A
OCTAVE MIRBEAU
10, rue de Montchanin.
[1886.]
Mon cher Mirbeau,
Qu'est-ce qui te prend de m'engueuler ? Peu m'importe au fond d'être
engueulé mais ce qui m'embête c'est d'être suspecté
de faire de la réclame pour une chose qui m'ennuie par elle-même
plus que tu ne peux croire.
J'ai reçu cinq traites signées de mon nom, faites par
l'homme que je cherche à faire arrêter par tous les moyens
possibles. Et je voudrais bien savoir comment tu t'y prendrais à
ma place ?
Or je sais son nom, son âge, son signalement. J'ai plus de cent
témoins qui l'ont vu opérer en le prenant pour moi1. -
Sans compter que dans beaucoup de villes du midi on est persuadé
que le filou, c'est moi.
Le parquet connaît cet homme, sa famille, toute sa vie. - Que
faut-il de plus ? Il me semble que, étant données les
relations que nous avons eues ensemble jusqu'ici tu aurais pu, au moins,
t'assurer de la vérité de la chose avant de formuler ce
qui n'était chez toi qu'un soupçon.
J'ai le dossier de l'homme à ta disposition avec les preuves
!
Je regrette que tu attaches si peu de prix à une camaraderie
ancienne, que tu trouves amusant de la rompre pour le plaisir seul de
manifester des doutes sur la véracité d'un ami qui ne
t'avait jamais donné, je crois, l'occasion de suspecter son affection
ou sa sincérité.
Je te serre la main.
GUY DE MAUPASSANT
Voir la lettre N° 431.
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