Le
carnet de M. du Paur
par
Paul-JeanTOULET
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II
Les
hommes et l'amitié
L'amour traîne après lui l'amitié, comme un bel
adolescent qui tire par la main une soeur vieille et morose.
*
Une amitié acquise, c'est une servitude ; perdue, c'est un deuil.
*
Tandis qu'il bat pour nous un coeur encore, on se peut consoler de tous
les autres, et du plus méprisable : le sien.
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Un ami est une traite dont on a oublié le chiffre et dont on
ne sait pas l'échéance.
*
Les prunes et les amis, il les faut goûter jusqu'au noyau, avant
de savoir s'ils sont bons. Et alors il est trop tard.
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Un ami qui fait une folie te reproche d'abord de n'en pas être
aux anges ; et, plus tard, que tu l''aies permise.
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- Mais... mon cher ami !
- Là, là. Pas de gros mots.
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Aux hommes c'est par le coeur que s'apprend l'amour. Chez les femmes
c'est par coeur.
*
Ce ne sont pas tant les prophètes qui perdent à n'être
pas crus, que leur pays à ne les pas croire.
*
Aristarque, cet homme dont le jugement est sûr jusqu'à
en paraître quelquefois aigri, las de vous écraser sous
le poids des morts, c'est avec votre propre passé qu'il vous
accable. Quoi que vous fassiez aujourd'hui, il l'aimait mieux l'année
dernière.
*
C'est ridicule d'avoir peur d'un autre homme. Ils n'ont pas d'épingles
à leur chapeau.
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Tant de vices conjurés contre soi, alors que Jacob ne lutta qu'avec
son seul ange : encore en demeura-t-il boiteux.
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Les dictionnaires parlent d'un arbre qui s'appelle le muflier. Ce doit
être une espèce très fructueuse.
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C'est à choisir : de connaître l'homme et de ne l'aimer
pas ; ou de l'aimer sans le connaître.
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Avec un cheval, on faisait un chevalier. Mais avec un cheval-vapeur
? N'est-ce pas tomber dans l'industrie ?
*
Vous croyez, Ploute, avec votre argent, avoir acquis, non moins que
des maîtresses de bon teint, des amis qui ne s'usent pas. Et,
content d'y goûter la noblesse de leur coeur et du vôtre,
vous ne comptez pour rien qu'il ait falllu beaucoup vous baisser pour
les acquérir. Si vous les surpreniez alors que, couchés
ensemble, ils s'égaient à parodier votre accent, vos locutions
coutumières, et jusqu'à vos plus sincères attitudes.
*
Tandis que l'homme est jeune, l'amour et la haine pelotent avec son
coeur. Et puis vient le mépris.
*
Pour s'accommoder à leur sombre caprice, que les femmes appellent
amour, tendresse, et d'autres noms encore, un pauvre homme se met esprit
et corps à la torture ; et l'on finit au demeurant par ne pas
s'entendre, tous les deux.
A quoi bon essayer ? C'est comme de prendre son tub dans un bain de
siège.
*
Il y a, de par le monde, tels vieillards loquaces et creux, dont le
grand âge et le discours, orné de pompeuses fariboles,
vous remettent irrésistiblement en mémoire ce temps lointain
où les bêtes parlaient.
*
Pour un observateur, certes, ce qu'il y a de plus doux à observer,
c'est le silence.
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L'insuccès nous vaut au moins d'être seuls ; et au pauvre
de n'être plus - comme le roc et les genêts de la lande
- labouré que par l'orage, ni baisé que par l'aurore.
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Les coquins et les femmes sont délicats sur le point d'honneur.
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Le moindre souffle d'ambition agite l'homme comme un marais, jusqu'à
sa vase.
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Il faut aimer le bien d'autrui comme le sien propre, et même davantage,
- si l'on est, par exemple, le mari d'une femme laide.
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Être jaloux de son propre passé, ce n'est point impossible.
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Il n'est de prix, il n'est de fidèle que cela que l'on conquiert
en dépit des monts et des grilles. «Dans un coeur, écrit
Ponson du Terrail, comme celui d'une jeune Espagnole, l'homme aimé
est toujours à l'abri du soupçon».
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D'être sur la paille, les nèfles pourrissent et les hommes
aussi, quelquefois.
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C'est la tête, chez certains hommes, qui domine le coeur, et tout
ce qu'ils peuvent, c'est d'imaginer l'amour : mais jamais ils n'aiment.
*
Certaines gens sont heureux de trop bonne heure. Alors, et pour toujours,
ils se reposent, contents d'avoir saisi l'occasion par son unique cheveu
et qu'il leur soit resté dans la main.
*
Monsieur le baron Dresde n'a pas toujours été le cocu
résigné et à toutes mains que nous connaissons.
Pour sot, en revanche, cela se perd dans la nuit des temps, et sans
doute le fut-il tout petit pour le faire avec soin.
A en revenir aux caravanes de sa femme, les premières l'émurent,
et il ne manqua pas d'en faire un éclat assez ridicule. Quelqu'un
observait «plaisamment» de lui : «C'est un veau qui
se sent pousser les cornes».
*
La guigne, cette espèce de malheur trop continu, finit par lasser
le courage, l'espérance même, et par rendre enfin le coeur
inégal à l'occasion : «Il y a, dit Frédéric
Soulié, des hommes qui ne savent que réussir, et des femmes
qui ne savent qu'être heureuses».
*
Il n'y a que les avares pour faire reluire toutes les facettes de la
fortune. Ils en jouissent par l'imagination : c'est comme si, d'un seul
sac d'or, ils tiraient plusieurs moutures.
*
Être à la fois homme galant, et galant homme, ce n'est
pas toujours si aisé qu'on pense.
*
Et n'avez-vous pas rencontré de par le monde, Bouche d'Or, cet
autre bavard qui va, cherchant ses idées à travers la
brume, et ses mots dans l'étoupe. On vous dira (des gens qu'il
invite à souper) que «Bouche d'Or a oublié d'être
bête». Mais ce qu'on ne vous dit pas c'est qu'il a de fréquents
retours de mémoire.
*
Tout ce que Bouchedor entend dire qui lui semble ingénieux ou
drôle, il l'emprunte, l'exprime, l'imprime ; et l'on dirait que
c'est écrit avec de la colle, sur du carton.
Aimez-vous mieux le comparer à ces flacons qu'on a remplis des
moires d'une fumée d'azur, et qui ne dégagent en retour
qu'un peu de vapeurs puantes, livides ?
*
Esclave ou maître : il faut être servi ou servir. Mais non
pas soi-même, - le sot métier.
*
Il y avait en Athènes des gens qui faisaient leur fortune à
détrousser les morts. On les appelait des tymboriches, d'un nom
qui rime richement à celui de nos nouveaux riches.
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Vouloir être remarqué pour sa tenue, quel mauvais goût
et dont on est puni.
C'est ainsi que Swendenborg, l'illuminé, rencontra (s'il l'en
faut croire) un misérable esprit vêtu en ramoneur et fort
affligé que les autres ne le voulussent point laisser entrer
au ciel, - où sans doute il n'y a point de cheminées.
Eh, que ne se mettait-il en ange, comme tout le monde.
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On voit l'homme montrer de l'ingratitude jusques envers les morts. Un
explorateur entendit, dans l'île de Sumatra, quelques indigènes,
qui, mangeant leur grand père après l'avoir, selon l'usage,
étranglé, disaient entre eux : «C'était un
homme dur qui nous a toujours nourris de ses restes».
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Le jour où Tartufe s'est fait méthodiste, il a réalisé
sa perfection. Mais on s'étonna de l'y voir se mettre à
deux.
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Tout homme (digne de ce nom) a dans la coeur un poète qui sommeille.
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Quand on n'a pas le sou, ni équivalence, épouser une femme
riche, c'est bassesse ; et pauvre, c'est folie.
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Un mari bien parisien, ça ne tue ni ne se tue : ça s'en
va.
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Les amants s'enivrent à leur causerie. Aussi bien n'y parlent-ils
chacun que de soi-même.
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On pardonne à l'égoïste qui se préfère,
mais non pas qui n'aime que soi.
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Rendre ridicule l'homme même que l'on respecte ou que l'on admire....
Quoi, c'est l'épice même de l'adultère.
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Grande pitié de se confier dans les femmes. Et dans les hommes,
plus grande, peut-être, encore. Mais ce n'est que soi, après
tout, qu'on y confie.
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Heureux en ami comme en amante, si tu es aimé de ton chien :
tu ne seras jamais trahi qu'à moitié.
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Tout le monde est capable de dégoût ; mais, pour blasé,
il le faut naître.
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Il ne faut pas trop blâmer l'ours de la fable : au moins tua-t-il
son ami d'un seul coup.
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