A
HERMINE LECOMTE DU NOÜY
Yacht Bel-Ami,
novembre 1886.
Ma chère
amie,
Moi aussi, je vis dans une solitude absolue. Je travaille et je navigue,
voilà toute ma vie. Je ne vois personne, personne, ni le jour,
ni le soir. Je suis dans un bain de repos, de silence, dans un bain
d'adieu. Je ne sais pas du tout quand je reviendrai à Paris.
Je voudrais bien travailler tout l'hiver pour être un peu libre
tout l'été. Paris ne me dit rien d'ailleurs. Vous, ne
viendrez-vous point à Villefranche ? J'irais vous y voir avec
mon yacht, sans vous proposer de promenade en mer, car je sais que cela
ne vous plaît guère. Dites-moi jusqu'à quelle époque
vous resterez à Paris pour que je fasse coïncider mon apparition
dans cette ville avec le séjour que vous y ferez. Merci de vos
gentilles lettres et de toutes les nouvelles que vous me donnez. Si
vous avez une minute, écrivez-moi, et pardonnez-moi de vous répondre
si peu, je n'y vois plus, tant j'ai fatigué mes yeux. Donnez
vos mains. Je vous baise aussi les pieds.
MAUPASSANT
Et j'embrasse Pierre1.
1 Pierre Lecomte
du Noüy, fils de Mme Lecomte du Noüy, biologiste célèbre
(1883-1947).
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