Le marquis De Sade

1740 - 1814

Sade, un athé?

Une jolie fille ne doit s'occuper que de foutre et jamais d'engendrer.
[Marquis de Sade]
La philosophie dans le boudoir

Sade, un athé?

Rien n'est jamais moins clair que ce qui semble évident, surtout pour l'esprit tortueux et contradictoire du marquis de Sade. Il s'est toujours targué d'être athé, allant encore plus loin que Voltaire qui ne rejetait que les institutions religieuses. Néanmoins, de par ses actes, de par sa prise de position toujours à l'opposé de celle de l'Eglise, on est en droit de se demander si Sade ne serait pas plutôt un ennemi de Dieu qu'un simple athé. En effet Sade dans ses écrits, mais aussi dans sa vie, a bouleversé les codes non pas seulement pour la jouissance de les violer mais aussi pour prouver l'inexistence de Dieu. Si les protagonistes se délectent de l'inceste, qu'ils entretiennent les mêmes relations avec leurs filles qu'avec leurs femmes, le but sous jacent de Sade n'est autre de montrer qu'il ne saurait y avoir de sens, et donc de Dieu. Or la férocité du Marquis correspond mal à l'indifférence que l'on attend d'un athé vis-à-vis du divin. C'est donc cette haine de toute idée d'un Dieu chrétien qui peut faire douter de l'athéisme de Sade, car en haïssant ne reconnaît on pas l'entité que l'on veut détruire?

Pourtant Sade n'était pas le premier sadique bien que le terme vienne de son nom. On retrouve des traces de sadisme dans toutes les cultures, qu'il soit toléré ou non, et on peut citer l'empereur Néron comme le précurseur le plus connu de cette pratique. Néanmoins la première grande figure connue qui se rapproche réellement du sadisme est relativement récente puisqu'elle date du 17ème siècle : la comptesse hongroise Erzsébet (Elisabeth) Bathory. Si l'on peut parler de véritable sadisme dans son cas, c'est que contrairement aux barbares de l'Antiquité, ses actes sanguinaires avaient aussi une portée et une intention déicides qui manquaient aux précédents. Rappelons qu'Elizabeth Bathory fut emprisonnée dans son château de Csejthe pendant 4 ans, de 1610 jusqu'à sa mort en 1614, pour avoir torturé et causé la mort d'au moins soixante jeunes filles (celles dont les corps ont été retrouvés). Elizabeth Bathory fut la première inspiratrice du mythe du vampire moderne : le mélange de sexualité et de barbarie, et plus encore la recherche de l'éternité à travers la luxure, l'élément qui nous intéresse ici. En effet aussi bien Sade que la comptesse de Bathory recherchent l'éternité là où justement Dieu l'interdit : dans la chair, dans le plaisir éphémère. Cette recherche obsède la comptesse de Bathory qui se baigne dans le sang de ses servantes, persuadée qu'il aura l'effet d'une cure de jouvence. Sade est lui aussi préoccupé par l'éternité sans qu'il l'avoue directement, pour preuve cette citation de L'histoire de Juliette : « Un libertin décidé à cette sorte d'action peut aisément, dans le cours d'une année, corrompre trois cents enfants ; au bout de trente ans, il en aura corrompu neuf mille ; et si chaque enfant corrompu par lui l'imite seulement dans le quart de ses corruptions, ce qui est plus que vraisemblable, et que chaque génération ait agi de même, au bout de ses trente ans, le libertin, qui aura vu naître sous lui deux âges de cette corruption, aura déjà près de neuf millions d'êtres corrompus, ou par lui ou par les principes qu'il aura donnés. » Son oeuvre étant vouée à la destruction, il ne pourra laisser de trace et les plaies qu'il aura laissées finiront par se refermer. C'est donc grâce à la corruption qui lui assure de transmettre la destruction aux générations suivantes qu'il trouve un exutoire à son désir d'éternité et à sa peur de disparaître.

Il n'est donc pas infondé de donner une dimension sataniste à Sade, même si ce dernier ne vénérait en aucun cas une force que l'on pourrait rapprocher du diable chrétien. Cependant l'histoire de l'archange déchu, Satan, n'est autre que l'histoire du fils patricide qui renie son père pour détruire son autorité. Il n'est donc pas illogique de qualifier de sataniste celui qui renie toute forme d'autorité. Dans le cas particulier de Sade on peut citer cette idée récurente que nul ne saurait avoir le moindre devoir envers celui de qui il est sorti et envers ceux qui sont issus de lui même. Le libertinage selon Sade induit donc une annihilation de toute forme d'autorité, la plus forte et donc la plus remise en cause étant l'autorité divine. De plus, ses écrits sont toujours conditionnés par les valeurs chrétiennes : l'omniprésence de la corruption n'est pas sans rappeler le serpent du jardin d'Eden de l'Ancien Testament qui tente Adam et Eve, ce qui a pour conséquence d'apporter à l'homme la souffrance éternelle. De même Sade envisage la corruption sur les générations à venir. Néanmoins il faut nuancer ce parallèle avec le mythe d'Adam et Eve, car l'interdit de concevoir se fondait sur l'arrogance qu'ils auraient d'imiter Dieu en créant à leur tour. Paradoxalement, il semblerait que ce soit la création et non la destruction qui leur soit dans un premier temps interdite. Mais le mythe va plus loin : dès la seconde génération, Cain tue son frère Abel. Ainsi la création d'Adam et Eve est partiellement détruite, mettant en évidence le caractère éphémère des créations de l'homme, au contraire de celles de Dieu qui sont éternelles. On peut donc penser que l'interdit de concevoir prévoyait la destruction prochaine des fruits de la création d'Adam et Eve, ce que prévoyait également le tentateur. Dans ce sens, on trouve encore un lien avec le Marquis de sade qui voit dans le meurtre fratricide l'un des plus beaux plaisirs, comme par mimétisme du premier crime de l'humanité (La Nouvelle Justine, chapitre 15).

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