Stéphane Mallarmé

1842 - 1898

Les grandes heures de Valvins

Valvins et l'Affaire Dreyfus

Cette foule hagarde ! Elle annonce : Nous sommes la triste opacité de nos spectres futurs
Stéphane Mallarmé
Extrait de Toast funèbre


 

Valvins et l'Affaire Dreyfus


Dans une lettre à Edouard Dujardin, Stéphane Mallarmé s'émerveillait: "C'est une musique d'eau, de lumière et de verdure que Valvins".

Pourtant les choses semblaient changer à Valvins. L'Affaire Dreyfus allait monter jusqu'aux membres d'une même famille les uns contre les autres, mais l'antisémitisme, avivé par cette situation ne fut pas plus virulent en Seine-et-Marne que dans un autre département. Suite aux différents articles de Drumont dans la "Libre Parole" quelques officiers juifs de l'Ecole d'Artillerie de Fontainebleau démissionnèrent, le Capitaine Coblenz se battit en duel avec un de ses condisciples à cause des "Laisser Courir" des Lebaudy et Ernest Crémieu-Foa cacha le cheval de son frère André à Samois à la suite de la mutation de celui-ci dans le corps expéditionnaire africain faisant suite à la mort en duel du Capitaine Armand Mayer. Dès le début de l'Affaire Dreyfus, les Natanson et la plupart de leurs amis, dont Charles Péguy, se rangèrent auprès de Bernard Lazare et de Théodore Reinach puis ensuite d'Emile Zola pour défendre le capitaine déchu. Et si la "Revue" avait observé un silence de principe sur l'Affaire parce qu'elle entendait siéger "ailleurs" au lendemain de l'acquittement du vrai coupable; Estherhazy, par ses pairs et la publication du "J'accuse" de Zola, c'est la "Revue Blanche", qui cette fois, collectivement prit la parole. Valvins fut alors divisé en deux camps: les Dreyfusards partisans de la révision du procès Dreyfus; parmi eux, Monet, Proust, Jacques Emile Blanche, Thadée Natanson, Pissaro et naturellement Emile Zola. Les antidreyfusard comprenaient Degas, Paul Valéry, Alexis Rouart, Henri Rouart et ses quatre fils, Forain et Cézanne. Thadée Natanson, homme d'une grande culture, qui côtoya les plus grands artistes de son temps, fut l'un des familiers de Degas, pourtant l'Affaire Dreyfus allait les séparer à jamais. Il constata avec amertume l'attitude de ce peintre en notant: "Degas.... lorsque l'ami fidèle de tous les Halévy et Mme Strauss-Bizet** et qui le fut longtemps de Pissaro, devint au cours de l'affaire, plus que jamais antisémite et nationaliste ce fut avec une violence qui pouvait le faire pleurer de rage".

Auguste Renoir eut quelques mots sévères pour les juifs mais s'arrangea pour rester neutre. Jean Renoir, son fils, rapporta ses paroles: "Les mêmes éternels camps, avec des noms suivant les siècles. Protestants contre catholiques, républicains contre monarchistes, communards contre versaillais. Maintenant, la vieille querelle se réveille. On est Dreyfusard ou antidreyfusard. Moi, je voudrais bien essayer d'être tout simplement français". Ce fut probablement l'attitude de Mallarmé mais cela ne fut pas le cas de tout le monde: Julie Manet *** adressa en 1899 une souscription de six francs à "La Libre Parole" pour le rapatriement des Juifs à Jérusalem. A côté de la "Revue Blanche", Alexandre Natanson fonda en 189, une petite revue hebdomadaire: "Le Cri de Paris". Cette revue fut un enfant terrible, indiscret, babillard, mais dont la malice n'a jamais été agressive que contre les ridicules et les abus. Lors d'un procès intenté contre elle, son avocat Paul Morel précisa dans sa plaidoirie: "... parmi la plupart des grands bourgeois juifs et les Membres du Consistoire Israélite étant assimilés ou se définissant comme français de confession israélite, l'affaire Dreyfus n'attira nullement des familles comme les Natanson vers le sionisme naissant....."

A travers le temps et l'espace, il est possible d'imaginer à Valvins les discussions qui devaient sans doute courir sur Alfred Dreyfus, sur son avocat Me Fernand Labori qui habita à Samois puis aux Basses-Loges à Avon ou sur Crémieu-Foa ou bien encore sur les affaires d'antisémitisme dans l'armée à Fontainebleau, mais c'est surtout la vie des artistes qui devait intéresser tout un chacun.