A
ALPHONSE DAUDET
10, rue de Montchanin.
[Fin 1885.]
Mon cher grand confrère
et ami,
J'ai été tellement malade, le jour de la première
de Sapho1, qu'il m'a été impossible d'aller au théâtre,
sans quoi je vous aurais serré la main et vivement remercié
pour la loge que vous m'avez fait avoir si promptement.
J'ai pu hier, enfin, voir votre pièce qui m'a fortement ému
et charmé. C'est assurément la première fois qu'un
roman se trouve ainsi transporté sur la scène sans aucune
déformation, sans aucune supercherie, avec ses qualités
particulières d'émotion, avec toute sa saveur propre.
C'est non seulement là un magnifique succès pour vous,
mais un précédent inestimable pour tous les romanciers.
Et j'ai lu Tartarin ! C'est une des ouvres les plus franchement comiques
et amusantes que je connaisse : La Société de Bompard
est en même temps une merveille de drôlerie et de fantaisie
ingénieuse. Et comme ils sont étranges, inquiétants
et gentils, vos nihilistes ! Quel singulier contraste avec ce brave
Tartarin !
J'ai encore une fois tenté de vous trouver chez vous (la 3e),
mais vous n'y étiez toujours pas.
Je vous écris donc ce que je voulais vous dire ; et je vous serre
bien cordialement les mains, en vous priant de présenter tous
mes compliments respectueux à Madame Daudet.
MAUPASSANT
1 Théâtre du Gymnase, 19 décembre 1885.
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