Chronologie
générale
« Lartiste
doit sarranger de façon à faire croire à
la postérité quil na pas vécu »
(à Louise Colet, 27 mars 1852).
1821
Naissance dun enfant chez les Flaubert, de Rouen : laîné,
Achille (comme son père, successeur désigné) a
déjà huit ans ; deux autres sont morts en bas âge
; le cinquième se présente un 12 décembre à
4 heures du matin. Vivra-t-il ? En attendant de le savoir, on le prénomme
Gustave.
« Je suis né
à lhôpital (de Rouen dont mon père
était le chirurgien en chef ; il a laissé un nom illustre
dans son art) et jai grandi au milieu de toutes les misères
humaines dont un mur me séparait. Tout enfant, jai
joué dans un amphithéâtre. Voilà pourquoi,
peut-être, jai les allures à la fois funèbres
et cyniques. Je naime point la vie et je nai point peur
de la mort » (à Mlle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857).
« Quels étranges
souvenirs jai en ce genre ! Lamphithéâtre de
lHôtel-Dieu donnait sur notre jardin. Que de fois, avec
ma sur, navons-nous pas grimpé au treillage et, suspendus
entre la vigne, regardé curieusement les cadavres étalés
! Le soleil donnait dessus : les mêmes mouches qui voltigeaient
sur nous et sur les fleurs allaient sabattre là, revenaient,
bourdonnaient ! (...) Je vois encore mon père levant la tête
de dessus sa dissection et nous disant de nous en aller. Autre cadavre
aussi, lui. » (à Louise Colet, 7 juillet 1853).
Le père Flaubert
a trente-sept ans ; la mère, Justine-Caroline née Fleuriot,
vingt-huit : elle descend dune Cambremer de Croixmare, que la
nièce de Flaubert confondra avec lillustre famille du même
nom. Flaubert crut-il au sang bleu du côté maternel ? Bouvard
et Pécuchet retrouveront trace de lascendance de leur auteur
: « Larbre généalogique de la famille Croixmare
occupait seul tout le revers de la porte » (Bouvard et Pécuchet,
chap. 4). Voilà pour la famille apparente, celle qui lui fait
écrire, à vingt-six ans : « Je ne peux pas mempêcher
de garder une rancune éternelle à ceux qui mont
mis au monde et qui my retiennent, ce qui est pire » (à
Louise Colet, 21 janvier 1847).
Quant à la famille
réelle, généalogie de limaginaire : «
Malgré le sang de mes ancêtres (que jignore complètement
et qui sans doute étaient de fort honnêtes gens ?), je
crois quil y a en moi du Tartare, et du Scythe, du Bédouin,
de la Peau-Rouge. Ce quil y a de sûr, cest quil
y a du moine » (à Louise Colet, 14 décembre 1853).
Ce 12 décembre 1821, tout au plus fit-il semblant de naître
pour la première fois et de venir au monde, alors quil
y revenait : « Jai vécu partout par là [en
Grèce], moi, sans doute, dans quelque existence antérieure.
Je suis sûr davoir été, sous lempire
romain, directeur de quelque troupe de comédiens ambulants, un
de ces drôles qui allaient en Sicile acheter des femmes pour en
faire des comédiennes, et qui étaient, tout ensemble,
professeur, maquereau et artiste » (à la même, 4
septembre 1852).
1824
Naissance de Caroline, sur aimée, compagne de jeu, partenaire
au théâtre, dans les pièces démarquées
du répertoire que Gustave monte sur le billard (table de jeu).
1825
Julie entre au service des Flaubert, comme nourrice, puis domestique.
Elle y restera cinquante ans : cest la mesure du temps provincial
: le « demi-siècle de servitude » de Catherine Leroux
décorée dans Madame Bovary, le « demi-siècle
» de dévouement de Félicité, dans Un cur
simple, hommage à Julie. Elle materne Gustave jusquà
sa mort : « Je satisfais mes besoins de tendresse en appelant
Julie après mon dîner, et je regarde sa vieille robe à
damiers noirs qua portée maman » (à sa nièce,
18 janvier 1879). Elle survivra trois ans à Flaubert.
1829
Début de lamitié avec Ernest Chevalier. «
Je suis dévoré dimpatience de voir le meilleur de
mes amis celui avec lequel je serait toujours amis nous nous aimerons,
ami qui sera toujours dans mon cur. Oui ami depuis la naisance
jusqua la mort » (1829-1830 ; sic pour les fautes).
1831
À peine sait-il lire quil écrit. « Ami je
ten veirait de mes discours politique et constitutionnel libéraux.
(...) Je ten veirait aussi de mes comédie. Si tu veux nous
associers pour écrire moi, jécrirait des comédie
et toi tu écriras tes rèves, et comme il y a une dame
qui vient chez papa et qui nous contes toujours de bêtises je
les écrirait » (à Ernest Chevalier, vers le premier
janvier). La Bêtise, le désir de lécriture
en collaboration sur le double pupitre... Ses premiers écrits
conservés : un résumé du règne de Louis
XIII (« À maman pour sa fête ») et Trois pages
dun Cahier dÉcolier ou uvres choisies de Gustave
Flaubert comprenant un « Éloge de Corneille » («
Au mon cher compatriote (...). Pourquoi es-tu né si ce nest
pour abaisser le genre humain ? »), suivi de « La belle
explication de la fameuse constipation » : « La constipation
est un resserrement du trou merdarum » (pages publiées
par Jean Bruneau, Les débuts littéraires de Gustave Flaubert,
éd. Armand Colin, 1962, p. 39-41).
1832
Amitié, théâtre, écriture et lecture mêlés
: « Je men vais commencé une pièce, qui aura
pour titre Lamant avare » (à Ernest Chevalier, 15
janvier) « (...) mais non je ferai des Romans que jai dans
la tête. qui sont la Belle Andalouse le bal masqué. Cardenio.
Dorothée. la mauresque le curieux impertinent le mari prudent
» (au même, 4 février). Projets inspirés de
Don Quichotte, sur lequel Flaubert prend (déjà) des notes.
« Quand je manalyse, je trouve en moi, encore fraîches
et avec toutes leurs influences (...) la place (...) [de] Don Quichotte
et de mes songeries denfant dans le jardin, à côté
de la fenêtre de lamphithéâtre » (à
sa mère, 24 novembre 1850). « Je retrouve toutes mes origines
dans le livre que je savais par cur avant de savoir lire, Don
Quichotte » (à Louise Colet, 19 juin 1852). 15 mai 1832
: entrée au Collège Royal de Rouen, en classe de huitième.
1833
Voyages familiaux en Normandie, à Nogent, et tourisme à
Versailles, Fontainebleau, Paris : Flaubert retient surtout sa sortie
au théâtre. « Louis-Philippe est maintenant avec
sa famille dans la ville qui vit naître Corneille. Que les hommes
sont bêtes, que le peuple est borné... » (à
Ernest Chevalier, 11 septembre).
1834
Vacances à Trouville. Une rencontre avant la rencontre de 1836
: « Se baignait alors une dame, oh une jolie dame (...) le lendemain
(...) nous avons appris (...) quelle était noyée
oui noyée, cher Ernest, en moins dun quart dheure
» (26 août). Premier « fantôme » de Trouville...
Embêtement de lexistence : « Si je navais dans
la tête et au bout de ma plume une reine de France au quinzième
siècle, je serais totalement dégoûté de la
vie et il y aurait longtemps quune balle maurait délivré
de cette plaisanterie bouffonne quon appelle la vie » (à
Ernest Chevalier, 29 août).
1835
Lélève Flaubert lance au Collège un journal
manuscrit Art et Progrès dont il est le rédacteur-copiste,
avec la collaboration dErnest Chevalier. Dans le second numéro
(le premier na pas été retrouvé) on peut
lire un « Voyage en enfer », « Une pensée »
(damour), des « Nouvelles » et une rubrique «
Théâtres ». « Je vous apprendrai que tous les
professeurs ont lu mon journal ; dans le prochain numéro, je
vous donnerai les détails sur cette affaire ». Il nen
eut pas le loisir : le journal disparut, peut-être supprimé
par les autorités du Collège. Il lit et écrit par
devoir et pour le plaisir, pliant les exercices scolaires, réunis
dans Narrations et discours, 1835-1836, à un tempérament
très personnel, vibrant surtout au « frisson historique
». Rencontre de Louis Bouilhet, en cinquième.
1836
Pendant les vacances de lété 36, rencontre dÉlisa
Schlesinger, « Madame Maurice », liée à un
éditeur de musique allemand. Elle a vingt-six ans, il en a quinze.
Coup de foudre ou coup mythique, comme le prétend Jacques-Louis
Douchin dans La vie érotique de Flaubert (éd. Carrère,
1984) ? Quimporte le degré de réalité ou
de sincérité de lamour, seul compte son pouvoir
de cristallisation de léternel féminin flaubertien
et de dissémination imaginaire dans les écrits autobiographiques
et dans les deux Éducations. À Louise Colet : «
(...) je nai eu quune passion véritable. Je te lai
déjà dit. Javais à peine 15 ans, ça
ma duré jusquà 18. Et quand jai revu
cette femme-là après plusieurs années jai
eu du mal à la reconnaître. Je la vois encore quelquefois
mais rarement, et je la considère avec létonnement
que les émigrés ont dû avoir quand ils sont rentrés
dans leur château délabré » (8 octobre 1846).
On pense, bien sûr, à la dernière rencontre entre
Frédéric et Madame Arnoux. Lannée où
Flaubert écrit cette lettre à sa maîtresse, 1846,
les Schlesinger se sont installés à Bade. En 1872 : «
Ma vieille Amie, ma vieille Tendresse, / Je ne peux pas voir votre écriture,
sans être remué ! (...) Jaimerais tant à vous
recevoir chez moi, à vous faire coucher dans la chambre de ma
mère. (...) je suis un Vieux. Lavenir pour moi na
plus de rêves. Mais les jours dautrefois se représentent
comme baignés dans une vapeur dor. Sur ce fond lumineux
où de chers fantômes me tendent les bras, la figure qui
se détache le plus splendidement, cest la vôtre !
Oui, la vôtre. O pauvre Trouville " (5 octobre 1872).
Élisa devint folle et finit ses jours à lasile.
Il écrit cette
année-là une dizaine de contes et nouvelles historiques,
philosophiques ou fantastiques. La peste à Florence traite de
la rivalité entre deux frères.
1837
Les contes de cette année semblent tendus vers les uvres
à venir : Rêve dEnfer, tentation par Satan, Passion
et Vertu, histoire dune femme adultère qui se suicide par
le poison, Quidquid volueris, portrait de lartiste en homme-singe.
Surtout, le jeune Flaubert se voit imprimé pour la première
fois, dans le Colibri, revue rouennaise qui publie Bibliomanie (12 février)
et Une leçon dhistoire naturelle, genre commis (30 mars),
petite physiologie dans le goût de lépoque, deux
textes sur la pathologie du livre et de lécriture qui font
partie, surtout le second, du contexte élargi de Bouvard et Pécuchet.
Résonne pour la première fois dans la Correspondance le
rire du Garçon, création collective (avec, entre autres,
Alfred Le Poittevin) qui tient de Gargantua, de Prudhomme et dUbu.
1838
Flaubert lit Rabelais et Byron, « les deux seuls qui aient écrit
dans lintention de nuire au genre humain et de lui rire à
la face », (à Ernest Chevalier, 13 septembre). Rabelais,
à qui il consacre une longue dissertation, restera une grande
référence pour Flaubert. Rédige un long drame historique
romantique, Loys XI, et, en même temps quil lit les Confessions,
il écrit des textes autobiographiques, Agonies, pensées
sceptiques et Mémoires dun fou, dédiés au
« cher Alfred ».
1839
Smarh, « vieux mystère », entre Rêve dEnfer
et La Tentation, met aux prises Satan et Yuk, le dieu du grotesque.
Lecture déterminante de Sade. Achille se marie : « Et avec
tout cela je mennuie, je memmerde » (à Ernest
Chevalier, 31 mai). Flaubert est exclu de la classe de philosophie pour
avoir, avec dautres, organisé un chahut et refusé
de faire un pensum. « Ne crois pas cependant que je sois irrésolu
sur le choix dun état. Je suis bien décidé
à nen faire aucun. (...) Quant à écrire ?
je parierais bien que je ne me ferai jamais imprimer ni représenter.
(...) Cependant si jamais je prends une part active au monde ce sera
comme penseur et comme démoralisateur » (à Ernest
Chevalier, 24 février).
1840
Après son bac, quil a préparé seul, Flaubert
part pour les Pyrénées et la Corse : il rédige
son voyage, en cours de route et au retour. De passage à Marseille,
le jeune homme de vingt ans, qui a « simplement perdu son pucelage
avec la femme de chambre de sa mère » (Goncourt) baise
la tenancière de lhôtel, Eulalie Foucaud Delanglade.
Flaubert ne repassera jamais par là sans faire le pèlerinage
: « À Marseille je nai pas retrouvé cette
excellente tétonnière qui my a fait goûter
de si doux quarts dheure » (à Alfred Le Poittevin,
15 avril 1845).
Initiation inscrite
dans les fragments des Souvenirs, notes et pensées intimes :
« Aujourdhui samedi, cétait aussi un
samedi, certain jour... dans une chambre comme la mienne, basse et pavée
de pavés rouges, à la même heure (...) » «
Que fais-je ? que ferais-je jamais ? quel est mon avenir ? Au reste
peu importe. (...) visite à Gourgaud [son professeur de lettres]
(...) je lui communique mes doutes sur ma vocation littéraire,
il me réconforte. (...) » « Aujourdhui mes
idées de grand voyage mont repris plus que jamais cest
lOrient toujours. Jétais né pour y vivre »
(Souvenirs, notes et pensées intimes, 1840-1841).
1841
Au physique et au moral, le beau jeune homme commence à ressembler
à la silhouette que lon connaît : « Je deviens
colossal, monumental, je suis buf, sphinx, butor, éléphant,
baleine, tout ce quil y a de plus énorme, de plus empâté
et de plus lourd » (à Ernest Chevalier, 7 juillet). En
novembre, sinscrit à la Faculté de Droit de Paris.
Envie « mystique » de se châtrer : « Je suis
resté deux ans entiers sans voir de femme » (à Louise
Colet, 27 décembre 1852).
1842
Cest à Gourgaud-Dugazon quil fait part de ses doutes,
de ses résolutions : « Je fais donc mon Droit, cest-à-dire
que jai acheté des livres de Droit et pris des inscriptions.
Je my mettrai dans quelque temps et compte passer mon examen au
mois de juillet. (...) Mais ce qui revient chez moi à chaque
minute, ce qui môte la plume des mains si je prends des
notes, ce qui me dérobe le livre si je lis, cest mon vieil
amour, cest la même idée fixe : écrire ! (...)
Jai dans la tête trois romans, trois contes de genres tout
différents et demandant une manière toute particulière
dêtre écrits. Cest assez pour pouvoir me prouver
à moi-même si jai du talent, oui ou non » (22
janvier). Jean Bruneau pense que ces trois textes pourraient être
Les Sept fils du derviche, conte oriental, Bouvard et Pécuchet,
sous la forme du Sottisier, et Novembre, « ratatouille sentimentale
et amoureuse » à laquelle Flaubert travaille depuis 1840
et quil achève le 25 octobre 1842. « Si tu as bien
écouté Novembre tu as dû deviner mille choses indisables
qui expliquent peut-être ce que je suis. Mais cet âge-là
est passé. Cette uvre a été la clôture
de ma jeunesse » (à Louise Colet, 2 décembre 1846).
Il sinstalle à Paris, sennuie fort à létude
du Droit et, comme antidote, il fait le Garçon, lit Montaigne,
fréquente les deux surs Collier, Henriette et Gertrude
(les petites Anglaises dont il fait la connaissance cet été
1842, à Trouville), les Schlesinger et les Pradier (le sculpteur).
1843
Flaubert commence la première Éducation sentimentale.
Il rencontre Maxime Du Camp. Il rate son examen de deuxième année
de Droit. Rencontre Hugo chez les Pradier : « Jai pris plaisir
à le contempler de près ; je lai regardé
avec étonnement, comme une cassette dans laquelle il y aurait
des millions et des diamants royaux (...). Cétait là
pourtant lhomme qui ma le plus fait battre le cur
depuis que je suis né » (à sa sur, 3 décembre).
1844
Fin de la première existence de Flaubert, en janvier 1844, sur
la route de Pont-lÉvêque, au fond dun cabriolet
quil conduit : il tombe dune attaque nerveuse (épileptique).
« Ma vie active, passionnée, émue, pleine de soubresauts
opposés et de sensations multiples, a fini à 22 ans »
(à Louise Colet, 31 août 1846). Les crises se reproduisent,
illuminantes : « Dans la période dune seconde un
million de pensées, dimages, de combinaisons de toute sorte
qui pétaient à la fois dans ma cervelle comme toutes les
fusées allumées dun feu dartifice »
(à Louise Colet, 6 juillet 1852). La maladie na pas que
des inconvénients : « Ma maladie aura toujours eu lavantage
quon me laisse moccuper comme je lentends »
(à Emmanuel Vasse de Saint-Ouen, janvier 1845), cest-à-dire
de littérature, et plus de Droit. Crise majeure qui permet de
sortir des crises : « Pour moi, je suis vraiment assez bien depuis
que jai consenti à être toujours mal. (...) Jai
dit à la vie pratique un irrévocable adieu » (à
Alfred Le Poittevin, 13 mai 1845). Lachat de Croisset, cet été
44, arrive à temps pour qu'il se retranche.
1845
Flaubert achève la première Éducation sentimentale,
continuée après la crise. « Ici, lauteur passe
son habit noir et salue la compagnie. Nuit du 7 janvier 1845, une heure
du matin ». Sa sur se marie, le 3 mars ; Gustave est du
voyage de noces, avec la famille au grand complet. Flaubert voyage en
écrivant : Provence, Italie, Suisse, mais tout ça ne vaut
pas lOrient. À Gênes, voit La Tentation de saint
Antoine, de Breughel : « Il a effacé pour moi toute la
galerie où il est » (notes de voyage). Il « ma
fait penser à arranger pour le théâtre La Tentation
de saint Antoine. Mais cela demanderait un autre gaillard que moi »
(à Alfred Le Poittevin, 13 mai). Au retour, analyse le théâtre
de Voltaire, scène par scène : « Cest ennuyeux,
mais ça pourra mêtre utile plus tard » (au
même, juillet). Il pense à son conte oriental, en attendant
dy aller voir. Vit dans un grand état de chasteté.
1846
Mort du père Flaubert, le 15 janvier : « Je nai aimé
quun homme comme ami et quun autre cest mon père
» (Souvenirs, notes et pensées intimes, vers 1840). On
considère souvent le docteur Larivière de Madame Bovary
comme un portrait magnifié du père : « Lapparition
dun dieu neût pas causé plus démoi.
(...) Son regard, plus tranchant que ses bistouris, vous descendait
droit dans lâme et désarticulait tout mensonge »
(III, 8). En mars, cest sa sur qui meurt, laissant une petite
fille, née peu après la mort de son grand-père,
et baptisée Caroline comme sa mère : Flaubert se chargera
de son éducation ; son père, Émile Hamard, devient
fou peu après la mort de sa femme.
« Depuis que mon
père et ma sur sont morts je nai plus dambition.
(...) Je ne sais pas même si jamais on imprimera une ligne de
moi » (à Louise Colet, 14 octobre).
Autre perte pour Flaubert
: lami Alfred Le Poittevin, qui se marie : « Es-tu sûr,
ô grand homme, de ne pas finir par devenir bourgeois ? Dans tous
mes espoirs dart je tunissais. Cest ce côté-là
qui me fait souffrir » (31 mai).
Rencontre de Louise
Colet chez Pradier, début dune liaison orageuse et dune
correspondance où lAmour de lArt tient plus de place
que lamour : « Je ne suis pas fait pour jouir » (8
août). Louise Colet est une poétesse déjà
connue, ce qui nempêche pas Flaubert, onze ans plus jeune,
de critiquer sévèrement ses conceptions esthétiques.
Il met au point, contre elle semble-t-il, sa méthode de limpersonnalité.
Avertissement, envoyé de Croisset : « Ne viens jamais ici,
il nous serait impossible topographiquement parlant de nous réunir
» (14 septembre).
1847
Pendant lhiver, en guise de récréation, Bouilhet
et lui font des scénarios : drames, opéras comiques...
Il passe lété à voyager : « Jai
besoin cependant de prendre un peu lair, de respirer à
poitrine plus ouverte et je pars avec Du Camp nous promener sur les
grèves de Bretagne, avec de gros souliers, le sac au dos, à
pied » (à Ernest Chevalier, 28 avril). Au retour, Flaubert
établit les sommaires daprès les notes communes,
et ils sy mettent : « Jécris tous les chapitres
impairs, 1, 3, etc. Max tous les pairs. Cest une uvre, quoique
dune fidélité fort exacte sous le rapport des descriptions,
de pure fantaisie et de digressions » (à Louise Colet,
octobre). À la même, cinq ans plus tard, alors quil
est dans la Bovary : « Cest la première chose que
jaie écrite péniblement (je ne sais où cette
difficulté de trouver le mot sarrêtera ; je ne suis
pas un inspiré, tant sen faut) » (3 avril 1852).
Un fragment de Par les champs et par les grèves, intitulé
« Les pierres de Carnac et larchéologie celtique
» paraîtra en 1858 : dérision de la science quon
retrouvera, presque dans les mêmes termes, dans Bouvard.
1848
« Lannée 1848 a été la plus belle de
ma vie, javais une fière gaieté, je vous jure, et
un joli tempérament ! » (à Mme Brainne, 1er août
1878). Le siècle se casse en deux. Flaubert vient voir lémeute,
avec Bouilhet, « au point de vue de lart » (Du Camp).
« Je ne sais si la forme nouvelle du gouvernement et létat
social qui en résultera sera favorable à lArt »,
écrit-il à Louise Colet (mars). Il rompt avec elle, en
août. De Du Camp à Louise : « Du jour où vous
lavez connu vous avez essayé de déranger sa vie
» (vers janvier 1847) ; « Gustave naime pas le sentiment,
il en est las, il en est saoul, comme il dit » (21 février
1847). Le 3 avril, Alfred Le Poittevin meurt, en lisant Spinoza. Douleur
et méditations larges de Flaubert. Peu après, il commence
à rédiger la (première) Tentation de saint Antoine.
« Mon chien
est mort hier. Je membête de plus en plus (Rouen
Mercredi 23 nov. 1848. 9 heures du soir) ». (Carnet 3, f. 24).
1849
La Tentation de saint Antoine, commencée en mai 1848, est achevée
le 12 septembre. Lecture à Bouilhet et Du Camp, pendant 32 heures.
Le verdict est sans appel : « Nous pensons quil faut jeter
cela au feu et nen jamais reparler ». Flaubert en restera
très affecté : « Lhistoire de saint Antoine
ma porté un coup grave, je ne le cache pas » (à
Louis Bouilhet, 13 mars 1850). Ses amis lui auraient conseillé
une cure de désintoxication en prenant « un sujet terre
à terre, un de ces incidents dont la vie bourgeoise est pleine
», ce quil fera après lOrient. Il sy
embarque, enfin, le 29 octobre, avec Du Camp : « Cétait
bien là ce vieil Orient, pays des religions et des vastes costumes
» (à sa mère, 5 janvier 1850).
1850
Égypte, Palestine, Rhodes, Asie mineure, Constantinople, Grèce...
Pendant que Maxime se livre à ses « rages photographiques,
», Flaubert se vautre dans les formes et les couleurs, tente de
décrire ce qui défie toute représentation littéraire.
Il pense aux uvres à venir : le Dictionnaire des idées
reçues et sa préface, un Don Juan, Anubis, un roman flamand
: « Il se prépare en moi quelque chose de nouveau, une
seconde manière peut-être ? mais dici à quelque
temps il faut que jaccouche. Il me tarde de connaître ma
mesure » (à sa mère, 14 novembre). Nuit avec Kuchuck-Hânem,
danse et baisade : « Quant aux coups, ils ont été
bons. Le 3e surtout a été féroce, et le dernier
sentimental » (à Louis Bouilhet, 13 mars). Attrape la vérole
à Beyrouth. Le 5 août, naissance de son futur « disciple
» littéraire, Guy de Maupassant, fils de Laure Le Poittevin,
sur dAlfred.
1851
Retour par la Grèce et par lItalie, où sa mère
est venue le rejoindre. « Eh bien, oui, jai vu lOrient
et je nen suis pas plus avancé, car jai envie dy
retourner » (à Ernest Chevalier, 9 avril). Il réagit
très violemment au projet matrimonial de son ami Ernest : «
Magistrat, il est réactionnaire ; marié, il sera cocu
» (à sa mère, 15 décembre 1850). Il renoue
avec Louise Colet, peu de temps avant de se mettre à Madame Bovary
: « Jai commencé hier au soir mon roman. Jentrevois
maintenant des difficultés de style qui mépouvantent
» (à Louise Colet, 20 septembre). Lhumeur assombrie
par le coup dÉtat du 2 décembre, il sapprête
à fêter son anniversaire : « Vendredi prochain jaurai
30 ans. (...) Il est présumable que je suis au milieu de ma carrière,
comme on dit en haut style. Quand je pense que jai encore
trente ans à vivre, jen suis effrayé » (à
Henriette Collier, 8 décembre). Il nen a plus que vingt-neuf.
Voyage à Londres
avec sa mère (fin septembre-début octobre).
1852
Il pioche la Bovary : il achève la première partie en
juillet. Les rencontres avec Louise Colet, à Mantes, à
Paris, sont subordonnées aux échéances de lécriture.
Très préoccupé par les risques de la paternité
: « Lidée de donner le jour à quelquun
me fait horreur. Je me maudirais si jétais père
» (11 décembre). Se ronge de projets : le Dictionnaire
et sa préface, et « grand roman métaphysique, fantastique
et gueulard » (à Louise Colet, 8 mai), sans doute la Spirale.
Refroissement de lamitié avec Du Camp, codirecteur de la
Revue de Paris, qui lui conseille de se pousser un peu : « Arriver
? à quoi ? (...) Etre connu nest pas ma principale
affaire. (...) Je vise à mieux, à me plaire (...) Que
je crève comme un chien plutôt que de hâter dune
seconde ma phrase qui nest pas mûre » (à Du
Camp, 26 juin).
1853
Travaille à la deuxième partie de la Bovary, tout en pensant
à laprès : des préfaces à Ronsard
(une Histoire du sentiment poétique en France), à Bouilhet,
au Dictionnaire. Abandonne définitivement la tentation autobiographique
: il nécrira pas ses Mémoires. Il envoie une belle
lettre hugolienne à Victor Hugo, dont il est, avec Louise Colet,
la « boîte aux lettres » clandestine : « Monsieur,
vous avez été dans ma vie une obsession charmante, un
long amour » (15 juillet). Flaubert devient chauve : ça
lembête beaucoup.
1854
La deuxième partie de la Bovary avance : Louise Colet retarde
Flaubert en lui donnant à corriger des vers nuls quil commente
longuement. Nouvelle rupture : Flaubert na pas réussi dans
son entreprise de conversion de Louise à la religion de lArt,
et de virilisation de son style : « Jai toujours essayé
(mais il me semble que jéchoue) de faire de toi un hermaphrodite
sublime. Je te veux homme jusquà la hauteur du ventre (en
descendant). Tu mencombres et me troubles et tabîmes
avec lélément femelle » (12 avril). Liaison
avec lactrice Béatrix Person.
1855
Toujours dans lencre de la Bovary, qui tourne au pensum : la troisième
et dernière partie est bien avancée à la fin de
lannée, mais la petite femme na toujours pas «
son arsenic dans le ventre » quand Flaubert sinstalle à
Paris, 42, boulevard du Temple, où il passera quelques mois chaque
hiver. Le 6 mars, il envoie en post-scriptum de la rupture un dernier
billet à Louise : « Jai appris que vous vous étiez
donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois,
chez moi. Je ny étais pas. (...) le savoir-vivre mengage
à vous prévenir : que je ny serai jamais ».
Sur ce billet, Louise a écrit : « Allée le 5 mars
1855 lâche, couard et canaille ». La mère
de Flaubert a un « mot sublime » quil cite à
Bouilhet : « La rage des phrases ta desséché
le cur » (27 juin).
1856
Achèvement de Madame Bovary, en avril : quatre ans et demi de
travail, trois mille huit cent trente-et-un feuillets noircis, à
une vitesse moyenne de quatre à cinq jours par page imprimée
et dix pages de brouillons pour une mise au net. Pour se décrasser
de la bêtise bourgeoise, il prépare la Légende de
saint Julien (quil nécrira que vingt ans plus tard)
et corrige (cest-à-dire condense) la Tentation : «
Je pourrais donc en 1857 fournir du Moderne, du Moyen Âge et de
lAntiquité » (à Louis Bouilhet, 1er juin).
Madame Bovary paraît en six livraisons dans la Revue de Paris,
doctobre à décembre, avec des coupures (toute la
scène du fiacre) contre lesquels Flaubert proteste publiquement.
LArtiste publie des fragments de la Tentation (décembre
56 - février 57). Lannée se termine par des bruits
de poursuite judiciaire : « on maccuse (...) « davoir
attenté aux bonnes murs, et à la religion ».
(...) quon me laisse exercer tranquillement ma petite littérature
» (à Edmond Pagnerre, 31 décembre).
1857
Le procès a lieu le 29 janvier. Lavocat impérial
Pinard, moins stupide quon ne le dit, incrimine la « couleur
sensuelle » du roman et la « beauté de provocation
» dEmma. Maître Sénard, ami de la famille Flaubert,
plaide la moralité et lutilité. Flaubert est acquitté
le 7 février, en partie grâce à des appuis en «
haut lieu », mais blâmé par les termes du jugement,
qui lui rappelle que « la mission de la littérature doit
être dorner et de récréer lesprit en
élevant lintelligence et en épurant les murs
». Le roman, publié en volume au mois davril, obtient
un important succès de scandale (quinze mille exemplaires en
juin) qui agace Flaubert : tout ce tapage est étranger à
lArt. Il restera pour sa vie, et au-delà, lauteur
de Madame Bovary, la référence dont sautorisent
les critiques pour déprécier ses autres livres : «
La Bovary membête. On me scie avec ce livre-là. Car
tout ce que jai fait depuis nexiste pas » (à
Georges Charpentier, 16 février 1879). Après la bêtise
moderne, la barbarie antique : Flaubert se met à un « roman
carthaginois », avec une nouvelle méthode décriture
: il entasse préalablement « bouquins sur bouquins, notes
sur notes » (à Ernest Feydeau, 25 mai) pour « ressusciter
toute une civilisation sur laquelle on na rien ! » (au même,
24(?) novembre).
« Ajoutez ceci
pour avoir mon portrait et ma biographie complètes : que jai
trente-cinq ans, je suis haut de cinq pieds huit pouces, jai des
épaules de portefaix et une irritabilité nerveuse de petite
maîtresse. Je suis célibataire et solitaire » (à
Mlle Leroyer de Chantepie, 18 mars).
1858
Vie « mondaine » à Paris, où il se «
regarde désormais comme étant convié [aux] festins
dominicaux » de la Présidente, Madame Sabatier. Il rencontre
un petit clan décrivains : les Goncourt, Sainte-Beuve,
Baudelaire, Gautier, Renan, Feydeau. Pour confronter le premier chapitre
de son roman au terrain et pour se retremper dans lOrient, Flaubert
fait un voyage en Algérie et à Carthage (avril-juin).
« Je pars ce soir à cinq heures pour Bizerte, en caravane
et à mulet ; à peine si jai le temps de prendre
des notes » (à Ernest Feydeau, 8 mai). Au retour, il repasse
à lencre ses notes de voyage, et démolit son premier
chapitre : « Cétait absurde ! impossible ! faux !
» (au même, 20 juin). Il a aligné trois chapitres
à la fin de lannée, avec la conscience de plus en
plus paralysante de limpossibilité de la littérature.
1859
Rédaction des chapitres IV et VI de Salammbô : à
la fin de lannée, il entre enfin « dans le temple
du Moloch » (à Ernest Feydeau, 22 novembre). Seul divertissement
: la lecture de Lui, roman à clés de Louise Colet dont
il est lanti-héros.
1860
Salammbô : chapitres VII à X. « Je suis présentement
accablé de fatigue ! je porte sur les épaules deux armées
entières, 30 mille hommes dun côté, onze mille
de lautre, sans compter les éléphants avec leurs
éléphantarques, les goujats et les bagages ! » (à
Amélie Bosquet, 11 ? juillet).
1861
Flaubert senferme de plus en plus à Croisset et dans Salammbô
: rédige les chapitres XI à XIV : « Je finis maintenant
le siège de Carthage, et je vais arriver à la grillade
des moutards » (à Jules Duplan, 25 septembre). Entre-temps,
il a régalé les Goncourt, invités à Croisset
: « Voici le programme : 1º Je commencerai à hurler
à 4 heures juste. Donc venez vers 3 ; 2º À
7 heures, dîner oriental. On vous y servira de la chair humaine,
des cervelles de bourgeois et des clitoris de tigresse sautés
au beurre de rhinocéros ; 3º Après le café,
reprise de la gueulade punique jusquà la crevaison des
auditeurs. Ça vous va-t-il ? » (début mai).
1862
« Jai enfin terminé, dimanche dernier, à sept
heures du matin, mon roman de Salammb » (à Mlle Leroyer
de Chantepie, 24 avril). Cinq ans de travail. Publié le 24 novembre,
le livre se vend à mille exemplaires par jour : la mode carthaginoise
est lancée. Flaubert répond aux critiques de Sainte-Beuve
et de Froehner, portant sur la documentation archéologique. Aussitôt
les épreuves corrigées, Flaubert songe à écrire
une féerie pour le théâtre : « Je rêvasse
une pièce passionnée où le fantastique soit au
bout » (à Jules Duplan, 15 juin).
1863
Un article élogieux de George Sand sur Salammb (ils ne furent
pas nombreux) marque le début de lamitié et de la
correspondance entre les deux écrivains : la tendresse réciproque
triomphe des désaccords esthétiques et politiques. En
février, au dîner Magny créé par Sainte-Beuve
fin 62, il fait la connaissance de Tourgueneff, le « moscove »,
le « bon géant », lun des seuls hommes à
lémouvoir, avec son domestique. Il y rencontre également
Taine; le 22 mai, il va pour la première fois chez la Princesse
Mathilde, cousine de Napoléon III. Hésite entre deux plans
de livres quil confectionne simultanément : un roman parisien
et lhistoire de deux cloportes (Bouvard et Pécuchet) :
« LÉducation sentimentale en reste là. (...)
Bref, ça me dégoûte. Il est fort probable que je
vais me rabattre sur Les Deux Cloportes. Cest une vieille idée
que jai depuis des années et dont il faut peut-être
que je me débarrasse ? » (à Jules Duplan, 15 avril).
En attendant de se décider, il se récrée avec une
« féerie », Le Château des curs, à
laquelle il travaille pendant lété avec Bouilhet
et dOsmoy, et quil termine seul, à la fin de lannée.
Féerie bouffonne, en avance sur Méliès et les surréalistes,
où les mots deviennent choses. Flaubert essaiera de la faire
jouer pendant les dix ans qui suivent, pour se résigner à
la publication, lannée de sa mort.
1864
La nièce de Flaubert, Caroline, se marie le 6 avril à
un marchand de bois, Ernest Commanville. « Les époux doivent
être demain à Milan. Je viens de passer une semaine peu
gaie, mon bonhomme ! » (à Ernest Feydeau, 10 avril). Flaubert
se décide pour le roman moderne : il voyage, lété,
pour repérer les sites (Montereau, Nogent), après avoir
fait le plan avec Bouilhet. Il se met à la rédaction le
1er septembre : « Me voilà maintenant attelé depuis
un mois à un roman de murs modernes qui se passera à
Paris. Je veux faire lhistoire morale des hommes de ma génération
; « sentimentale » serait plus vrai. Cest un livre
damour, de passion ; mais de passion telle quelle peut exister
maintenant, cest-à-dire inactive » (à Mlle
Leroyer de Chantepie, 6 octobre). On voit sa silhouette de géant
chez la Princesse Mathilde, aux Tuileries, à Compiègne,
au Palais-Royal.
1865
Flaubert achève la première partie de son roman, dont
le sujet ne lui plaît guère. Il se rend à Londres,
puis à Bade, où séjourne Maxime Du Camp : peut-être
y revoit-il Élisa Schlesinger.
1866
En juillet, il retrouve, à Londres, Juliet Herbert, jeune Anglaise
qui avait été la gouvernante de la nièce à
partir de 1853, et la maîtresse de loncle vers 1856. Le
16 août, il vient de recevoir la croix dhonneur... et cependant,
il écrit aux Goncourt : « Jai la tête forte
et je consentirai encore à vous saluer ». George Sand fait
deux séjours à Croisset, fin août et début
novembre. « Mon roman va très mal pour le quart dheure.
(...) Ah ! je les aurai connues, les Affres du Style ! » (à
Sand, 27 novembre). Il travaille à la seconde partie, rongé
de doute.
1867
Se documente, par lettres et sur le terrain, pour lÉducation
: la Bourse, les faïences, les courses, le menu que lon servait
en 1847 au Café Anglais... « Quelle lourde charrette de
moellons à traîner ! » (à George Sand, 12
juin). Va visiter des faïenceries : « Jarrive à
linstant de Creil et de Montataire où jai pris des
notes sous la pluie pendant 2 heures » (à sa nièce,
13 mai). À Amélie Bosquet : « Il est inutile que
je vous ennuie de mes jérémiades ; mais je suis terriblement
inquiet de ce livre. Sa conception me paraît vicieuse ? »
(22 septembre). Peut-être revoit-il Élisa Schlesinger en
mars. Invité à la grande réception des Tuileries,
le 10 juin : « Les Souverains désirant me voir comme une
des plus splendides curiosités de la France... » (à
sa nièce, 7 juin).
1868
Visite à « lhôpital Sainte-Eugénie pour
voir des enfants qui avaient le croup. (Cest abominable et jen
sortais navré. Mais lart avant tout !) (...) Je me livre
aussi à pas mal de courses pour avoir des renseignements sur
48. Et jai bien du mal à emboîter mes personnages
dans les événements politiques. Les fonds emportent mes
premiers plans » (à sa nièce, 9 mars). Excursion
à Fontainebleau, pour les besoins du roman. Flaubert travaille
à la troisième partie. « Jai lâché
complètement le dîner Magny, où lon a intercalé
des binettes odieuses. Mais tous les mercredis je dîne chez la
Princesse, avec les Bichons [les Goncourt] et Théo [Gautier]
» (à Jules Duplan, 14 mars). Reçoit à Croisset
George Sand en mai et Tourgueneff en novembre.
1869
16 mai 1869 : « Dimanche matin, 5 heures moins 4 minutes. / FINI
! mon vieux ! Oui, mon bouquin est fini ! (...) Je suis à
ma table, depuis hier, 8 heures du matin. La tête me pète.
Nimporte ! Jai un fier poids de moins sur lestomac
» (à Jules Duplan). Cinq ans de travail, deux mille trois
cent cinquante cinq feuillets. Lecture publique du roman chez la Princesse
: seize heures en quatre séances. Fin mai, Flaubert quitte le
boulevard du Temple et sinstalle 4, rue Murillo. Aussitôt
rentré à Croisset, en juin, il se remet à la Tentation
: « Jai repris une vieille toquade, un livre que jai
déjà écrit deux fois et que je veux refaire à
neuf » (à la Princesse Mathilde, 8 juillet). Le 18 juillet,
son vieil ami Louis Bouilhet meurt : Flaubert enterre la meilleure moitié
de lui-même : « ma conscience littéraire, mon jugement,
ma boussole, mon accoucheur ». Le 13 octobre, cest au tour
de Sainte-Beuve. "Javais fait LÉducation sentimentale,
en partie pour Sainte-Beuve. Il sera mort sans en connaître une
ligne ! Bouilhet nen a pas entendu les deux derniers chapitres.
Voilà nos projets ! Lannée 1869 aura été
dure pour moi ! Je vais donc encore me trimbaler dans les cimetières
! » (à sa nièce, 14 octobre).
Le livre paraît
le 17 novembre : la critique est très mauvaise. Cinq ans plus
tard, Flaubert en a conservé le souvenir : « Le grand succès
ma quitté depuis Salammbô. Ce qui me reste sur le
cur, cest léchec de LÉducation
sentimentale. Quon nait pas compris ce livre-là,
voilà ce qui métonne » (à Tourgueneff,
2 juillet 1874). Se réconforte en passant les fêtes de
Noël à Nohant, chez George Sand.
1870
En hommage à Bouilhet, Flaubert commence à retravailler
une pièce trouvée dans les papiers du défunt, Le
Sexe faible, soccupe des répétitions de Mademoiselle
Aïssé, écrit une Préface aux « Derniers
chansons », datée 20 juin 1870, le jour même de la
mort de Jules de Goncourt, trois mois après Jules Duplan.
« (...) jai
la tête pleine denterrements, je suis gorgé de cercueils,
comme un vieux cimetière. La vie solitaire que je mène
nest pas faite pour me distraire, je nai plus personne avec
qui parler » (à Mme Roger des Genettes, 23 juin).
Travaille à La
Tentation, sans y croire : la guerre met le comble au chagrin, surtout
quand Croisset est occupé par quarante Prussiens, obligeant Flaubert
et sa vieille mère à se réfugier à Rouen.
1871
Flaubert rend visite à la Princesse Mathilde, exilée à
Bruxelles, et à Juliet Herbert, en passant par Londres (mars).
Après le départ des Prussiens, il retrouve Croisset à
peu près intact et déterre ses notes, enfouies par prudence
dans une grande boîte. « Pour ne plus songer aux misères
publiques et aux miennes, je me suis replongé avec furie dans
saint Antoine » (à George Sand, 30 avril). Élisa
Schlesinger vient à Croisset en novembre : son mari est mort
depuis mai. Flaubert envoie des billets très tendres à
une jeune veuve, Léonie Brainne, qui sera lamie intime
des dernières années de sa vie.
1872
Célébration du souvenir de Bouilhet : Flaubert publie
dans Le Temps (26 janvier) une cinglante Lettre à la municipalité
de Rouen, laquelle a refusé un emplacement pour un buste de Bouilhet
; se remet au scénario du Sexe faible, fait imprimer Mademoiselle
Aïssé, qui na pas eu de succès sur la scène,
et les Dernières chansons, avec sa préface, la seule que
Flaubert écrira (20 janvier). À propos des frais dimpressions
de ce recueil, Flaubert se « fâche à mort »
avec son éditeur Michel Lévy : cest Charpentier
qui prend la suite. La mort réduit encore le cercle autour de
Flaubert : sa mère disparaît le 6 avril. « Je me
suis aperçu, depuis 15 jours, que ma pauvre bonne femme de maman
était lêtre que jai le plus aimé. Cest
comme si lon mavait arraché une partie des entrailles
» (à George Sand, 16 avril). Croisset revient à
Caroline ; Flaubert y conserve son appartement. Le 22 octobre, Gautier
meurt, « dune suffocation trop longue causée par
la bêtise moderne » (à sa nièce, 25 octobre).
Flaubert se retrouve de plus en plus seul, sur le radeau de la Méduse
des naufragés de lArt. Au milieu de ses chagrins, il achève
La Tentation de saint Antoine (1er juillet) dédié «
À la mémoire de mon ami Alfred Le Poittevin » :
« Cest luvre de toute ma vie » (à
Mlle Leroyer de Chantepie, 5 juin). Après un séjour à
Luchon, il sembarque, sans retour, dans une autre uvre de
toute sa vie, Bouvard et Pécuchet : « Cest lhistoire
de ces deux bonshommes qui copient, une espèce dencyclopédie
critique en farce » (à Mme Roger des Genettes, 19 août).
Il reprend le plan de 1863, le modifie. Dernière lettre (connue)
à Élisa Schlesinger (5 octobre) :« Adieu, et toujours
à vous ».
1873
Malade en début dannée, Flaubert va se refaire une
santé à Nohant avec Tourgueneff (avril). Tout en continuant
ses effrayantes lectures pour Bouvard (mille cinq cents livres au total)
et ses excursions à la recherche dun paysage (Brie et Beauce
en août), il achève le Sexe faible (fin juillet) auquel
il travaille par intermittence depuis 70. Mis « en veine dramatique
», il rédige le plan d« une grande comédie
politique » que le directeur du théâtre préfère
au Sexe faible (finalement jamais représenté) : «
En admettant que Le Candidat soit réussi, jamais aucun gouvernement
ne voudra le laisser jouer parce que jy roule dans la fange tous
les partis. Cette considération mexcite. Tel est mon caractère
» (à Mme Régnier, juillet-août). Le 29 octobre,
mort de Feydeau : « Tant mieux pour lui, du reste » (à
Mme Régnier, 30 octobre).
Première lettre
à Guy de Maupassant, datée 20 juin 1873.
1874
Le Candidat, représenté le 11 mars, est un four ; résigné
au « silence du cabinet », Flaubert retire sa pièce
au bout de quatre représentations. Laccueil réservé
à La Tentation de saint Antoine, qui paraît le 31 mars,
nest pas fait pour le réconforter. En juin, il fait avec
Edmond Laporte un voyage en Normandie : « Je placerai Bouvard
et Pécuchet entre la vallée de lOrne et la vallée
dAuge, sur un plateau stupide » (à sa nièce,
24 juin). Un mois de cure en Suisse, sur ordre médical, pour
tenter de se refaire le tempérament, et le samedi 1er août
(Flaubert passe souvent aux phrases le premier du mois), malgré
la peur, il écrit lincipit de Bouvard : « Comme il
faisait, etc... ».
1875
Flaubert ne va pas fort, au physique et au moral : « Mon affaissement
psychique doit tenir à quelque cause cachée ? Je me sens
vieux, usé, écuré de tout. (...) Je nattends
plus rien de la vie quune suite de feuilles de papier à
barbouiller de noir. Il me semble que je traverse une solitude sans
fin, pour aller je ne sais où, et cest moi qui suis tout
à la fois le désert, le voyageur, et le chameau ! »
(à George Sand, 27 mars). Là-dessus arrive la ruine de
Commanville : pour éviter la faillite, Flaubert vend une ferme
à Deauville, quitte son appartement parisien. Il abandonne, définitivement
croit-il, la rédaction de Bouvard, trop difficile, au milieu
du chapitre III, en pleine médecine. À Concarneau où
il séjourne en septembre, pour se reposer, sans « papier
ni plumes » par précaution, il trouve tout de même
de quoi écrire pour commencer La Légende de saint Julien
lHospitalier, une « petite bêtise moyenâgeuse
» quil termine en février 1876.
1876
Flaubert apprend par hasard la mort de Louise Colet (8 mars) : «
Cette nouvelle mémeut de toutes façons. Vous devez
me comprendre » (à Jules Troubat, 10 mars). Son souvenir
le reporte en arrière, encore plus loin quand il fait un voyage
à Pont-lÉvêque et Honfleur pour Un cur
simple (rédigé de février à août)
: « Cette excursion ma abreuvé de tristesse, car
forcément jy ai pris un bain de souvenirs. Suis-je vieux,
mon Dieu ! Suis-je vieux ! » (à Mme Roger des Genettes,
20 avril). Comme Sainte-Beuve avant la publication de LÉducation,
la destinatrice meurt trop tôt : George Sand séteint
le 8 juin. « Javais commencé Un cur simple
à son intention exclusive, uniquement pour lui plaire. Elle est
morte, comme jétais au milieu de mon uvre. Il en
est ainsi de tous nos rêves » (à Maurice Sand, 29
août 1877). Enchaîne aussitôt avec le troisième
conte : « Maintenant que jen ai fini avec Félicité,
Hérodias se présente et je vois (nettement, comme je vois
la Seine) la surface de la mer Morte scintiller au soleil » (à
sa nièce, 17 août).
1877
Hérodias est achevé en février : Trois Contes (Moderne,
Moyen Age, Antiquité) paraît dabord en feuilleton
avant dêtre publié en volume (24 avril). Le livre
est bien accueilli. En mars, Flaubert reprend son testament, Bouvard.
Pour les besoins des chapitres III et IV, il fait avec Laporte un voyage
géologique et archéologique en Basse Normandie (septembre).
Se soutient le moral avec des projets pour après : La Bataille
des Thermopyles, Monsieur le Préfet.
1878
Histoire, littérature, politique, amour, philosophie pour les
chapitres IV à VIII de Bouvard : Flaubert finit lannée
« perdu dans la métaphysique et la religion. (...) Il y
aurait de quoi me conduire à Charenton si je navais pas
la tête forte. Dailleurs, cest mon but (secret) :
ahurir tellement le lecteur quil en devienne fou » (à
Mme Brainne, nuit de lundi, 30 décembre).
1879
En glissant sur une plaque de verglas, Flaubert se fracture le péroné.
À ces ennuis, sajoutent les difficultés financières
: il est contraint daccepter, la mort dans lâme, une
pension de trois mille francs par an sans obligation de service, accordée
par Jules Ferry. Il se relève juste pour la Saint-Polycarpe,
que ses amis lui souhaitent solennellement (27 avril). Depuis plusieurs
années, après 70 surtout (mais il le cite déjà
dans une lettre à Louise Colet de 53), Flaubert, alias aussi
Cruchard, a pris pour pseudonyme le nom de ce saint qui avait coutume
de répéter : « Dans quel siècle, mon Dieu,
mavez-vous fait naître ». Bouvard et Pécuchet
avance peu : Flaubert se débat dans des matières anti-plastiques
: la philosophie (fin du chapitre VIII) et la religion (IX).
1880
Travaille au dernier chapitre du premier volume de Bouvard : léducation.
Mais son roman, selon son mot, lachève avant quil
(Flaubert) ne lachève. Il lui manque, pense-t-il, encore
six mois pour terminer le second volume, presque exclusivement fait
de citations. Sa dernière joie littéraire fut peut-être
la lecture de Boule de Suif, nouvelle de Maupassant, quil a formé
à la rude école du style. Alors quil se préparait
à partir pour Paris, il meurt dune attaque cérébrale,
le 8 mai, laissant sur sa table Bouvard et Pécuchet inachevé,
peut-être secrètement inachevable. Il a vécu vingt-et-un
mille trois-cent-trente-sept jours, et noirci autant de feuilles de
papier. Il voulait être enterré avec ses manuscrits, comme
un barbare avec son cheval, mais il ny avait pas la place pour
deux.
Mais la mort l'emporte, le 8
mai 1880, à Canteleu, au hameau de Croisset. Bouvard et Pécuchet
paraît quand même, en publication posthume, en 1881.
Enterrement le 11 Mai, en présence de
Zola, Goncourt, Daudet, Banville, Maupassant
Flaubert est inhumé au
Cimetière monumental de Rouen, comme son ami Bouilhet.