Le Marquis
de Sade,
un phénomène de société actuel
Si l'on reprend les éléments
qui ont concourus à faire connaître le Marquis de Sade
et qui aujourd'hui en font une référence, on est étonné
des similitudes avec des phénomènes de société
actuels. En effet Sade s'est fait connaître en tant que provocateur,
en tant qu'homme qui ne connaît pas de limite, de même
que certaines stars du X ou de l'industrie du disque de nos jours.
Passé cette image que reste-t-il? Il serait fautif de parler
d'un génie, le génie étant par définition
celui de qui découle la création, alors que Sade a passé
sa vie à détruire. On peut donc parler d'un anti génie,
d'un destructeur absolu qui demeure pour l'exemple et non pas comme
référence.
Certains accuseront Sade de pousser au crime, alors que d'autres,
plus rares, s'en délecteront. Mais s'il faut garder quelque
chose de Sade c'est bien la remise en cause des plus profondes valeurs
de notre société. Peu importe d'ailleurs que cette remise
en cause soit contradictoire, puisque seule doit rester cette volonté
de recul, si extrême soit il pour éprouver ces valeurs
et définir si elles sont fondées ou non. Car si Sade
bouleverse les conventions, il n'en fait pas moins douter ses lecteurs
sur leur mode de vie, plié à des conventions sociales
assimilées sans être forcément comprises. Le fait
de passer par cette réflexion permet en effet de donner un
sens à certaines de ces conventions, et d'en rejetter d'autres
qui peuvent nous apparaître infondées, comme l'homosexualité,
récurente chez Sade et interdite au XVIIIème siècle.
Sade a atteint un degré dans l'horreur que même les plus
grands provocateurs de notre temps, pourtant réputé
celui de la provocation, n'ont jamais égalé. En effet,
si la pornographie a repoussé les barrières des moeurs
au vingtième siècle, le film pornographique en tant
que tel reste en deçà des écrits sadiques, et
ce même pour des films d'une rare violence sexuelle ou encore
les snuff movies. En effet montrer un acte avec des images a un effet
bien moins pernicieux que de le décrire avec des mots. Les
mots ne sont pas neutres, ils ont un sens, et le choix dont ils font
l'objet dans une scène sado masochiste n'est pas anodin. Sade
prend position, tente le lecteur, l'invite à l'imiter, là
où les images auraient tôt fait de le dégoûter.
De plus les mots laissent une marge d'appréciation au lecteur,
car la description, si bien faite soit elle, oblige le lecteur à
s'imaginer la scène, et donc d'une certaine façon, à
y participer. En revanche le film, ne lui laissant aucune liberté,
fait du spectateur sa victime ou, dans le pire des cas, le témoin
complaisant de l'acte, mais en aucun cas le complice. Il faut aller
chercher des textes de paroliers de certains groupes de death ou de
black metal (même si la comparaison choquera un littéraire
de formation classique) pour trouver des héritiers à
l'écriture de Sade*. Et encore n'atteint on pas le degré
de perversité de Sade, car si l'horreur va loin elle ne va
loin que dans la description physique alors que les scènes
de partouze où se mêlent sado masochisme, inceste, scatologie
et même nécrophilie chez Sade regorgent d'éléments
marquant les relations psychologiques des protagonistes.
Si l'on peut reprocher à Sade de se complaire dans ses descriptions
et d'en faire l'apologie, on ne peut en revanche que le louer d'avoir
été le premier à en faire part. Jugées
à l'époque illégales, les oeuvres de Sade n'en
dépeignent pas moins une réalité, réalité
monstrueuse s'il en est, mais qui est devenue chose commune et acceptée
aujourd'hui à l'exception de la nécrophilie et de l'inceste.
Les films pornographiques de notre temps ne sont ils pas réalisés
dans la même violence, a forcieri les films sado masochistes?
La scatologie n'est elle pas tolérée? Le vide juridique
de la plupart des pays concernés par cette industrie semble
donner raison au marquis de Sade, ce qui est logique si l'on considère
la libéralisation des moeurs, et donc le recul de la notion
"d'extrême" en matière de sexualité.
Le reportage Shocking Truth**, réalisé par Alexa Wolf
pour le gouvernement suédois, montre les coulisses de tournages
de films hard : on y retrouve le même mépris pour le
corps de l'autre, la même indifférence à la souffrance
de l'autre ou pire la même jouissance de voir l'autre au bord
de la mort. Il est d'ailleurs étonnant de retrouver certains
éléments, propres au tournage de films hard et soigneusement
dissimulés lors du montage, dans les scènes dépeintes
par Sade. A titre d'exemple, le neveu de Verneuil, à la fin
du chapitre XV de La Nouvelle Justine, secoue les femmes violées
par son oncle pour les maintenir conscientes malgré le viol
et les coups de fouet, de même que Linda Marchiano, l'actrice
principale du film "Gorges Profondes", pilier du porno américain
dans les années 1970, fut menacée de mort, droguée
et molestée pour venir à bout du tournage. Sade ose
donc montrer, ce qu'aujourd'hui même on juge trop choquant,
mais qui a toujours été. Dans ce sens, Sade dénonce
malgré lui une déshumanisation qui était auparavant
entièrement tabou, et donc indirectement l'hypocrisie de la
société à ce sujet.