A
GUSTAVE FLAUBERT
Paris, ce mardi
soir [novembre 1876].
Cher Monsieur
et ami,
J'ai reçu ce matin votre petit mot, et j'ai été
dans la journée chez M. Carvalho, que j'ai trouvé. Il
a paru très étonné en apprenant que vous n'aviez
pas reçu de lettre de lui et m'a affirmé qu'il vous
avait écrit dimanche soir. Il vous enverra une nouvelle lettre
demain, pour vous dire que son intention est de partir de Paris samedi
matin pour passer la journée avec vous.
Je n'ai que le temps de fermer cette lettre et de la porter au chemin
de fer pour qu'elle parte ce soir. Je vous écrirai d'ici à
quelques jours pour causer un peu avec vous, comme je le faisais ici
chaque dimanche. Nos causeries de chaque semaine étaient devenues
pour moi une habitude et un besoin, et je ne puis résister
au désir de bavarder encore un peu par lettre ; je ne vous
demande pas de me répondre, bien entendu, je sais que vous
avez autre chose à faire ; pardonnez-moi cette liberté,
mais, en causant avec vous, il me semblait souvent entendre mon oncle
que je n'ai pas connu, mais dont vous et ma mère m'avez si
souvent parlé et que j'aime comme si j'avais été
son camarade ou son fils, puis le pauvre Bouilhet, que j'ai connu,
celui-là, et que j'aimais bien aussi.
Il me semble voir vos réunions de Rouen. Et je regrette de
n'avoir pas été avec tous ceux-là au lieu d'être
avec les amis de mon âge qui n'ont pas une idée de ce
qui existe.
Pardon pour ce griffonnage. Veuillez croire à mon affection
la plus dévouée et la plus vive.
G. DE M.
