A
ÉMILE ZOLA
83, rue Dulong,
23 mars [1884].
Cher Maître
et ami,
Arrivé hier à Paris, pour repartir demain, j'ai trouvé
cher moi La Joie de vivre. J'ai passé la nuit à la lire
et je veux vous dire tout de suite que j'ai trouvé superbe ce
roman.
Je n'ose pas dire que ce soit le plus remarquable que vous avez fait,
mais c'est celui qui me plaît le plus, qui m'a le plus empoigné.
Ayant souvent vécu chez des gens de la classe et de la nature
de ceux que vous racontez, j'ai été saisi par la navrante
et constante vérité de leurs caractères. La mère
et Lazare m'ont surtout frappé. Ils sont admirablement humains.
J'ai eu d'ailleurs dans ce livre la sensation d'un bain d'humanité.
Et ce paysage de la mer, que je connais tant et que j'aime, complétait
cette illusion d'une chose que j'aurais vue. C'est vrai à crier,
tout cela, et empoignant à faire pleurer. Et comme les deux bêtes
sont admirables !
Si je puis disposer d'une minute, et si vous êtes à Paris
je vais essayer de vous trouver, pour vous dire tout le plaisir personnel
que m'a fait votre roman en dehors même de mon admiration pour
cette uvre si puissante et si exacte.
Voilà si longtemps que je n'ai eu le plaisir de vous serrer la
main et de causer avec vous !
Croyez, mon cher Maître et ami, à ma bien vive et reconnaissante
affection, et présentez, je vous prie, à Madame Zola mes
compliments bien empressés et respectueux.
GUY DE MAUPASSANT
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