« J'ai besoin cependant de prendre un peu l'air, de respirer à poitrine plus ouverte et je pars avec Du Camp nous promener sur les grèves de Bretagne, avec de gros souliers, le sac au dos, à pied. Nous reviendrons à la fin de Juillet. »
« A quoi cela m'avancera-t-il ce voyage ? à être un peu plus triste cet hiver. Ah ! pas de soleil, l'ombre est trop noire ensuite. Je hume l'air, j'aspire l'odeur des aubépines et des ajoncs. - Je marche au bord de la mer, j'admire les bouquets d'arbres, les coins de ciel floconnés, les couchers de soleil sur les flots et les goémons verts qui s'agitent sous l'eau comme la chevelure des Naïades, et le soir je me couche harassé dans des lits à baldaquin où j'attrape des puces. Voilà ! - Au reste j'avais besoin d'air, j'étouffais depuis quelque temps. - Tu me demandes si je suis plus heureux mais je ne me plains pas. Et si j'éprouve moins de désillusions, je n'en éprouve point. Franchement j'en ai peu éprouvé dans la vie, étant né avec une provision médiocre d'illusions. Quand on compte sur peu, on est toujours étonné de ce qu'on trouve. - Demain matin ou plutôt dans quelques heures (il est tard, tout dort et toi aussi peut-être...), nous partons pour Brest où nous ne devons arriver que dans 15 jours après avoir fait près de 80 lieues à pied sur le bord de la mer. »
« Nous terminons (hélas
!), Max et moi, un voyage qui pour n'être pas au long cours, ce
que je regrette, a été une fort jolie excursion. Sac au
dos et souliers ferrés aux pieds nous avons fait sur les côtes
environ 160 lieues à pied, couchant quelquefois tout habillés
faute de draps et de lit et ne mangeant guère que des oeufs et
du pain faute de viande. Tu vois, vieux, qu'il y a aussi du sauvage
sur le continent. Mais j'aime mieux la sauvagerie corse, celle-là
du moins a moins de puces et plus de soleil. Or chaque jour j'ai de
plus en plus besoin du soleil ; il n'y a guère que ça
de beau au monde : ce grand bec de gaz suspendu là-haut par les
ordres d'un Rambuteau inconnu. A Ernest Chevalier. 13 juillet 1847.
« Nous sommes occupés
maintenant à écrire notre voyage et, quoique ce travail
ne demande ni grands raffinements d'effets ni dispositions préalables
de masses, j'ai si peu l'habitude d'écrire et je deviens si hargneux
là-dessus, surtout vis-à-vis de moi-même, qu'il
ne laisse pas que de me donner assez de souci. C'est comme un homme
qui a l'oreille juste et qui joue faux du violon ; ses doigts se refusent
à reproduire juste le son dont il a conscience. Alors les larmes
coulent des yeux du pauvre racleur et l'archet lui tombe des doigts... A Louise Colet. 23 septembre 1847.
« Tu me demandes des renseignements
sur notre travail à nous deux, Max et moi. Sache donc que je
suis harassé d'écrire. Le style, qui est une chose que
je prends à coeur m'agite les nerfs horriblement, je me dépite,
je me ronge. Il y a des jours où j'en suis malade et où
la nuit j'en ai la fièvre.. Plus je vais et plus je me trouve
incapable de rendre l'Idée. - Quelle drôle de manie que
celle de passer sa vie à s'user sur des mots, et à suer
tout le jour pour arrondir ses périodes. - Il y a des fois, il
est vrai, où l'on jouit démesurément, mais par
combien de découragements et d'amertumes n'achète-t-on
pas ce plaisir ! Aujourd'hui, par exemple, j'ai employé 8 heures
à corriger cinq pages et je trouve que j'ai bien travaillé.
Juge du reste, c'est pitoyable. - (...) A Louise Colet. Octobre 1847.
« J'aurai fini La Bretagne dans un mois. J'ai encore deux chapitres. Après quoi je reprendrai ce vieux drôle d'Aristophane. Je serai content quand je serai débarrassé de ce travail. Au reste j'ai envie de te lire pour savoir ce que tu en penses. C'est une ratatouille assez farce, composée sans prétentions, mais avec conscience. Heureux ceux qui ne doutent pas d'eux et qui allongent au courant de la plume tout ce qui leur sort du cerveau. Moi j'hésite, je me trouble, je me dépite, j'ai peur, mon goût s'augmente au fur et à mesure que décroît ma verve et je m'afflige beaucoup plus d'un mot louche que je ne me réjouis de toute une bonne page. » A Louise Colet. Octobre 1847.
« Et puis j'écris
maintenant et j'en ai si peu l'habitude que ça me met dans un
état d'aigreur permanente. Je suis toujours dégoûté
de ce que je fais. L'idée me gêne, la forme me résiste.
A mesure que j'étudie le style je m'aperçois combien je
le connais peu et j'en ai parfois des découragements si intimes
que je suis tenté de laisser tout là et de me mettre à
faire des choses plus aisées. (...) A Louise Colet. Octobre 1847.
« Ce que tu as remarqué dans La Bretagne est aussi ce que que j'y aime le mieux. - Une des choses dont je fais le plus de cas, c'est mon résumé d'archéologie celtique et qui en est véritablement une exposition complète en même temps que la critique. - La difficulté de ce livre consistait dans les transitions et à faire un tout d'une foule de choses disparates. - Il m'a donné beaucoup de mal. - C'est la première chose que j'aie écrite péniblement (je ne sais où cette difficulté de trouver le mot s'arrêtera ; je ne suis pas un inspiré, tant s'en faut). Mais je suis complètement de ton avis quant aux plaisanteries, vulgarités, etc., elles y abondent. - Le sujet y était pour beaucoup. Songe ce que c'est d'écrire un voyage où l'on a pris le parti d'avance de tout raconter.» A Louise Colet. 3 avril 1852 Extraits : Au
musée de Nantes |