Valvins
et l'Affaire Dreyfus
Dans une lettre à Edouard Dujardin, Stéphane Mallarmé
s'émerveillait: "C'est une musique d'eau, de lumière
et de verdure que Valvins".
Pourtant les choses semblaient changer à Valvins. L'Affaire Dreyfus
allait monter jusqu'aux membres d'une même famille les uns contre
les autres, mais l'antisémitisme, avivé par cette situation
ne fut pas plus virulent en Seine-et-Marne que dans un autre département.
Suite aux différents articles de Drumont dans la "Libre
Parole" quelques officiers juifs de l'Ecole d'Artillerie de Fontainebleau
démissionnèrent, le Capitaine Coblenz se battit en duel
avec un de ses condisciples à cause des "Laisser Courir"
des Lebaudy et Ernest Crémieu-Foa cacha le cheval de son frère
André à Samois à la suite de la mutation de celui-ci
dans le corps expéditionnaire africain faisant suite à
la mort en duel du Capitaine Armand Mayer. Dès le début
de l'Affaire Dreyfus, les Natanson et la plupart de leurs amis, dont
Charles Péguy, se rangèrent auprès de Bernard Lazare
et de Théodore Reinach puis ensuite d'Emile Zola pour défendre
le capitaine déchu. Et si la "Revue" avait observé
un silence de principe sur l'Affaire parce qu'elle entendait siéger
"ailleurs" au lendemain de l'acquittement du vrai coupable;
Estherhazy, par ses pairs et la publication du "J'accuse"
de Zola, c'est la "Revue Blanche", qui cette fois, collectivement
prit la parole. Valvins fut alors divisé en deux camps: les Dreyfusards
partisans de la révision du procès Dreyfus; parmi eux,
Monet, Proust, Jacques Emile Blanche, Thadée Natanson, Pissaro
et naturellement Emile Zola. Les antidreyfusard comprenaient Degas,
Paul Valéry, Alexis Rouart, Henri Rouart et ses quatre fils,
Forain et Cézanne. Thadée Natanson, homme d'une grande
culture, qui côtoya les plus grands artistes de son temps, fut
l'un des familiers de Degas, pourtant l'Affaire Dreyfus allait les séparer
à jamais. Il constata avec amertume l'attitude de ce peintre
en notant: "Degas.... lorsque l'ami fidèle de tous les Halévy
et Mme Strauss-Bizet** et qui le fut longtemps de Pissaro, devint au
cours de l'affaire, plus que jamais antisémite et nationaliste
ce fut avec une violence qui pouvait le faire pleurer de rage".
Auguste Renoir eut quelques mots sévères pour les juifs
mais s'arrangea pour rester neutre. Jean Renoir, son fils, rapporta
ses paroles: "Les mêmes éternels camps, avec des noms
suivant les siècles. Protestants contre catholiques, républicains
contre monarchistes, communards contre versaillais. Maintenant, la vieille
querelle se réveille. On est Dreyfusard ou antidreyfusard. Moi,
je voudrais bien essayer d'être tout simplement français".
Ce fut probablement l'attitude de Mallarmé mais cela ne fut pas
le cas de tout le monde: Julie Manet *** adressa en 1899 une souscription
de six francs à "La Libre Parole" pour le rapatriement
des Juifs à Jérusalem. A côté de la "Revue
Blanche", Alexandre Natanson fonda en 189, une petite revue hebdomadaire:
"Le Cri de Paris". Cette revue fut un enfant terrible, indiscret,
babillard, mais dont la malice n'a jamais été agressive
que contre les ridicules et les abus. Lors d'un procès intenté
contre elle, son avocat Paul Morel précisa dans sa plaidoirie:
"... parmi la plupart des grands bourgeois juifs et les Membres
du Consistoire Israélite étant assimilés ou se
définissant comme français de confession israélite,
l'affaire Dreyfus n'attira nullement des familles comme les Natanson
vers le sionisme naissant....."
A travers le temps et l'espace, il est possible d'imaginer à
Valvins les discussions qui devaient sans doute courir sur Alfred Dreyfus,
sur son avocat Me Fernand Labori qui habita à Samois puis aux
Basses-Loges à Avon ou sur Crémieu-Foa ou bien encore
sur les affaires d'antisémitisme dans l'armée à
Fontainebleau, mais c'est surtout la vie des artistes qui devait intéresser
tout un chacun.
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