Lautréamont
(1846-1870)
Poésie
Poésie 1
POÉSIES Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes. Les premiers principes doivent être hors de discussion. Jaccepte Euripide et Sophocle ; mais je naccepte pas Eschyle. Ne faites pas preuve de manque des convenances les plus élémentaires et de mauvais goût envers le créateur. Repoussez lincrédulité : vous me ferez plaisir. Il nexiste pas deux genres de poésies ; il nen est quune. Il existe une convention peu tacite entre lauteur et le lecteur, par laquelle le premier sintitule malade, et accepte le second comme garde-malade. Cest le poète qui console lhumanité ! Les rôles sont intervertis arbitrairement. Je ne veux pas être flétri de la qualification de poseur. Je ne laisserai pas des Mémoires. La poésie nest pas la tempête, pas plus que le cyclone. Cest un fleuve majestueux et fertile. Ce nest quen admettant la nuit physiquement, quon est parvenu à la faire passer moralement. O Nuits dYoung ! vous mavez causé beaucoup de migraines ! On ne rêve que lorsque lon dort. Ce sont des mots comme celui de rêve, néant de la vie, passage terrestre, la préposition peut-être, le trépied désordonné, qui ont infiltré dans vos âmes cette poésie moite des langueurs, pareille à de la pourriture. Passer des mots aux idées, il ny a quun pas. Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans lordre physique ou moral, lesprit de négation, les abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui est inattendu, ce quil ne faut pas faire, les singularités chimiques de vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de lorgueil, linoculation des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence, le splëen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, labsence de sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cours dassises, les tragédies, les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes, les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène daquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, les âcretés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme lenfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses aux camélias, la culpabilité dun écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiômes sacrés, la vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées, comme celles de Cromwell, de Mlle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphêmes, les asphyxies, les étouffements, les rages,-devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe si souverainement. Votre esprit est entraîné perpétuellement hors de ses gonds, et surpris dans le piége de ténèbres construit avec un art grossier par légoïsme et lamour-propre. Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. Cest le nec plus ultrà de lintelligence. Ce nest que par lui seul que le génie est la santé suprême et léquilibre de toutes les facultés. Villemain est trente-quatre fois plus intelligent quEugène Sue et Frédéric Soulié. Sa préface du Dictionnaire de lAcadémie verra la mort des romans de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de tous les romans possibles et imaginables. Le roman est un genre faux, parce quil décrit les passions pour elles-mêmes : la conclusion morale est absente. Décrire les passions nest rien ; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Nous ny tenons pas. Les décrire, pour les soumettre à une haute moralité, comme Corneille, est autre chose. Celui qui sabstiendra de faire la première chose, tout en restant capable dadmirer et de comprendre ceux à qui il est donné de faire la deuxième, surpasse, de toute la supériorité des vertus sur les vices, celui qui fait la première. Par cela seul quun professeur de seconde se dit : "Quand on me donnerait tous les trésors de lunivers, je ne voudrais pas avoir fait des romans pareils à ceux de Balzac et dAlexandre Dumas," par cela seul, il est plus intelligent quAlexandre Dumas et Balzac. Par cela seul quun élève de troisième sest pénétré quil ne faut pas chanter les difformités physiques et intellectuelles, par cela seul, il est plus fort, plus capable, plus intelligent que Victor Hugo, sil navait fait que des romans, des drames et des lettres. Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix pour un lycée. Il ne connaît pas ce que cest que la morale. Elle ne transige pas. Sil le faisait, il devrait auparavant biffer dun trait de plume tout ce quil a écrit jusquici, en commençant par ses Préfaces absurdes. Réunissez un jury dhommes compétents : je soutiens quun bon élève de seconde est plus fort que lui dans nimporte quoi, même dans la sale question des courtisanes. Les chefs-d'uvre de la langue française sont les discours de distribution pour les lycées, et les discours académiques. En effet, linstruction de la jeunesse est peut-être la plus belle expression pratique du devoir, et une bonne appréciation des ouvrages de Voltaire (creusez le mot appréciation) est préférable à ces ouvrages eux-mêmes.- Naturellement ! Les meilleurs auteurs de romans et de drames dénatureraient à la longue la fameuse idée du bien, si les corps enseignants, conservatoires du juste, ne retenaient les générations jeunes et vieilles dans la voie de lhonnêteté et du travail. En son nom personnel, malgré elle, il le faut, je viens renier, avec une volonté indomptable, et une ténacité de fer, le passé hideux de lhumanité pleurarde. Oui : je veux proclamer le beau sur une lyre dor, défalcation faite des tristesses goîtreuses et des fiertés stupides qui décomposent, à sa source, la poésie marécageuse de ce siècle. Cest avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui nont pas leur motif dêtre. Le jugement, une fois entré dans lefflorescence de son énergie, impérieux et résolu, sans balancer une seconde dans les incertitudes dérisoires dune pitié mal placée, comme un procureur général, fatidiquement, les condamne. Il faut veiller sans relâche sur les insomnies purulentes et les cauchemars atrabilaires. Je méprise et jexècre lorgueil, et les voluptés infâmes dune ironie, faite éteignoir, qui déplace la justesse de la pensée. Quelques caractères, excessivement intelligents, il ny a pas lieu que vous linfirmiez par des palinodies dun goût douteux, se sont jetés, à tête perdue, dans les bras du mal. Cest labsinthe, savoureuse, je ne le crois pas, mais, nuisible, qui tua moralement lauteur de Rolla. Malheur à ceux qui sont gourmands ! A peine est-il entré dans lâge mûr, laristocrate anglais, que sa harpe se brise sous les murs de Missolonghi, après navoir cueilli sur son passage que les fleurs qui couvent lopium des mornes anéantissements. Quoique plus grand que les génies ordinaires, sil sétait trouvé de son temps un autre poète, doué, comme lui, à doses semblables, dune intelligence exceptionnelle, et capable de se présenter comme son rival, il aurait avoué, le premier, linutilité de ses efforts pour produire des malédictions disparates ; et que, le bien exclusif est, seul, déclaré digne, de par la voix de tous les mondes, de sapproprier notre estime. Le fait fut quil ny eut personne pour le combattre avec avantage. Voilà ce quaucun na dit. Chose étrange ! même en feuilletant les recueils et les livres de son époque, aucun critique na songé à mettre en relief le rigoureux syllogisme qui précède. Et ce nest que celui qui lesurpassera qui peut lavoir inventé. Tant on était rempli de stupeur et dinquiétude, plutôt que dadmiration réfléchie, devant des ouvrages écrits dune main perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations imposantes dune âme qui nappartient pas au vulgaire des hommes, et qui se trouvait à son aise dans les conséquences dernières dun des deux moins obscurs problèmes qui intéressent les curs non-solitaires : le bien, le mal. Il nest pas donné à quiconque daborder les extrêmes, soit dans un sens, soit dans un autre. Cest ce qui explique pourquoi, tout en louant, sans arrière-pensée, lintelligence merveilleuse dont il dénote à chaque instant la preuve, lui, un des quatre ou cinq phares de lhumanité, lon fait, en silence, ses nombreuses réserves sur les applications et lemploi injustifiables quil en a faits sciemment. Il naurait pas dû parcourir les domaines sataniques. La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier, des Papavoine, des Byron, des Victor Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Ces grands criminels, à des titres si divers, je les écarte dun geste. Qui croit-on tromper ici, je le demande avec une lenteur qui sinterpose ? O dadas de bagne ! Bulles de savon ! Pantins en baudruche ! Ficelles usées ! Quils sapprochent, les Konrad, les Manfred, les Lara, les marins qui ressemblent au Corsaire, les Méphistophélès, les Werther, les Don Juan, les Faust, les Iago, les Rodin, les Caligula, les Caïn, les Iridion, les mégères à linstar de Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés de cervelle, qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées de lHindoustan, le serpent, le crapaud et le crocodile, divinités, considérées comme anormales, de lantique Égypte, les sorciers et les puissances démoniaques du moyen âge, les Prométhée, les Titans de la mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux Méchants vomis par limagination primitive des peuples barbares, - toute la série bruyante des diables en carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la cravache de lindignation et de la concentration qui soupèse, et jattends ces monstres de pied ferme, comme leur dompteur prévu. Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron, sombres mystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler Bicêtre. Leurs têtes crétinisantes, doù une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques, qui descendent au lieu de monter. Exercice scabreux ; gymnastique spécieuse. Passez donc, grotesque muscade. Sil vous plaît, retirez-vous de ma présence, fabricateurs, à la douzaine, de rébus défendus, dans lesquels je napercevais pas auparavant, du premier coup, comme aujourd'hui, le joint de la solution frivole. Cas pathologique dun égoïsme formidable. Automates fantastiques : indiquez-vous du doigt, lun à lautre, mes enfants, lépithète qui les remet à leur place. Sils existaient, sous la réalité plastique, quelque part, ils seraient, malgré leur intelligence avérée, mais fourbe, lopprobre, le fiel, des planètes quils habiteraient la honte. Figurez-vous-les, un instant, réunis en société avec des substances qui seraient leurs semblables. Cest une succession non interrompue de combats, dont ne rêveront pas les boule-dogues, interdits en France, les requins et les macrocéphales-cachalots. Ce sont des torrents de sang, dans ces régions chaotiques pleines dhydres et de minotaures, et doù la colombe, effarée sans retour, senfuit à tire-daile. Cest un entassement de bêtes apocalyptiques, qui nignorent pas ce quelles font. Ce sont des chocs de passions, dirréconciliabilités et dambitions, à travers les hurlements dun orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne ne peut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds. Mais, ils ne men imposeront plus. Souffrir est une faiblesse, lorsquon peut sen empêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les souffrances dune splendeur non équilibrée, cest prouver, ô moribonds des maremmes perverses ! moins de résistance et de courage, encore. Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle dans mes foyers déserts, glorieux espoir. Viens t'asseoir à mes côtés, enveloppé du manteau des illusions, sur le trépied raisonnable des apaisements. Comme un meuble de rebut, je t'ai chassé de ma demeure, avec un fouet aux cordes de scorpions. Si tu souhaites que je sois persuadé que tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrins que, sous l'indice des repentirs, je t'ai causés autrefois, crebleu, ramène alors avec toi, cortége sublime, - soutenez-moi, je m'évanouis ! - les vertus offensées, et leurs impérissables redressements. Je constate, avec amertume, qu'il ne reste plus que quelques gouttes de sang dans les artères de nos époques phthisiques. Depuis les pleurnicheries odieuses et spéciales, brevetées sans garantie d'un point de repère, des Jean-Jacques Rousseau, des Châteaubriand et des nourrices en pantalon aux poupons Obermann, à travers les autres poètes qui se sont vautrés dans le limon impur, jusqu'au songe de Jean-Paul, le suicide de Dolorès de Veintemilla, le Corbeau d'Allan, la Comédie Infernale du Polonais, les yeux sanguinaires de Zorilla, et l'immortel cancer, Une Charogne, que peignit autrefois, avec amour, l'amant morbide de la Vénus hottentote, les douleurs invraisemblables que ce siècle s'est créées à lui-même, dans leur voulu monotone et dégoûtant, l'ont rendu poitrinaire. Larves absorbantes dans leurs engourdissements insupportables ! Allez, la musique. Oui, bonnes gens, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie au feu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth, qui, répandant, dans une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui ne viennent pas du cur, sans machine pneumatique, fait, partout, le vide universel. C'est ce que vous avez de mieux à faire. Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduit imperturbablement le littérateur à l'abrogation en masse des lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrière humain dans les raisonnements. Allez, et passez-moi le mot ! L'on devient méchant, je le répète, et les yeux prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ce que j'avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans. La vraie douleur est incompatible avec l'espoir. Pour si grande que soit cette douleur, l'espoir, de cent coudées, s'élève plus haut encore. Donc, laissez-moi tranquille avec les chercheurs. A bas, les pattes, à bas, chiennes cocasses, faiseurs d'embarras, poseurs ! Ce qui souffre, ce qui dissèque les mystères qui nous entourent, n'espère pas. La poésie qui discute les vérités nécessaires est moins belle que celle qui ne les discute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte de temps : rien ne sera plus facile à vérifier. Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole, c'est puéril. Ce n'est même que parce que l'auteur espère que le lecteur sous-entend qu'il pardonnera à ses héros fripons, qu'il se trahit lui-même et s'appuie sur le bien pour faire passer la description du mal. C'est au nom de ces mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le supporter, ô saltimbanques des malaises incurables. Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs yeux, de mélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit et dans leur corps ! La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute ; le doute est le commencement du désespoir ; le désespoir est le commencement cruel des différents degrés de la méchanceté. Pour vous en convaincre, lisez la Confession d'un enfant du siècle. La pente est fatale, une fois qu'on s'y engage. Il est certain qu'on arrive à la méchanceté. Méfiez-vous de la pente. Extirpez le mal par la racine. Ne flattez pas le culte d'adjectifs tels que indescriptible, inénarrable, rutilant, incomparable, colossal, qui mentent sans vergogne aux substantifs qu'ils défigurent : ils sont poursuivis par la lubricité. Les intelligences de deuxième ordre, comme Alfred de Musset, peuvent pousser rétivement une ou deux de leurs facultés beaucoup plus loin que les facultés correspondantes des intelligences de premier ordre, Lamartine, Hugo. Nous sommes en présence du déraillement d'une locomotive surmenée. C'est un cauchemar qui tient la plume. Apprenez que l'âme se compose d'une vingtaine de facultés. Parlez-moi de ces mendiants qui ont un chapeau grandiose, avec des haillons sordides ! Voici un moyen de constater l'infériorité de Musset sous les deux poètes. Lisez, devant une jeune fille, Rolla ou les Nuits, les Fous de Cobb, sinon les portraits de Gwynplaine et de Dea, ou le Récit de Théramène d'Euripide, traduit en vers français par Racine le père. Elle tressaille, fronce les sourcils, lève et abaisse les mains, sans but déterminé, comme un homme qui se noie ; les yeux jetteront des lueurs verdâtres. Lisez-lui la Prière pour tous, de Victor Hugo. Les effets sont diamétralement opposés. Le genre d'électricité n'est plus le même. Elle rit aux éclats, elle en demande davantage. De Hugo, il ne restera que les poésies sur les enfants, où se trouve beaucoup de mauvais. Paul et Virginie choque nos aspirations les plus profondes au bonheur. Autrefois, cet épisode qui broie du noir de la première à la dernière page, surtout le naufrage final, me faisait grincer des dents. Je me roulais sur le tapis et donnais des coups de pied à mon cheval en bois. La description de la douleur est un contre-sens. Il faut faire voir tout en beau. Si cette histoire était racontée dans une simple biographie, je ne l'attaquerais point. Elle change tout de suite de caractère. Le malheur devient auguste par la volonté impénétrable de Dieu qui le créa. Mais l'homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres. C'est ne vouloir, à toutes forces, considérer qu'un seul côté des choses. O hurleurs maniaques que vous êtes ! Ne reniez pas l'immortalité de l'âme, la sagesse de Dieu, la grandeur de la vie, l'ordre qui se manifeste dans l'univers, la beauté corporelle, l'amour de la famille, le mariage, les institutions sociales. Laissez de côté les écrivassiers funestes : Sand, Balzac, Alexandre Dumas, Musset, Du Terrail, Féval, Flaubert, Baudelaire, Leconte et la Grève des Forgerons ! Ne transmettez à ceux qui vous lisent que l'expérience qui se dégage de la douleur, et qui n'est plus la douleur elle-même. Ne pleurez pas en public. Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort ; mais ces beautés n'appartiendront pas à la mort. La mort n'est ici que la cause occasionnelle. Ce n'est pas le moyen, c'est le but, qui n'est pas elle. Les vérités immuables et nécessaires, qui font la gloire des nations, et que le doute s'efforce envain d'ébranler, ont commencé depuis les âges. Ce sont des choses auxquelles on ne devrait pas toucher. Ceux qui veulent faire de l'anarchie en littérature, sous prétexte de nouveau, tombent dans le contre-sens. On n'ose pas attaquer Dieu ; on attaque l'immortalité de l'âme. Mais, l'immortalité de l'âme, elle aussi, est vieille comme les assises du monde. Quelle autre croyance la remplacera, si elle doit être remplacée ? Ce ne sera pas toujours une négation. Si l'on se rappelle la vérité d'où découlent toutes les autres, la bonté absolue de Dieu et son ignorance absolue du mal, les sophismes s'effondreront d'eux-mêmes. S'effondrera, dans un temps pareil, la littérature peu poétique qui s'est appuyée sur eux. Toute littérature qui discute les axiômes éternels est condamnée à ne vivre que d'elle-même. Elle est injuste. Elle se dévore le foie. Les novissima Verba font sourire superbement les gosses sans mouchoir de la quatrième. Nous n'avons pas le droit d'interroger le Créateur sur quoi que ce soit. Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous. Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes à ces sophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie ; tandis que la pièce ainsi remaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste serait hors du vrai, avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré, forcément, comme non avenu. La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle, brusquement interrompu depuis la naissance du philosophe manqué de Ferney, depuis l'avortement du grand Voltaire. Il paraît beau, sublime, sous prétexte d'humilité ou d'orgueil, de discuter les causes finales, d'en fausser les conséquences stables et connues. Détrompez-vous, parce qu'il n'y a rien de plus bête ! Renouons la chaîne régulière avec les temps passés ; la poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progressé d'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui ? aux Grandes-Têtes-Molles de notre époque. Grâce aux femmelettes, Châteaubriand, le Mohican -Mélancolique ; Sénancourt, l'Homme-en-Jupon ; Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur ; Anne Radcliffe, le Spectre-Toqué ; Edgar Poë, le Mameluck-des-Rêves-d'Alcool ; Mathurin, le Compère-des-Ténèbres ; George Sand, l'Hermaphrodite-Circoncis ; Théophile Gautier, l'Incomparable-Epicier ; Leconte, le Captif-du-Diable ; Gthe, le Suicidé-pour-Pleurer ; Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire ; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante ; Lermontoff, le Tigre-qui-Rugit ; Victor Hugo, le Funèbre-Échalas-Vert ; Misçkiéwicz, l'Imitateur-de-Satan ; Musset, le Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle ; et Byron, l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales. Le doute a existé de tout temps en minorité. Dans ce siècle, il est en majorité. Nous respirons la violation du devoir par les pores. Cela ne s'est vu qu'une fois ; cela ne se reverra plus. Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies à l'heure qu'il est, que, la première chose que font les professeurs de quatrième, quand ils apprennent à faire des vers latins à leurs élèves, jeunes poètes dont la lèvre est humectée du lait maternel, c'est de leur dévoiler par la pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vous demande un peu, beaucoup ! Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leurs classes à traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la repoussante comparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable catastrophe arrivée à un laboureur. A quoi bon regarder le mal ? N'est-il pas en minorité ? Pourquoi pencher la tête d'un lycéen sur des questions qui, faute de n'avoir pas été comprises, ont fait perdre la leur à des hommes tels que Pascal et Byron ? Un élève m'a raconté que son professeur de seconde avait donné à sa classe, jour par jour, ces deux charognes à traduire en vers hébreux. Ces plaies de la nature animale et humaine le rendirent malade pendant un mois, qu'il passa à l'infirmerie. Comme nous nous connaissions, il me fit demander par sa mère. Il me raconta, quoique avec naïveté, que ses nuits étaient troublées par des rêves de persistance. Il croyait voir une armée de pélicans qui s'abattaient sur sa poitrine, et la lui déchiraient. Ils s'envolaient ensuite vers une chaumière en flammes. Ils mangeaient la femme du laboureur et ses enfants. Le corps noirci de brûlures, le laboureur sortait de la maison, engageait avec les pélicans un combat atroce. Le tout se précipitait dans la chaumière, qui retombait en éboulements. De la masse soulevée des décombres - cela ne ratait jamais - il voyait sortir son professeur de seconde, tenant d'une main son cur, de l'autre une feuille de papier où l'on déchiffrait, en traits de soufre, la comparaison du pélican et celle du laboureur, telles que Musset lui-même les a composées. Il ne fut pas facile, au premier abord, de pronostiquer son genre de maladie. Je lui recommandai de se taire soigneusement, et de n'en parler à personne, surtout à son professeur de seconde. Je conseillai à sa mère de le prendre quelques jours chez elle, en assurant que cela se passerait. En effet, j'avais soin d'arriver chaque jour pendant quelques heures, et cela se passa. Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de vos idées, de vos phrases. Arrangez-vous. Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisse imaginer. Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle. |