A
GISÈLE D'ESTOC
Mardi
[1881].
Ma
chère amie,
Il faut absolument que vous veniez dîner chez moi vendredi.
Vous y trouverez Catulle Mendès, plus une jeune et jolie femme,
son amie, ravagée par des désirs féminins...
elle n'en dort plus... et n'a jamais...
Mais par Lesbos, ne soyez pas aussi (comment dirai-je)... prompte
qu'avec celle de l'Opéra. Du moment que vous jouez un rôle
d'homme, soyez homme, morbleu, et réservée en public
!
Hel... qui ne demandait pas mieux, comme vous avez pu le voir d'abord
a reculé ensuite devant votre... violence. Comment avez-vous
pu être aussi entreprenante devant ces hommes qui ont raconté
partout la chose, de sorte que l'amant d'Hel... prévenu a parlé
morale et l'a reconquise.
Celle de vendredi est une innocente, mais une innocente toute prête
à tomber - mariée - posée. Et ce désir
bouillonne en elle tellement qu'à ses heures d'amour elle crie
à son amant : « une femme, une femme, donne-moi une femme
! »
Voilà qui peut être adorable.
Quant à moi depuis trois semaines, je vis maritalement avec
une douzaine de sangsues qui ne me quittent guère. J'ai migraine
sur migraine, et je vis chaste, étant écuré
par l'amour. Mon médecin me crie : « Des femmes ! »
J'aime mieux des sangsues. Je trouve décidément bien
monotones les organes à plaisir, ces trous malpropres dont
la véritable fonction consiste à remplir les fosses
d'aisance et à suffoquer les fosses nasales. L'idée
de me déshabiller pour faire ce petit mouvement ridicule me
navre et me fait d'avance bâiller d'ennui. Je reste stupéfait
en voyant des gens prendre des airs exaltés parce qu'ils se
passent un peu de crachat, d'une bouche dans l'autre, avec la pointe
de leur langue. Tout ça m'embête.
Un mot s'il vous plaît ! Mais venez vendredi. Inventez n'importe
quel prétexte. Jamais, jamais, vous ne retrouverez cela !!!!
Mille baisers.
G