LES STALACTITES
1843-1846
A MON PÈRE
M. Claude-Théodore de Banville
Lieutenant de Vaisseau en retraite
Chevalier de Saint-Louis
et de la Légion d'honneur
Je dois tout à
l'affection sans bornes avec laquelle vous avez
protégé, défendu, soutenu mon enfance, modelé
et éclairé ma jeune
âme; et si j'ai jamais souhaité quelques modestes succès,
c'est
pour pouvoir vous donner un témoignage de ma reconnaissance.
Les Stalactites ont été conçues avec maturité,
exécutées avec une
certaine gravité de manière, et, par là, me semblent
en quelque
sorte dignes de vous être offertes.
Agréez l'assurance de mon profond respect et de ma tendresse
filiale.
Théodore de Banville.
Paris, le 25 février
1846.
Préface
Un immense appétit de bonheur
et d'espérance est au fond des
âmes. Reconquérir la joie perdue, remonter d'un pas intrépide
l'escalier d'azur qui mène aux cieux, telle est l'aspiration
incessante de l'homme moderne, qui ne se sent plus ni condamné
ni
esclave, et qui de jour en jour comprend davantage la nécessité
de
croire à sa propre vertu et à l'incommensurable amour de
Dieu pour
les créatures.
Si donc l'auteur de ce livre a chanté encore une fois, sous les
divins noms que la Grèce leur a trouvés, la Beauté,
la Force et
l'Amour, c'est qu'il appartient éternellement à la poésie
lyrique
de devancer comme une aurore la philosophie humaine.
L'auteur espère que les lecteurs des Cariatides remarqueront avec
plaisir dans Les Stalactites, non point un changement, mais une
certaine modification de manière, qui, pour être légère,
n'en est
pas moins importante; les personnes dont l'esprit noblement curieux
s'attache parfois aux lentes transformations et aux progrès d'un
écrivain sauront sans doute gré à l'auteur des Cariatides
d'avoir,
dans son style primitivement taillé à angles trop droits
et trop
polis, apporté cette fois une certaine mollesse qui en adoucit
la
rude correction, une espèce d'étourderie qui tâche
à faire oublier
qu'un poëte, quelque poëte qu'il soit, contient toujours un
pédant.
En effet, il ne serait pas plus sensé d'exclure le demi-jour de
la poésie, qu'il ne serait raisonnable de le souhaiter absent de
la
nature; et il est nécessaire, pour laisser certains objets
poétiques dans le crépuscule qui les enveloppe et dans l'atmosphère
qui les baigne, de recourir aux artifices de la négligence. C'est
le métier qui enseigne à mépriser le métier;
ce sont les règles de
l'art qui apprennent à sortir des règles.
C'est surtout quand il s'agit d'appliquer des vers à de la
musique qu'on sent vivement cette bizarre et délicate nécessité,
et
surtout encore lorsqu'il faut exprimer en poésie un certain ordre
de sensations et de sentiments qu'on pourrait appeler musicaux.
Les quelques chansons et imitations de rondes populaires que
contient ce volume seront, pour le lecteur, comme pour l'auteur
lui-même, une préparation, un acheminement vers un nouveau
livre
qui aura pour titre: Chansons sur des airs connus.
L'auteur profite de cette occasion pour remercier toutes les
personnes qui lui ont adressé de nombreuses marques de sympathie
et
quelquefois même d'admiration, trop vives sans doute, mais aussi
sincères qu'il l'est lui-même en les considérant comme
exagérées.
Paris, le 25 février 1846.
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