Lautréamont
(1846-1870)
Correspondance
Lettre VII
Lettre VII
Monsieur, Laissez-moi reprendre dun peu haut. Jai fait publier un ouvrage de poésies chez M. Lacroix (B. Montmartre, 15). Mais, une fois quil fut imprimé , il a refusé de le faire paraître, parce que la vie y était peinte sous des couleurs trop amères, et quil craignait le procureur-général. Cétait quelque chose dans le genre du Manfred de Byron et du Konrad de Mieçkiewicz, mais, cependant, bien plus terrible. lédition avait coûté 1 200 f, dont javais déjà fourni 400 f. Mais, le tout est tombé dans leau. Cela me fit ouvrir les yeux. Je me disais que puisque la poésie du doute (des volumes daujourd'hui il ne restera pas 150 pages) en arrive ainsi à un tel point de désespoir morne, et de méchanceté théorique, par conséquent, cest quelle est radicalement fausse ; par cette raison quon y discute les principes, et quil ne faut pas les discuter : cest plus quinjuste. Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes hideux. Chanter lennui, les douleurs, les tristesses, les mélancolies, la mort, lombre, le sombre, etc., cest ne vouloir, à toute force, regarder que le puéril revers des choses.Lamartine, Hugo, Musset se sont métamorphosés volontairement en femmelettes. Ce sont les Grandes-Têtes-Molles de notre époque. Toujours pleurnicher. Voilà pourquoi jai complètement changé de méthode, pour ne chanter exclusivement que lespoir, lespérance, le CALME, le bonheur, le DEVOIR.Et cest ainsi que je renoue avec les Corneille et les Racine la chaîne du bon sens, et du sang-froid, brusquement interrompue depuis les poseurs Voltaire et Jean-Jacques Rousseau. Mon volume ne sera terminé que dans quatre ou cinq mois. Mais, en attendant, je voudrais envoyer à mon père la préface, qui contiendra 60 pages ; chez Al. Lemerre. Cest ainsi quil verra que je travaille, et quil menverra la somme totale du volume à imprimer plus tard. Je viens, Monsieur, vous demander, si mon père vous a dit que vous me délivrassiez de largent, en dehors de la pension, depuis les mois de novembre et de décembre.Et, en ce cas, il aurait fallu 200 f., pour limpression de la préface, que je pourrais envoyer, ainsi, le 22, à Montevideo. sil navait rien dit, auriez-vous la bonté de me lécrire ? Jai lhonneur de vous saluer. I. Ducasse, |