l'impulsion d'Emile Zola, son président,
il partit sagement de portraits contemporains du romancier ; il s'interrogea
sur la stature de Balzac, sur sa physionomie, sur ses vêtements
(la célèbre robe de chambre), mais il n'en garda que
ce qui pouvait servir son but (la corpulence de Balzac, la robe de
moine qu'il revêtait pour travailler), et il réalisa
une figure qui est à la fois une allégorie de la puissance
de création du romancier et un portrait plus encore moral que
physique de celui-ci. "C'était la création elle-même
qui se servait de la forme de Balzac pour apparaître ; l'orgueil
de la création, sa fierté, son vertige et son ivresse"
(R. M. Rilke, Auguste Rodin, 1928).
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Anon.
Trois études de têtes de Balzac
papier albuminé
9,5 x 15,1cm
Ph. 1213
L'image
hardie qui en résulta, "moins une statue qu'une sorte
d'étrange monolithe, un menhir millénaire, un de ces
rochers où le caprice des explosions volcaniques de la préhistoire
figea par hasard un visage humain" (Georges Rodenbach, L'Elite,
1899), déchaîna l'opinion au Salon de 1898. "Jamais
on n'a eu l'idée d'extraire ainsi la cervelle d'un homme et
de la lui appliquer sur la figure", écrivait Rochefort
dans L'Intransigeant (1er mai 1898). La lutte entre partisans et adversaires
du Balzac fut d'autant plus violente que l'on était en pleine
affaire Dreyfus et que Zola qui soutenait Rodin venait avec "J'accuse"
(L'Aurore, 13 janvier 1898) de prendre la tête du parti dreyfusard.
La Société des gens de lettres, effrayée, refusa
donc la statue et fit exécuter par Alexandre Falguière
une effigie sans grandeur dont la banalité suscita l'ironie
du public : Falguière ayant "emprunté (à
Rodin) le cou puissant, la carrure, la draperie, la chevelure, le
menton, les prunelles de son Balzac (...) toute l'opération
consista à asseoir le personnage ainsi amenuisé sur
un banc de square" (Charles Chincholle, dans La Petite République,
15 novembre 1898).
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Edward
Steichen
The open sky, 11p.m.
1908
25,2 x 22 cm
Ph. 235
Quant
au grand plâtre de Rodin, il fut transporté à
Meudon, et c'est alors que Steichen en exécuta de sublimes
photographies nocturnes. Inquiet du bruit qui avait été
fait autour de son oeuvre, Rodin avait en effet refusé qu'une
souscription fût ouverte pour la faire fondre en bronze, et
il allait falloir attendre quarante ans pour que son Balzac prenne
place, le 2 juillet 1939, au carrefour Raspail-Montparnasse. Cependant,
le musée Rodin en avait fait réaliser un deuxième
exemplaire que le conservateur, Georges Grappe, avait l'intention
de placer à Meudon, sur l'éperon qui domine la vallée,
devant le Musée. Mais la guerre empêcha la réalisation
de ce projet, et c'est à Paris, que fut installé le
bronze tandis qu'à Meudon est présenté l'admirable
série des études pour le monument.
Après cet échec,
et à l'exception de celui de Sarmiento (Buenos-Aires, 1894-1900),
Rodin ne mena plus aucun monument à son terme, non pas faute
de commandes (Monuments à Puvis de Chavannes et à Whistler
commandés en 1899 et en 1905, laissés inachevés)
ni par manque d'inspiration, mais parce que "je réfléchis
plus, confia-t-il à Dujardin-Beaumetz à la fin de sa
vie ; ma volonté est plus forte. C'est pour cela que je travaille
plus lentement. Il n'est du reste pas dans ma nature de me presser"
(Entretiens avec Rodin, 1913).