Lautréamont
(1846-1870)
Correspondance
Lettre 3
Lettre III Monsieur, Cest hier même que jai reçu votre lettre datée du 21 mai ; cétait la vôtre. Eh bien, sachez que je ne puis pas malheureusement laisser passer ainsi loccasion de vous exprimer mes excuses. Voici pourquoi : parce que, si vous maviez annoncé lautre jour, dans lignorance de ce qui peut arriver de fâcheux aux circonstances où ma personne est placée, que les fonds sépuisaient, je naurais eu garde dy toucher ; mais certainement, jaurais éprouvé autant de joie à ne pas écrire ces trois lettres que vous en auriez éprouvé vous-même à ne pas les lire. Vous avez mis en vigueur le déplorable système de méfiance prescrit par la bizarrerie de mon père ; mais vous avez deviné que mon mal de tête ne mempêche pas de considérer avec attention la difficile situation où vous a placé jusquici une feuille de papier à lettre venue de lAmérique du Sud, dont le principal défaut était le manque de clarté ; car je ne mets pas en ligne de compte la malsonnance de certaines observations mélancoliques quon pardonne aisément à un vieillard, et qui mont paru, à la première lecture, avoir eu lair de vous imposer, à lavenir peut-être, la nécessité de sortir de votre rôle strict de banquier, vis-à-vis dun monsieur qui vient habiter la capitale... ... Pardon, Monsieur, jai une prière à vous faire: si mon père envoyait dautres fonds avant le 1er septembre, époque à laquelle mon corps fera une apparition devant la porte de votre banque, vous aurez la bonté de me le faire savoir ? Au reste, je suis chez moi à toute heure du jour ; mais vous nauriez quà mécrire un mot, et il est probable qualors je le recevrai presque aussitôt que la demoiselle qui tire le cordon, ou bien avant, si je me rencontre sur le vestibule... ... Et tout cela, je le répète,
pour une bagatelle insignifiante de formalité ! Présenter
dix ongles secs au lieu de cinq, la belle affaire ; après avoir
réfléchi beaucoup, je confesse quelle ma paru
remplie dune notable quantité dimportance nulle. |