A
LÉON HENNIQUE
[Fragment]
Vico, mercredi 29 septembre 1880.
...
Ta lettre m'est parvenue dans le petit village de Vico au milieu des
montagnes, et elle m'a jeté dans un grand embarras et dans
une vive perplexité : voici pourquoi.
Tu sais que j'ai fait ce voyage de Corse pour passer quelque temps
auprès de ma mère que sa santé a forcée
de quitter la France. Je l'ai trouvée un peu mieux portante,
mais elle a voulu suivre en voiture et de loin mes excursions afin
de ne point me quitter pendant les quelques jours que je passe ici,
et elle vient de tomber tout à fait malade à Vico, par
excès de fatigue sans doute. De sorte que depuis la semaine
dernière je la saigne en ce lieu et que je ne puis même
la ramener à Ajaccio. Aussitôt que je pourrai partir,
je prendrai le bateau sans même terminer mon voyage, ce qui
est embêtant, car je ne reviendrai peut-être jamais dans
ce magnifique pays ; et j'aurai dépensé beaucoup d'argent
pour rien, n'ayant fait encore qu'une excursion par suite de la mauvaise
santé de ma mère, qui est d'ailleurs désespérée
de me voir partir si vite.
... Je peux donner tout de suite une très courte nouvelle et
réserver pour le journal celle que je termine en ce moment
(à peu près longue comme Boule de Suif) et que je destinais
à Mme Adam. Je donnerai à cette Divinité Républicaine1
un récit de voyage en Corse ; ce sera toujours assez bon pour
son ennuyeux papier2.
C'est égal, j'aurais mieux aimé que le journal ne parût
que le 1er novembre. Ça me fait rater un bien beau voyage et
quitter bien tôt ma mère qui comptait me garder encore
un mois.
Je te presse sur mon sein ainsi que les amis...
1
Juliette Adam, fondatrice de la Nouvelle Revue.
2 Les fragments du voyage en Corse parurent, non dans la Nouvelle
Revue, mais dans le Gaulois, en octobre 1880.