Agonies Vendredi 20 avril 1838 Je reprends donc ce travail commencé
il y a deux ans. Travail triste et long, symbole de la vie, la tristesse
et la longueur.
Pourquoi donc tout m'ennuie-t-il
sur cette terre ? Pourquoi le jour, la nuit, la pluie, le beau temps,
tout cela me semble-t-il toujours un crépuscule triste, où
un soleil rouge se couche derrière un Océan sans limites
?
III Souvent je me suis demandé pourquoi je vivais, ce que j'étais venu faire au monde et je n'ai trouvé là dedans qu'un abîme derrière moi, un abîme devant - à droite, à gauche, en haut, en bas, partout des ténèbres. IV La vie de l'homme est comme une malédiction partie de la poitrine d'un géant et qui va se briser de rochers en rochers en mourant à chaque vibration qui retentit dans les airs.
V On a souvent parlé de la providence et de la bonté céleste. - Je ne vois guère de raisons pour y croire. Le Dieu qui s'amuserait à tenter les hommes pour voir jusqu'où ils peuvent souffrir ne serait-il pas aussi cruellement stupide qu'un enfant qui sachant que le hanneton va mourir lui arrache d'abord les ailes puis les pattes puis la tête ?
VI La vanité selon moi est
le fond de toutes les actions des hommes. Quand j'avais parlé,
agi, fait n'importe quel acte de ma vie et que j'analysais mes paroles
ou mes actions, je trouvais toujours cette vieille folle nichée
dans mon coeur ou dans mon esprit. Bien des hommes sont comme moi, peu
ont la même franchise.
VII Quelle chose grandement niaise et cruellement bouffonne que ce mot qu'on appelle Dieu.
VIII Pour moi le dernier mot du sublime
dans l'art sera la pensée, c'est à dire la manifestation
de la pensée aussi rapide et spirituelle que la pensée.
IX Je m'ennuie - Je voudrais être
crevé, être ivre, ou être Dieu pour faire des farces.
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