menu poètes
menu Banville
sommaire


Trente-six ballades joyeuses (1873)

Trente-six ballades joyeuses (1873)
1861-1873

1 - Avant-propos

pour passer le temps
composées
à la manière de FRANÇOIS VILLON
excellent poëte
Qui a vécu sous le règne du roi Louis le onzième
par
Théodore de Banville

A la mémoire
du poëte Albert Glatigny
ce livre est dédié

Avant-propos

J'essaie aujourd'hui de rendre à la France une des formes de
poëme les plus essentiellement françaises qui aient existé, cette
Ballade de François Villon que Marot garda avec un soin jaloux et
que La Fontaine tâchait de ranimer, ne pouvait se décider à laisser
mourir, dans un temps où, malgré la réunion des plus grands poëtes,
s'était perdu le sentiment du Rhythme lyrique. La Ballade a pour
elle la clarté, la joie, l'harmonie chantante et rapide, et elle
unit ces deux qualités maîtresses d'être facile à lire et difficile
à faire; car, bien qu'elle pose les problèmes les plus ardus de la
versification, contenus tous dans l'obligation d'écrire quatre
couplets sur des rimes pareilles, que fournit à grand' peine la
langue française, elle a ce mérite infini qu'une Ballade bien faite
(de Villon) semble au lecteur n'avoir coûté aucun effort et avoir
jailli comme une fleur.
Il n'est pas besoin de dire que la langue du XVe siècle et celle
d'aujourd'hui sont absolument différentes entre elles; or quiconque
transporte des formes de poëme d'un idiome dans un autre, doit,
comme Horace le fit pour les Grecs, accepter de ses devanciers
toutes leurs traditions, même dans le choix des sujets. Ainsi ai-je
dû agir, et cependant mon effort fût demeuré stérile si je n'eusse
été de mon temps dans le cadre archaïque, et si dans la strophe
aimée de Charles d'Orléans et de Villon je n'eusse fait entrer le
Paris de Gavarni et de Balzac, et l'âme moderne! En un mot, j'ai
voulu non évoquer la Ballade ancienne, mais la faire renaître dans
une fille vivante qui lui ressemble, et créer la Ballade nouvelle.
Si j'ai réussi dans mon entreprise, et plaise à Dieu qu'il en soit
ainsi! j'y aurai bien peu de mérite, venant après les grands
lyriques de ce siècle, qui, façonnant les esprits comme les
rhythmes, nous ont à l'avance taillé et aplani le peu de besogne
qu'ils nous ont laissée à achever. Pourtant, je sens en moi une
sorte de petit orgueil d'ouvrier, en venant restituer un genre de
poëme sur lequel Victor Hugo n'a pas mis sa main souveraine: car,
en fait de forme à renouveler, il nous a laissé si peu de chose à
tenter après lui!
Pour l'intelligence même des poëmes qui suivront, il était
indispensable de donner au lecteur une Histoire de la Ballade; mais
ceci est une oeuvre d'érudit et de savant. Avec une compétence que
personne ne mettra en doute, mon excellent ami Charles Asselineau
a bien voulu entreprendre ce travail si intéressant, et il me
semble qu'il a définitivement élucidé et épuisé la question, dans
les pages qu'on va lire.

Théodore de Banville.

Juin 1873.

Retour menu trente six ballades joyeuses // - suivant