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Occidentales (1875)
{Nouvelles odes funambulesques, 1869}

Occidentales
1855-1874

1 - A Pierre Véron
Écoute: quand d'Allah la puissance féconde
Jadis pour ses enfants a fait deux parts du monde,
Aux Arabes qu'il aime il dit en souriant:
Vous êtes mes aînés, et voici l'Orient:
Cette terre est à vous de Tanger à Golconde,
Et vous l'appellerez le paradis du monde.
Puis, d'un oeil de courroux ensuite regardant
Vos pères, il leur dit: Vous aurez l'Occident.
Alexandre Dumas, Charles VII.

Vous le savez, mon cher ami, j'avais composé tout jeune encore,
pour quelques poëtes et pour moi, les premières esquisses, plus
tard augmentées, dont le caprice d'un ami, d'un éditeur artiste,
Poulet-Malassis, a fait les Odes funambulesques. Mais, le livre une
fois publié, j'avais bien résolu d'en rester là. Content d'avoir
fait pressentir le parti immense que la langue française pourrait
tirer de l'élément bouffon uni à l'élément lyrique, je voulais me
borner à l'avoir indiqué, laissant à un héritier d'Aristophane et
du grand Heine (s'il en doit venir) la gloire de réaliser ce que
j'avais seulement osé entrevoir.
Mais qui de nous fait jamais ce qu'il s'est proposé de faire? Une
première fois, j'ai manqué à la parole que je m'étais donnée, en
écrivant, à la prière de mon cher ami Gustave Bourdin, pour Le
Figaro hebdomadaire, quelquesunes des odes qui composent ce volume,
et je me disais à part moi: Je ne ferai pas un pas de plus!
Cependant vous m'avez demandé, et je n'oublierai jamais avec quelle
grâce, d'écrire pour vous des Occidentales, à un âge, hélas! où
l'on a désappris le sourire. Vous me disiez avec raison que nos
orateurs et nos gommeux de 1867, habillés à l'anglaise et coiffés
en coup de vent, ne le cèdent en rien, comme comique, à leurs aînés
de 1849: et moi, comment aurais-je refusé de donner à mes croquis
la consécration de ce Charivari étincelant de verve satirique et
bouffonne, qui est leur patrie naturelle?
S'il m'était permis de reprendre pour un jour le luth écarlate
sur lequel fredonna si follement en rimes d'or ma première
jeunesse, n'était-ce pas dans ce journal, où vous faites chaque
jour et sans compter, vous et vos collaborateurs, une si
prodigieuse dépense d'esprit, menant à bout, comme en vous jouant,
une tâche effroyable, et où les Daumier, les Gavarni, les
Grandville, les Cham, les Henri Monnier ont écrit page par page un
commentaire indestructible de la Comédie politique et de la Comédie
humaine?
Du moins j'aurais dû laisser dans le journal ces feuillets écrits
à la hâte, et ne pas leur imposer la redoutable épreuve du livre.
Mais voici maintenant mon cher éditeur Alphonse Lemerre qui en
décide autrement, et qui dit avec raison que je lui appartiens.
Forcé de laisser réimprimer nos Odes, je ne vois qu'un moyen
d'obtenir pour elles l'indulgence du public: c'est, mon cher ami,
de vous les dédier, chose si juste d'ailleurs, puisqu'elles ont été
écrites pour vous et qu'elles sont à vous. Les lecteurs ont si
accoutumé d'associer à votre nom l'idée de succès que mon livre
profitera peut-être ainsi de leur habitude prise: c'est du moins
l'espoir dont se berce assez étourdiment votre collaborateur et ami
dévoué

Théodore de Banville.
Paris, le 10 avril 1869.

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