Guy De Maupassant

« Et, dans la suite des temps, ceux qui ne le connaîtront que par
ses œuvres l'aimeront pour l'éternel chant d'amour qu'il a chanté à la vie »
Émile Zola

Correspondance (1876)

A Catulle Mendès

A CATULLE MENDÈS

MINISTÈRE DE LA MARINE
ET DES COLONIES
Ce lundi matin [fin octobre 1876].

Mon cher ami, je vous préviens que je n'ai reçu aucun N° de la République des Lettres1. J'en ai acheté un que j'envoie à Flaubert ; mais comme je ne veux pas recevoir la mercuriale qu'il m'adresserait infailliblement, j'ai soin de lui dire que vous avez fait à la dernière heure quelques changements qui modifient un peu ma pensée sur Balzac. Car je sais qu'il le juge absolument comme moi ; et que, tout en admirant son incontestable génie, il le considère non point comme écrivain imparfait, mais comme pas écrivain du tout. En outre, de cette façon, ce que je dis ensuite de Flaubert ne répond plus parfaitement à ce qui précède.
Mais ce qu'il me reprocherait certes le plus, c'est la répétition du mot immense à 2 lignes d'intervalle, l'emploi du mot fille pour dire catin et surtout le dernier hiatus (son ami Ivan) à cause duquel j'avais supprimé le prénom de Tourgueneff. Car Flaubert est impitoyable pour ces sortes de choses - et je serai déjà assez grondé par lui pour quelques répétitions, et un abus de phrases incidentes que le peu de temps ne m'a pas permis d'éviter.
Vous seriez bien gentil de mettre de côté la pièce de vers que je vous ai envoyée en dernier lieu, pour me la remettre quand j'irai vous voir, car je n'en ai point le double, et je veux garder tous mes vers, cela peut être utile un jour ou l'autre. J'en pensé que puisqu'elle ne vous plaisait pas beaucoup, vous préfériez ne point la faire paraître. Cela vaut mieux, n'est-ce pas ? Voilà pourquoi je vous prie de ne point la laisser s'égarer, car vous auriez pu croire que j'en avais le double.
Je vous serre la main bien affectueusement.
Tout à vous,

GUY DE MAUPASSANT


1 La République des Lettres (N° du 23 octobre 1876) contient un article de Maupassant (signé Guy de Valmont) consacré à Flauber
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