Théophile
Gautier 1811 - 1872
26 - Revue des Deux Mondes, tome 27, 1841
Revue des arts
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Revue des Deux Mondes,
tome 27, 1841 A aucune époque, lon ne sest plus activement occupé de lembellissement de Paris, qui certes en a besoin ; car, il faut lavouer, Paris, qui est devenu la Rome moderne, loeil et le cerveau de lunivers, ne répond pas encore, sous le côté monumental, à cette haute position intellectuelle. A part cinq ou six grands édifices, plus vastes que curieux, plus riches que parfaits, larchitecture y est médiocre et noffre quun petit nombre de modèles à létude ; Paris, relativement à sa grandeur et à son importance, possède peu de sculptures publiques, peu de fontaines monumentales, peu de façades remarquables. Ses splendeurs son plutôt intimes quextérieures, et il serait difficile pour létranger de soupçonner que ces maisons si nues et si mesquines daspect renferment des appartemens où sont réunies toutes les recherches du luxe, du comfort et des arts. Les églises sont dune pauvreté, honteuse pour un pays dont les rois ont toujours porté le titre de majestés très chrétiennes et de fils aînés de léglise ; les fontaines nont dautre mérite que de verser de leau, et pas toujours encore; les monumens publics manquent pour la plupart de sculptures et de statues. Il sagit donc plutôt dorner que dachever que de poser au hasard les fondemens problématiques dédifices qui ne se terminent jamais et dont les ruines neuves et les échafaudages vermoulus donnent à la ville lair dune Carthage en construction. Jusquici ça été un peu notre défaut, de nous jeter corps perdu dans toutes sorte de bâtisses bientôt abandonnées. Nous sommes enfin guéris de cette maladie; aujourdhui lon achève et lon restaure. - Idée toute nouvelle pour des têtes françaises - Tout ce qui semblait interminable est arrivé à fin, larc-de-triomphe, le palais du quai dOrsay, le palais des Beaux-Arts, la Madelaine, lHôtel-de-Ville, la colonne de Juillet, léléphant de la Bastille lui-même a été débarrassé de sa carapace de planches, et finira triomphalement par souffler leau de sa trompe de bronze. Saint-Denis, qui chancelait sous sa haute vieillesse, a été raffermi et rajeuni de manière à pouvoir vivre encore bien des siècles; Saint-Germain-lAuxerrois a été soigneusement pansé des blessures de lémeute. On remet dans les niches de Notre-Dame les statues que 93 en avait précipitées. Toutes les statues deux fois martyres qui ont perdu leur nez, leurs doigts ou leur tête, soit par le fait du temps, soit par le fait des hommes, en reçoivent de tout neufs, approchant le plus possible de leur style antique. Les plans de la Sainte-Chapelle ont été retrouvés, ce qui donne toute sécurité et tout certitude à la restauration quon en va faire. Lon a orné dune fontaine de M. Klagmann, la plus jolie et la plus complète peut-être qui soit dans Paris, lemplacement de lancien Opéra, sur lequel devait sélever le monument expiatoire. - Ce vaste champ que lon appelle place Louis XV, place de la Révolution ou de la Concorde, et que rien ne semble pouvoir remplir, a été meublé dobélisque, de fontaines, de statues, de colonnes lampadaires, et, si ces embellissemens sont dun goût médiocre, la faute nen doit être imputée quaux artistes chargés de leur exécution, et que rien nempêchait de faire des chefs-duvre. Puisque nous voilà tout portés sur la place de la Concorde, traversons, en manière de transition oratoire, le pont débarrassé de ses douze colosses, en tête duquel on devrait bien élever, en marbre, les colonnes de carton-pierre qui lui donnaient tant délégance aux fêtes des funérailles de lempereur, et occupons-nous dabord du fronton de M. Cortot à la chambre des députés, uvre importante et consciencieuse, sinon remarquable. La chambre des députés nest pas un monument qui nous réjouisse beaucoup en lui-même, ni par son extérieur, ni par son intérieur. Cest du grec maussade et mal compris, du classique et non de lantique. Les colonnes, trop grêles, trop longues et trop rapprochées, font leffet le plus disgracieux; les deux ailes, aveugles et sans autre ornement que deux bas-reliefs, offusquent loeil par leur nudité; mais, comme il ny a malheureusement pas à revenir là-dessus, laissons la chambre des députés telle quelle est, et parlons du fronton de M. Cortot. La forme triangulaire, forme fatale et nécessaire du fronton grec, est assurément une des plus défavorables au statuaire. Lextrême abaissement des lignes vers les angles ne lui permet, aux deux extrémités que des figures assises, agenouillées ou couchées dans les positions les plus strapassées du monde. Cet inconvénient était moindre pour les sculpteurs grecs, dont le système de composition était plus simple que le nôtre, qui ignoraient ou pratiquaient peu lart des plans, et navaient à représenter que des figures consacrées dun type certain, et dune attitude presque hiératique. Lordonnance de ces frontons est donc forcément la même. Au milieu, dans tout le développement que permet lélévation de langle, la figure principale, le génie symbolique de lédifice ; de chaque côté, les groupes supplians ou protégés ; aux deux bouts, les figures de remplissage et les accessoires. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, déchapper à cet arrangement inévitable, et les efforts que lon ferait pour en sortir naboutiraient peut-être quà des combinaisons forcées ou ridicules ; le mieux est donc, sans chercher plus quil ne faut une composition originale, de soigner lagencement des figures, le jet des draperies et les détails de lexécution, doù dépend après tout le mérite dune uvre dart. M. Cortot est assurément un homme de mérite et de savoir ; sans briller au premier rang, il tient une place honorable. Il na pas de grands défauts, mais il manque de grandes qualités. Son ordonnance est sage, mais na rien qui saisisse. Son anatomie est correcte, son dessin juste, mais sans grandeur de style ; cependant ses draperies sont ajustées avec beaucoup de soin, dentente et de goût ; son ciseau a de la franchise et de la netteté. On voit que M. Cortot a étudié lantique, connaît la tradition et les modèles ; son fronton est une uvre consciencieuse, convenable, et de plus en harmonie peut-être avec le monument quil décore que ne le serait une sculpture plus hardie et plus actuelle. Personne ne sera choqué, mais personne non plus nadmirera. Voici la manière dont M. Cortot a disposé sa composition : au centre est assise sur un trône la figure colossale de la France, personnifiée sous les traits dune femme au profil de Minerve, aux yeux fiers et sereins ; elle supporte de la main gauche des tables de pierre où sont gravés les mots : Charte de 1830. Le trône est gardé par deux figures adossées qui rappellent un peu lIliade et lOdyssée de M. Ingres, et quon reconnaît aisément, à la massue et aux balances quelles tiennent, pour la Force et pour la Justice : à droite et à gauche de la France se tiennent debout les groupes représentant les Arts, lArchitecture, la Peinture, la Sculpture, la Musique avec la palette, léquerre, le marteau et le papier réglé. - Nous navons pas pu trouver la Poésie qui aurait dû, ce nous semble, tenir la première place dans ce groupe symbolique, la Poésie étant le premier des beaux-arts et en quelque sorte celui qui les résume tous LArmée, la Marine, lIndustrie, lAgriculture, lAbondance, la Seine et la Marne, représentée par des figures nues ou drapées, avec les attributs marqués par liconologie classique, occupent le reste de la composition. - Tout cela est dune ordonnance un peu symétrique, dun aspect un peu froid, mais nous nen ferons pas reproche à M. Cortot : la sculpture et la peinture, quand elles se trouvent liées à des monumens et combinées avec des lignes architecturales, doivent participer autant que possible à la symétrie de lédifice, dont elles font partie intégrante. - Des compositions dun mouvement plus désordonné et plus chaleureux rompent souvent lharmonie générale, et, exécutées sur place, ne produisent pas leffet quon semblait en attendre : les groupes équilibrés et les lignes calmes du fronton de M. Cortot répondent assez bien à la perpendicularité des cotonnes et aux proportions géométriques du cadre qui les enserre. Ce serait peut-être ici le lieu dagiter limportante question de savoir si lart moderne ne devrait pas renoncer à se servir exclusivement du symbolisme antique; nest-il pas extraordinaire de voir une Minerve grecque soutenir, sur le fronton de la chambre des députés, la charte de 1830, qui assurément na rien dantique en soi-même? Le Mercure, avec ses talonnières et son caducée, est-il un emblème bien approprié au commerce et à lindustrie actuels? Un statuaire de beaucoup de talent, M. David, ayant à rendre une composition à peu près analogue, a franchement rejeté lallégorie et na pas craint daborder dans ses détails les plus prosaïques la difficulté du costume moderne; malgré la perfection de plusieurs partis prises isolément, à part quelques têtes dune rare beauté lon ne peut pas dire que leffet général soit satisfaisant. - Puisque lon a conservé larchitecture grecque, ou plutôt gréco-romaine, il faut pousser limitation jusquau bout et nous servir de leurs données iconologiques, quoiquil soit assez étrange, dans un pays depuis si long-temps catholique, de ne pouvoir traduire une idée sur un monument public quau moyen dune formule païenne. Nous navons pas encore le droit de nous moquer de Louis XIV se faisant sculpter en Hercule ou en Apollon. Un Romain du temps dAuguste, qui reviendrait au monde et se promènerait dans Paris, pourrait croire que les douze grands dieux boivent toujours le nectar dans leur coupe dor au sommet de lOlympe, rien ne lavertirait quil existe une autre religion ; il retrouverait à chaque pas des Pomones, des Flores, des Cérès, des Bacchus, des Vénus, des Mercures, des Termes, en aussi grand nombre quau temps des Césars. Singulier phénomène ! Jésus-Christ a bien pu détruire luvre des théosophes et des mystagogues antiques, il a bien pu tuer lidée du paganisme, mais non sa forme. La religion dHomère, de Phidias et de Cléomène subsistera toujours ; eux seuls ont connu le vrai beau, lidéal cherché à travers la forme humaine. Dans la plastique des autres théogonies, il y a toujours quelque chose de barbare et de monstrueux, parce que la matière nest pas mélangée à lesprit dans une proportion suffisante : cest à cette cause quil faut attribuer lamaigrissement excessif de lart gothique ; à force davoir peur de tomber dans la sensualité, les artistes catholiques nosaient plus développer une forme ou soutenir un contour. Le mysticisme effréné de lInde, la symbolique immuable de lEgypte, nont pu, pour la même raison, se traduire que par des arts difformes, disproportionnés, souvent hideux. Ce nest quaprès avoir long-temps étudié la Vénus et les marbres grecs que Raphaël a trouvé pour la mère de notre Dieu le type immortel de la madone, qui à son tour survivra peut-être à lidée quil représente ; car il ny a déternel dans ce monde où nous sommes que le génie et la beauté. Les religions, les lois, les murs, les civilisations et les empires, tout cela passe... Mais un ver dHomère, un contour de Phidias, un trait de Raphaël, sont impérissables. Ainsi donc M. Cortot, ayant à décorer un monument darchitecture grecque, a bien fait den accepter les conséquences, et de ne pas sécarter des traditions de la statuaire antique ; seulement il faudrait, pour compléter lillusion, obliger nos législateurs modernes à revêtir la tunique et la toge romaine. Cela ne serait-il pas un spectacle fort agréable que de voir une théorie de députés drapés en statues romaines, et se déployant sur les marches de lescalier de ce palais quon appelle chambre par une antinomie tout-à-fait impropre ? En résumé, un autre statuaire aurait pu mettre plus de talent dans cette grande page sculpturale, mais non plus de convenance que M. Cortot : sa composition bien réglée, un peu froide, ni trop idéale, ni trop réelle, était bien ce quil fallait à cette façade darchitecture indécise et bâtarde, hésitant entre lart grec et lart romain. Le talent académique ne saurait aller plus loin. M. Jouffroy, lauteur de la Jeune fille confiant son secret à Vénus et de la Désillusion, exposée au dernier salon, a adopté le parti contraire dans un fronton pour lhospice des Jeunes Aveugles quil vient de modeler et que nous avons eu occasion de voir. Il a eu le courage dêtre franchement actuel. La figure du fondateur de lhospice, assise sur un fauteuil, occupe le milieu de la composition; cest un homme dun certain âge, la figure douce et bienveillante, en costume français du temps de Louis XVI; à côté le lui se tient debout une figure allégorique, la Bienfaisance ou la Charité; les jeunes aveugles groupés pittoresquement sont distribués dans les deux angles du fronton, les jeunes filles dun côté, les garçons de lautre; ceux-ci apprennent à lire, ceux-là à jouer de quelque instrument; le reste tresse des paniers ou se livre à quelque occupation mécanique. M. Jouffroy a relégué vers les deux pointes, en les écartant du foyer central de lumière, les professions qui exigent moins dintelligence et peuvent sapprendre en quelque sorte avec les yeux de la main. Cette idée et juste et philosophique, et se traduit par un moyen tout-à-fait du domaine de lart. Lâge varié et la taille inégale des enfans lui a donné aussi pour sa composition des facilités dont il a su tirer bon parti; les robes des petites filles, les blouses et les tabliers des petits garons, drapés avec beaucoup de soin et de goût, ont acquis, sans perdre leur caractère, assez de style et de noblesse pour ne point inquiéter les yeux par des formes disparates, et devront sur place sharmoniser heureusement à larchitecture; il y avait outre cela, dans le fond même du sujet, une difficulté assez malaisée à vaincre: cétait de faire sentir la cécité de toutes ces figures enfantines; les statues avec leurs yeux blancs et leurs regards vides ont déjà lair aveugle même lorsquelles sont clairvoyantes. Il était donc assez difficile de faire comprendre, avec les moyens de la statuaire, que ces figures si activement occupées sont, par naissance ou par accident, privées de lorgane de la vision. M. Jouffroy a rendu parfaitement cet effet par le tremblement des paupières et la mimique de la face, exprimés avec une grande habileté physiognomonique. Linquiétude de la forme et le désir de la lumière se traduisent intelligiblement sur ces têtes aux regards émoussés quà défaut du soleil vivant éclaire le flambeau intérieur de lintelligence. Ce fronton, exécuté à la moitié de sa grandeur, est modelé avec beaucoup desprit et de finesse, et, sil produit en pierre et au grand jour le même effet que dans latelier de lartiste, ce sera une uvre remarquable et qui fera honneur à M. Jouffroy, dont jusquici lon na pas vu de grandes compositions et que lon ne connaît que par des statues isolées. Du fronton des Jeunes Aveugles de M. Jouffroy au tombeau de labbé de lEpée à Saint-Roch, par M. Auguste Préault, la transition est aisée et naturelle. Il sagit également ici de glorifier une de ces ames généreuses, à dévouemens obscurs, et que rien ne rebute lorsquil sagit de secourir une portion de lhumanité en souffrance. Ainsi que le fondateur de lhospice des Jeunes Aveugles, labbé de lEpée, à force de soins, defforts et de persévérance, est parvenu à faire participer à la communion de lintelligence humaine de pauvres êtres que leur infirmité avait jusque-là séparés du reste du monde, et chez qui la nature marâtre avait muré deux des ouvertures par où le cerveau de lhomme communique ou reçoit les idées : loreille et la bouche. Elevé par suite dune souscription, le tombeau de labbé de lEpée est dune simplicité que recommandaient la modestie de la somme à dépenser, et le caractère de celui quil recouvre ; la richesse dailleurs ne fait pas la beauté, et ce petit monument, tel quil est, a plus de tournure et de style que bien dautres élevés à grands frais. Il se compose dun cippe ornée de guirlandes, de feuillages funèbres retenus aux angles par des hiboux sculptés : au milieu, dans une espèce de cartouche à la manière égyptienne, sont gravés en creux, coloriés et dorés, les vingt-quatre signes de lalphabet des sourds-muets, vingt-quatre mains hiéroglyphiques dans toutes les positions possibles, ayant chacune à côté delle la lettre quelle représente. Au-dessus sélève un socle terminé par une acanthe fouillée et découpée à jour. Sur ce socle sont écrits les noms de labbé de lEpée, les dates de sa naissance et de sa mort en style lapidaire. Voici pour larchitecture, dessinée et ordonnée par M. Lassus, lingénieux restaurateur de Saint-Germain lAuxerrois. La part du statuaire consiste en un buste de labbé de lEpée et en deux enfans, un petit garçon et une petite fille en bronze. Le buste est posé sur lacanthe fleurie qui termine le socle, les enfans sont ajustés à droite et à gauche aux pans du socle, et portent sur le cippe funéraire. Tout cela forme un ensemble harmonieux et qui plaît à loeil. labbé de lEpée nétait guère plus beau que saint Vincent de Paule, cet autre bienfaiteur de lhumanité. A cette difficulté se joignait encore celle dattraper la ressemblance iconique dune personne morte depuis long-temps, et dont il ne reste que de fort méchans portraits ; car vous pensez bien que le bon abbé de lÉpée ne passait pas son temps à se faire peindre, et quil était trop pénétré dhumilité chrétienne pour avoir jamais lidée quon lui élevât un monument. Cependant des vieillards qui ont connu cet homme vénérable ont été frappés de la ressemblance de ce buste, et en ont complimenté lauteur. -. Nous ne pouvons juger que du mérite de lexécution ; elle est satisfaisante sur tous les points : les traits, quoique communs et nayant rien de sculptural, sont animés dune bienveillance et dune onction qui en dissimulent la laideur. Les yeux ont cette fixité rêveuse que donne la préoccupation dun noble problème ardemment poursuivi, tandis que la bouche respire bien la charité évangélique et la bonhomie chrétienne. Le collet, le rabat, le petit manteau, se lient bien avec les lignes du socle, et ménagent autant que possible la transition un peu crue du blanc de la pierre avec la teinte verte et métallique du bronze. Les deux enfans lèvent vers leur bienfaiteur des yeux mouillés de reconnaissance et illuminés de la joie de pouvoir se comprendre enfin lun et lautre. Leurs petites mains dans une pose gesticulatrice sont en train dexprimer une phrase... la première peut-être. Toutes les portions de nu sont dune étude et dune vérité charmantes. Les draperies que lauteur, pour plus dharmonie, a cru devoir disposer dans le goût qui régnait à lépoque de labbé de lEpée, sont peut-être un peu trop tourmentées et chiffonnées à plaisir. Ce monument, découvert depuis quelques jours, occupe une chapelle latérale de Saint-Roch où il attire de nombreux visiteurs. Cette uvre, dune sagesse et dune convenance parfaites, donne raison à M. Auguste Préault contre les malveillance systématiques et ridicules qui ont fait retirer de Saint-Germain-lAuxérrois sont Christ en croix, commandé par le ministère de lintérieur, et que M. Lassus larchitecte et messieurs du clergé avaient trouvé ce quil est en effet, un morceau des plus remarquables et dont le pareil nexiste dans aucune église de Paris. Certes, lAntinoüs et lApollon du Belvédère sont de fort beaux types, mais quil est au moins intempestif demployer lorsquil sagit de représenter le rédempteur de lunivers moderne. Le Christ de M. Préault nous rappelle, pour la profondeur du sentiment et limmensité de la souffrance, les plus beaux crucifix dAlonzo Cano et de Montañez. Il ne serait déplacé dans aucune cathédrale espagnole, car lexpression de lascétisme catholique y domine à un degré bien rare chez les statuaires de notre époque, que la tendance exclusive de leurs études éloigne forcément des idées et des traditions chrétiennes. Espérons que cet affront si peu mérité sera réparé comme il doit lêtre, et que le Christ de M. Préault trouvera dans quelque autre église une place digne de lui. M. Pradier vient de terminer au Luxembourg, sur la partie neuve qui regard le jardin, une uvre capitale de sculpture, qui participe à la fois du fronton et de lattique : du fronton par le bas-relief, de lattique par les figures de ronde-bosse qui garnissent la corniche perpendiculairement à chaque colonne. Voici lordonnance de ce morceau, lun des plus satisfaisans qui soient encore sortis de lélégant ciseau de M. Pradier. Un cadran dhorloge forme le centre de la composition. Deux grandes figures allégoriques, le Jour et la Nuit, dans une attitude pleine dune élégante hardiesse, la Nuit vue de dos, le Jour vue de face (car M. Pradier, jugeant avec raison quune idée abstraite na pas de sexe, sest permis de féminiser le jour), sont jetées à droite et à gauche du cadran autour duquel flottent les plis légers de leurs draperies. - Le Jour tient un flambeau à la main et laisse tomber des fleurs; la Nuit est symbolisée par des étoiles et une chauve-souris. Ces figures, très bien entendues de bas-relief et de grande dimension, ont une grace et une tournure charmantes. Il est difficile de voir quelque chose de plus aérien et de plus transparent que les draperies volantes qui jouent autour de leurs beaux corps sans les cacher, et les caressent plus quils ne les voilent. Plus bas, sous larc dun zodiaque constellée de signes dor, est assis un petit génie tenant des guirlandes de fleurs et de fruits. Cest la figure la moins réussie: les raccourcis quelle présente la font paraître courte, bouffie et strapassée. Les enfans offrent de grandes difficultés, surtout lorsquil faut donner à leurs formes encore inachevées le caractère monumental. La nuance entre la vérité et la convention est très difficile à saisir. Lon arrive aisément à lempâté et au massif, ou lon tombe dans la souplesse chiffonnée de François de Bologne le statuaire, qui après tout a encore le mieux compris les graces et la morbidesse de lenfance. Six statues entièrement détachées complètent lordonnance de la façade. Elles sont ainsi rangées en partant de la gauche du spectateur: un peu en arrière, sur le retrait de la corniche, se présente dabord la Guerre, symbolisée par un guerrier, suivant le système de M. Pradier de ne pas tenir compte du sexe des abstractions allégoriques. Cette figure tout-à-fait dans le style grec, est coiffée dun de ces casques à grande crinière dont Homère fait de si complaisantes descriptions ; une épée et des javelots du même style complètent lajustement de cette statue un peu académique. Il nous semble que M. Pradier aurait pu aisément, avec sa connaissance de lantiquité, armer complètement sa figure de la guerre dune façon historique et pittoresque tout à la fois. La jambe repliée et posée sur une pierre fait un angle forcé et disgracieux quexplique peut-être le désir de donner du mouvement à la ligne générale. La Sagesse, qui vient après, se montre sous les traits dune Minerve avec la cuirasse écaillée, le casque athénien, les draperies longues et sévères, le maintien chaste et digue, qui caractérisent la fille intellectuelle sortie armée et froide du front bouillonnant de Jupiter. A côté de la Sagesse est placée lEloquence, la parole près de la pensée, la bouche près du cerveau. Cest une belle et noble femme, à la tête inspirée, au geste dominateur, drapée dans son beau manteau grec avec plus de soin quHortensius, le coquet orateur, qui ne manquait jamais de consulter son miroir avant de monter à la tribune. Sur lautre morceau de lattique, interrompue par la place laissée au cadran et aux bas-reliefs qui laccompagnent, sont posées la Prudence et la Justice. La Prudence, dans une attitude pensive et réservée avec sa physionomie pleine de finesse et de précaution, son doigt mystérieusement placé sur la bouche, se fait reconnaître aisément malgré labsence dattributs. Cette statue, qui a quelques rapports avec la Mnémosyne, est dune beauté vraiment antique, et, si elle avait été trouvée dans quelque fouille, on nhésiterait pas à la croire des plus beaux temps de la sculpture grecque : la Justice, qui vient après, se fait remarquer par une admirable entente des draperies. Il est difficile dajuste et dagencer des plis avec plus de goût et de style. La Paix, qui décore de ce côté le recul de lattique et fait pendant à la Guerre, se présente sous les traits de lHercule au repos, appuyé sur sa massue , avec la peau du lion de Némée et une banche dolivier à la main. Un hercule au repos caractérise fort bien la paix, car ce nest quau prix de longs travaux quelle sacquiert ; il faut, pour lobtenir, avoir écrasé lhydre, vaincu le lion et nettoyé les étables dAugias : cette statue, entièrement nue, dune musculature vigoureuse et saillante, est rendue avec beaucoup de science et dénergie, quoique le caractère de ses formes se rapproche peut-être trop de lHercule Farnèse, ce type surhumain de la force physique. Cette page sculpturale est une des plus remarquables que nous possédions, tant pour létendue et la proportion des figures que pour la beauté et le mérite de lexécution. M. Pradier y a déployé tout le talent quon lui connaît: élégance, noblesse, grace, facilité et charme du ciseau. Il nest pas possible de traiter la pierre avec plus de souplesse et de précision. Peut-être même la perfection du travail est-elle poussée trop loin, car ces statues de fortes dimensions sont faites comme des camées, et nont rien à envier aux marbres les plus polis. Ce fini nuit même un peu à leffet, car leur position est très élevée, et plusieurs de leurs délicatesses se perdent par léloignement et la douceur du travail. La composition en elle-même na rien de particulier et ne sort pas des vagues données de lallégorie, mais nous nen ferons pas un reproche à M. Pradier. La mythologie et la symbolique modernes nétant pas encore arrêtées et définies, lartiste doit forcément sen tenir aux anciens erremens, et nous ne devons lui demander compte que de larrangement, du style et de la composition dans le sens pittoresque du mot. Quant à lidée en elle-même, nous ne pouvons lui chercher querelle de ce côté-la, attendu que cest aux métaphysiciens, aux théosophe et aux poètes à trouver les sujets que lartiste revêt ensuite dune forme plastique. Entrons maintenant dans lintérieur du palais, et voyons où en sont les travaux. Dans la bibliothèque, il ny a encore de place que deux compartimens de plafond par M. Riesener, lauteur de la Vénus instruisant lAmour, et de la Léda jouant avec le cygne, si remarquée au salon de cette année. Ces deux morceaux, dune couleur claire et brillante, sont peints largement, trop largement même pour être vus de si près; ils ont bien ce caractère étoffé et riche quexige la peinture de décoration. Le raccourci de la Renommée, qui souffle à pleines joues dans un clairon, nous a paru un peu forcé et ne sexplique pas bien; cest un défaut facile à corriger. Trois autres panneaux, encore blancs, attendent les sujets également allégoriques que M. Riesener est en train débaucher dans son atelier pour les retoucher et les finir sur place. La coupole du milieu est confiée à M. Eugène Delacroix. Ses magnifiques peintures de la salle du trône à la chambre des députés justifient ce choix et ont déjà donné la mesure de ce quil peut faire ; il a pris pour sujet lélysée des poètes, si magnifiquement décrit par Dante. Ses carton sont faits, et il a commencé à dessiner et à masser au fusin les premiers plans de sa composition quil exécutera sur le mur, à la chambre, de ce ton mat et solide qui distingue ses peintures de la chambre. Cette manière est préférable à la fresque proprement dite, dont les secrets et les procédés ne nous sont pas assez familiers, et qui ne doit pas saccommoder de lhumidité de nos climats, Ce que nous avons vu nous permet despérer que, dans quelque temps dici, lécole française, la première du monde aujourdhui, comptera un beau monument de plus. Les cinq panneaux réservés à M. Roqueplan sont encore vides. Nous ne sommes pas inquiets de la manière dont il les remplira. M. Louis Boulanger, chargé de la décoration de la salle de repos au bout de la bibliothèque, a presque achevé ses travaux; il ne lui reste plus que le plafond à faire. Ce salon est boisé de vieux chêne relevé de quelques filets dor dont le ton brun fait valoir les peintures qui en garnissent toute la partie supérieure. Ces tableaux sont ainsi disposés, à partir de langle gauche, à côté de la porte dentrée. La Paix.- Elle foule aux pieds des armures. LIndustrie lui offre ses produits, lAbondance verse des fruits près delle. Les génies des arts lui présentent leurs attributs. La Concorde. - Près delle deux jeunes femmes se tiennent embrassées; un groupe de génies mène en laisse un lion et un agneau. Un autre petit génie tient une grenade, symbole de lunion. La Justice. - Une famille lui demande protection; un génie, armé dun flambeau, met en fuite la Calomnie et la Violence ; un autre génie supporte des faisceaux, emblème du châtiment et de la puissance exécutrice. La Vérité Le Temps la découvre; on voit à ses pieds la Colère et lEnvie foulées et terrassées par un génie qui leur présente un miroir devant lequel elles reculent à laspect de leur laideur. Un second génie chasse lIgnorance. LEtude et la Méditation sont placées au-dessus des fenêtres, dans un jour doux et recueilli dans une demi-teinte transparente favorable à la tranquillité deffet, que réclament ces deus sujets plus calmes et moins brillans que les autres. Voici comment M. Louis Boulanger en a compris la composition. LEtude est représentée par un jeune homme pâle et sérieux qui lit dans un livre ouvert supporté par un enfant; un génie écarte lAmour et les Plaisirs qui viennent le troubler. La Méditation, protégée par la Nuit et le Sommeil, est assise, dans une attitude rêveuse, au milieu de livres et de parchemins épars ; deux enfans jouant avec un hibou sont groupés auprès delle. La silhouette nocturne dune ville avec ses tours et ses remparts se découpe sur un ciel de clair de lune. La Force. Elle est symbolisée par une femme robuste, daspect athlétique, qui tient un lion enchaîné; derrière elle, on aperçoit Hercule qui étouffe Antée, et des génies qui soulèvent la colonne brisée. La Clémence. Elle pardonne à un groupe de prisonniers; dun geste de la main, elle écarte les faisceaux suspendus sur les têtes coupables. A côté delle, un génie brise lépée vengeresse; au-dessus plane un aigle, un foudre dans les serres, un rameau dolivier dans le bec. En tout huit tableaux, sans compter le plafond. Jamais peut-être M. Bouanger ne sest montré meilleur coloriste. Le nombre et la variété des attributs, le mélange du nu et des étoffes, les coins de paysage et les bouts de ciel qui servent de fond, ont fourni au peintre, qui en a bien profité, de nombreuses occasions de déployer toutes les ressources de sa palette. Il est difficile de voir quelque chose de plus gai et de plus riche à loeil. M. Louis Boulanger sest librement inspiré de Rubens, souvenir quautorise et que justifie lendroit pour lequel il travaille ; on peut penser à Rubens dans ce palais encore tout ébloui du rayonnement de la galerie Médicis. - LEtude et la Méditation forment avec tout cet éclat le plus habile et le plus heureux contraste. La figure de la Nuit, étendant son voile sur la Méditation, est dune grande originalité de jet et de couleur. Le caractère demi-antique, demi-romantique, répandu sur toute la composition, y donne beaucoup de charme et de piquant. Les têtes des deux jeunes femmes qui sembrassent dans le tableau de la Concorde sont dune grace et dune couleur charmantes. Nous ferons remarquer aussi comme vigueur anatomique le groupe des lutteurs, comme pâte souple et grasse, et comme effet de clair obscur, la femme endormie, les bras reployés sur sa tête, dans le panneau de la Méditation. Le lion tenu en laisse par la Force ne le cède guère à ceux de Barye et de Delacroix. Les fruits, les étoffes, les accessoires, sont touchés dun pinceau facile, heureux et brillant, qui devient de plus en plus rare aujourdhui quune recherche malentendue de la sévérité et du style fait négliger la couleur et lentrain de lexécution. M. Flandrin est un exemple de ce que nous avançons ici. Certes cest un jeune homme plein de mérite, nourri détudes austères et sérieuses, ne cherchant que le beau et le noble, sans se préoccuper des goûts et des dédains de la foule. On ne saurait trop louer cette disposition desprit, dans un siècle où tous les arts tendent au métier; mais la mélancolie nest pas le marasme, le calme nest pas la mort. Le dessin ne repousse pas à ce point la couleur. La chapelle de Saint-Jean, que ce jeune peintre vient de terminer à Saint-Séverin, fait voir sans doute déminentes et bien rares qualités, mais le parti pris de pâleur adopté par lartiste dépasse réellement les limites de la convention que lon peut admettre jusquà un certain point dans les peintures murales et de décoration religieuse : - il faut sacrifier quelque chose à lharmonie générale, mais il ne faut pas lui sacrifier tout. Nous ne faisons pas consister le coloris dans léclat de certaines nuances ives; nous nous contentons dun ton local, juste et soutenu, encore quil nait rien de saisissant, et nous ne demandons pas à des dessinateurs, exclusivement préoccupés de la ligne, la fauve ardeur de Titien ni la pourpre éblouissante de Rubens; pourtant il ne faut pas que les terrains, les chairs, les draperies, ne soient teintés que de saumon pâle, de gris violâtre et de jaune hasardeux : en ce cas, il vaudrait mieux faire tout simplement une grisaille qui permettrait à loeil de jouir, sans être contrarié par des teintes dune fausseté pénible, des beautés dordonnance, de dessin et de style. Ce que nous disons là semblera peut-être dur à M. Flandrin, mais nous nous intéressons assez à lavenir de son talent pour ne pas lui ménager les vérités désagréables. Ce qui peut servir dexcuse en ceci à M. Flandrin, cest le désir dapprocher du ton mat et clair de la fresque, et de rendre laspect des peintures gothiques à leau luf des écoles primitives. Lidée en elle-même est juste, et, lorsque lon travaille à lornement dune vieille église catholique, il faut, autant que possible, se conformer, sans imitation servile, au style de lépoque et au caractère du monument. Mais lon oublie toujours une chose pourtant bien simple, cest que les anciennes peintures sont nécessairement décolorées et ternies par le temps, et navaient pas, lorsquelles venaient de sortir du pinceau des maîtres, cet aspect mystérieusement enfumé ou doucement éteint qui fait aujourdhui un de leurs principaux charmes : dans cent ou cent cinquante années dici, les peintures de Flandrin ne seront plus visibles et sévanouiront comme une légère aquarelle. Il est bon, surtout dans les églises, presque toujours obscures, de tenir les tons dans une gamme claire; mais, de là aux enluminures blafardes de la chapelle de Saint-Jean, il y a vraiment trop loin. Voici la disposition de ces peintures, qui contiennent les scènes principales de la vie de saint Jean. Elles se composent de quatre morceaux, deux carrés et deux autres en ogive, placés au-dessus des premiers. Le premier tableau ogival, faisant face à lautel représente saint Jean et saint Pierre quittant leurs filets et suivant le Christ pour devenir des pêcheurs dhommes. Le tableau dessous nous fait voir saint Jean devenu vieux, plongé dans une chaudière dhuile pour être boullu, comme les juifs ou les faux monnayeurs du moyen-âge; mais les flammes séparpillent, et leurs langues vengeresses vont chercher les bourreaux, qui senfuient épouvantés. La femme qui tient un enfant par la main et un autre dans son bras est dune grande beauté et dune grande noblesse ; le saint a bien le caractère de sénilité convenable, et le group du proconsul et des licteurs, quoique rappelant un peu certaines portions du Saint Symphorien de M. Ingres, a une tournure et un aspect tout-à-fait dignes des maîtres. - En face, au-dessus de lautel, on voit la Cène, avec les douze apôtres; Jésus-Christ; placé au milieu, ayant à ses côtés le disciple bien-aimé et prononçant les paroles sacramentelles qui forcent un dieu à sincarner dans un morceau de pain. Le saint Jean est de la plus rare beauté; il étend ses bras sur la table avec un geste sublime damour et de douleur dune nouveauté et dune hardiesse superbes. -. Le Judas, qui couve déjà la trahison dans son cur, séloigne et jette un regard louche et jaloux sur le groupe sympathique du maître et du disciple. M. Flandrin na mis sur la table que lagneau pascal et le calice, et sest abstenu de rendre tous les détails du repas, couteaux, salières, coupes et flacons, assiettes et plats, traités avec tant de soin et daffection par les anciens maîtres, lorsquils avaient à rendre ce sujet. Il a peut-être métaphysiquement raison, car il ne sagit ici que dun repas mystique, mais il a eu tort sous le rapport pittoresque. Cette table, ainsi dégarnie, a quelque chose de pauvre et de mesquin. Le tableau ogival supérieur nous montre saint Jean arrivé à une haute vieillesse et écrivant lApocalypse sous la dictée dun ange, dans lîle de Pathmos. Ce morceau est le plus complètement réussi des quatre. Le saint Jean est fort beau avec son teint fauve, son immense barbe blanche et son corps sillonné par les ans et les austérités. Lange a une fierté de mouvement et une autorité de geste admirables; le coloris en est aussi plus satisfaisant. La voûte est peinte en azur constellé détoiles dor; les nervures sont également coloriées, ainsi quun cul-de-lampe chimérique en ronde-bosse, portant sur une bandelette linscription : Gloria in excelsis. Lautel, de bois de chêne sculpté, imite fort exactement le style gothique. Il serait à désirer que les églises de cette époque qui se trouvent à Paris fussent toutes ornées et restaurées dans ce goût. Ce serait pour nos jeunes artistes peintres et statuaires une meilleure occupation que ces tableaux de sainteté faits au hasard, dont le ministère se croit obligé dacheter tous les ans quelques douzaines, qui vont sensevelir dans des élises obscures et perdues, où personne ne les soit, excepté Dieu. M. Roger a peint, dans léglise Notre-Dame-de-Lorette, une chapelle baptismale découverte depuis quelque temps déjà, à qui la plupart de ces observations pourraient sadresser. Seulement M. Roger sest adonné plus spécialement à limitation bysantine. Ses peintures sont assurément, malgré leurs défauts, les meilleures que lon ait exécutées à Notre-Dame-de-Lorette, cette église boudoir qui se ressent du voisinage de lOpéra. Certainement lon doit chercher dans les peintures murales dessinées à lornement des églises la simplicité daspect, la sobriété de ton, la symétrie de composition, la naïveté de sentiment des anciens maîtres catholiques, mais cependant dans une proportion prudent, car lon ne peut revenir sur un progrès acquis, et, quoi, quen puissent dire les Allemands esthétiques, la peinture na pas retrogradé depuis Bizzamano et Fra da Fiesole. A Saint-Germain-lAuxerrois, M. Mottez a fait un essai de fresque daprès la méthode de Giotto et de Cimabué, quil a retrouvée dans de vieux manuscrits. Cet essai, où lon doit tenir compte à lartiste de la difficulté de peindre par un procédé tombé en désuétude est des plus satisfaisans. Le Père éternel, vêtu dune dalmatique à ramages splendides, remplit, avec lauréole qui lentoure, le haut de la composition. La sainte Vierge est placée plus bas, et accueillie dun air affable saint Martin, vêtu dune moitié de manteau, et la veuve de lÉcriture qui a si généreusement donné son denier. En bas, lon voit le Christ de face, avec un regard ferme et presque menaçant, qui montre des groupes de malheureux à secourir. - Un tronc pour les pauvres, exécuté en mosaïque par Mme Mottez, explique le sens et le but de cette fresque, sorte dapothéose de laumône. M. Lépaulle, que lon ne connaissait jusquici que par des portraits agréables et dun joli sentiment de couleur, vient daborder la grande peinture à Saint-Merry, par un tableau sur muraille représentant François de Paule, esclave en Afrique, et convertissant son maître. Sans doute il y a beaucoup à reprendre dans cette uvre, mais plusieurs morceaux dun coloris étudié et fin font passer sur le manque de gravité et de style quon ne peut guère exiger dune première tentative de la part dun artiste dont les études ont été toujours tournées vers le portrait. Terminons cette revue par quelques mots sur la fontaine Saint-Victor, de M. Feuchères, placée derrière le Jardin des Plantes, à langle où sélevait autrefois une de ces tourelles en forme de poivrière, restes du vieux Paris qui commencent à devenir rares. Le voisinage du Jardin des Plantes a décidé lartiste dans le choix de son sujet : il a représenté la nature sous la forme dune jeune femme assise près dun lion et entourée de fleurs, de plantes, de crocodiles et doiseaux de toutes sortes; le socle est orné de mascarons formés par des têtes danimaux, renard chien, loup, ours, singe, et ainsi de suite jusquau masque humain ; cétait là un excellent motif darabesque et dornement. M. Feuchères, qui est un homme desprit et de goût, en a tiré bon parti. Bien que lon puisse désirer plus dindividualité et, le mordant dexécution dans les détails, et que La figure principale soit dun caractère indécis hésitant entre lantique, la renaissance et la vérité prosaïque, lensemble est harmonieux et satisfaisant. Il est fâcheux que cette fontaine, dun aspect riche, élégant et touffu, trouve relégué si loin, mais elle vaut quon fasse le voyage. M. Paul Delaroche achève son hémicycle du palais des Beaux-Arts; les travaux intérieurs de la Madelaine tirent à leur fin. - Vous voyez que Paris fait tout, son possible ou devenir la Rome des arts, comme il est déjà la Rome des idées.
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