A
HERMINE LECOMTE DU NOÜY
Chalet des Alpes,
Antibes,
30 décembre 1886.
Ma chère
amie,
Merci mille fois. J'ai reçu la charmante épingle. Vous
allez recevoir, à votre tour, un bracelet. Pardonnez-moi s'il
n'est pas neuf ; voici son histoire. Une femme qui fut belle, riche
et heureuse, aujourd'hui vieille, ruinée et cruellement frappée
de toutes façons, restée d'ailleurs fort honorable,
m'a écrit pour me demander un entretien. Elle habite Nice et
me priait de la protéger pour obtenir un petit emploi.
Comme je l'interrogeais avec beaucoup d'intérêt, elle
se mit à parler avec confiance, me conta sa vie et sa profonde
misère, son abominable misère.
Je lui offris de l'argent qu'elle refusa, mais elle me dit :
« Avez-vous une amie assez intime pour lui offrir un bracelet
que j'ai porté, en lui disant d'où il vient, sans me
nommer, bien entendu, et en lui répétant surtout qu'il
a appartenu à une honnête femme, à une très
malheureuse et très honnête femme ? Dans ce cas, je veux
bien vous vendre ma gourmette en or. »
J'ai donc acheté cette gourmette, à laquelle elle a
voulu ajouter un très vilain petit médaillon. J'ai acheté
un écrin et je vous envoie le tout.
J'ai pensé que cela ne vous déplairait pas. Je vous
baise les mains, en vous envoyant tous mes souhaits pour vous, pour
Pierre, pour vos parents et pour « Filles du Monde ».
GUY DE MAUPASSANT