A
SA MÈRE
[Fragment]
De Paris, 7 juillet 1885.
Ma bien chère
mère,
J'ai attendu pour t'écrire que j'eusse vu Sardou. Or j'ai été
hier à Marly et je l'ai trouvé. Il m'a reçu avec
la plus grande gracieuseté et m'a beaucoup parlé d'H...1
Mais il n'a aucune nouvelle de Nice à ce sujet. Son père
qui est descendu de sa chambre en sachant que j'étais là
est même fort irrité de n'être pas tenu au courant.
Il y a eu paraît-il une réunion du Conseil d'Administration
où des résolutions ont été prises, sans
qu'elles lui aient été communiquées. Mais il m'a
dit : « La chose sera faite. Il faudra peut-être attendre
mon retour mais je donnerais (sic) ma démission plutôt
que de permettre que cela ne fût pas. » A ce sujet des idées
et des réflexions me sont venues. H..., étant candidat
à une place, a-t-il eu soin de porter des cartes chez les différents
membres du Conseil d'Administration de qui dépend cette place
? cela était absolument indiqué.
Enfin Sardou m'a dit : Ne vous inquiétez pas s'il y a encore
un peu de retard.
J'ai vu aussi M. Maillet du Boullay. [...]
Il a été absolument séduit par la saucière
en marseille avec des ors en relief que j'ai achetée à
Cannes. Il m'a dit que c'était une pièce des plus belles,
des plus rares, des plus curieuses, digne de n'importe quel musée.
Rien de nouveau pour Bel-Ami. C'est ce livre qui m'a empêché
d'aller encore à Étretat, car je me remue beaucoup pour
activer la vente, mais sans grand succès. La mort de Victor Hugo
lui a porté un coup terrible. Nous sommes à la vingt-septième
édition soit 13000 vendus. Comme je te le disais nous irons à
vingt mille ou vingt-deux mille. C'est fort honorable, et voilà
tout.
Je pars vendredi à une heure pour Étretat. Je n'y resterai
que 3 jours, puis je reviens ici, et je me mettrai en route pour Châtel-Guyon
le 18 juillet.
Décide-toi donc à y venir. Cela me ferait tant de plaisir
de passer avec toi ces vingt-cinq jours. Si tu te décidais, je
louerais une petite maison, ce que je ne ferai pas si je suis seul,
et j'emmènerais François qui nous servirait. Mais je voudrais
bien que tu m'envoyasses une réponse immédiate à
Étretat pour que je prenne mes dispositions en conséquence.
Adieu, ma bien chère mère, je t'embrasse mille fois de
tout mon cur. Une bonne poignée de main à Hervé.
Ton fils,
GUY DE MAUPASSANT
Hervé, le frère de Maupassant.
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