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La Grande
Gaîté
(1929)
Opinions et jugements de la critique
A. Rolland de Renéville
(1929)
Le dernier livre de Louis Aragon marque un retour de son auteur à
un état d'esprit qui avait cours, d'une manière générale,
aux environs de 1920, mais qui de nos jours me paraît bien moins
signifier une volonté de démoralisation, que le besoin
personnel qu'éprouve celui qui le manifeste, de reprendre un
instant contact avec les forces purificatrices de la révolte,
avant de se remettre aux ordres de la révélation. Et
en attendant qu'il nous soit donné de lire les poèmes
que nous annoncent implicitement ceux de la Grande Gaîté,
nos facultés de méditation restent sollicitées
par le problème de l'Humour que ce livre remet en question.
À la faveur de la destruction des concepts logiques, le merveilleux
peux s'installer en maître. Et sans doute le plus beau jouet
du monde, l'objet le plus bouleversant qu'on puisse imaginer est-il
le corps de la femme aimée. Le passage de l'Humour à
la Poésie se reconnaît dans la Grande Gaîté
aux pages qu'anime une frénésie charnelle pleine de
grandeur. [...]
Il existe entre l'humour et la poésie une transition si peu
sensible que ce livre, écrit au début avec un dessein
négateur, s'achève dans une vibration qui ne peut plus
nous tromper. La poésie est magnifiquement présente
dans le Poème à crier dans les ruines. C'est elle aussi
qui transparaît à la dernière page du livre, et
qui éclaire de sa lumière terrible les mots "Plus
rien".
Gabriel Bounoure
(1931)
Chez M. Aragon cependant, il me semble que ce n'est pas le foie qui
est malade. Ce qu'il éprouve, c'est une colère de l'intelligence,
une épreinte de la tête. [...] Il y a plusieurs sortes
de cynisme: celui d'Aragon n'est pas celui de la nature, - à
la Diderot - ni celui de l'artiste, - à la Flaubert. C'est
le cynisme inévitable d'une "vie ironique" comme
celle qu'avait menée Stavroguine à Pétersbourg,
un cynisme radical, métaphysique, absolu. C'est une insolence
délibérée et sans limites, la conséquence
subversive d'un "raisonné dérèglement"
pour instaurer une nouvelle pureté du style. [...] Aragon s'est
avisé que le nettoyage le plus efficient était le nettoyage
par l'ordure: détourner un grand égout dans les écuries
d'Augias. Maise cette entreprise est si visiblement conduite par l'intelligence
et le sens satirique des choses de la cité, que le livre, je
dois le dire, garde un accent un peu bourgeois.
Cette insolence bio-métaphysique est de la plus grande sonséquence.
Voici le divorce irrémédiablement prononcé entre
la politesse et la poésie. Jusqu'à présent l'art
des vers était un système de bienséance, l'effort
pour cueillir un discours n'offrant qu'une fleur de bien-dire, un
surchoix de mots et de musique. Avec Mallarmé, Valéry,
la poésie est parvenue à l'état de domestication
suprême: ses chances mêmes sont comme préformées
et attendues. [...] Partis des retraites valéryennes, les surréalistes
se sont aperçus que s'accumulait quelque part une poésie
douées d'un énorme potentiel, qui jaillit par les vannes
crevées et emporte les chemins de halage. Le premier flot inévitablement
ressemble à un fleuve de boue.