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Aragon sa
vie son oeuvre
Né le 3 octobre
1897 à Paris (XVIe arr.) de Marguerite Toucas et de Louis Andrieux,
avocat, député. Mort le 24 décembre 1982 à
Paris (VIIe arr.) Marié à Elsa Triolet. Ecrivain, poète,
membre du Parti communiste depuis 1927, secrétaire de rédaction
puis membre du comité directeur de la revue Commune (1933-1939),
secrétaire général de la "Maison de la Culture"
(1936-1939), secrétaire général de l'Association
internationale des écrivains pour la Défense de la Culture,
directeur de Ce soir (1937-1939, 1947-1953), président du Comité
national des écrivains (juin 1957), directeur des Lettres françaises
(1953-1972), membre suppléant du Comité central du PCF
(1950), membre titulaire du CC depuis 1961. Prix Lénine de
littérature (1957).
" Rarement préhistoire fut plus profondément truquée,
plus durablement altérée que celle de cet enfant qui
naît le 3 octobre 1897 à Paris XVIe. Il s'appelle Louis
Aragon. Ce n'est le nom de personne des siens. Ce nom contient un
certain code qu'il ne déchiffrera que beaucoup plus tard "
écrit Pierre Daix (Aragon, une vie à changer). Aragon
est l'enfant naturel d'une jeune femme de 24 ans, Marguerite Toucas
et d'un homme de 57 ans qui a une famille et une situation officielle,
Louis Andrieux, ancien préfet de police et député
des Basses-Alpes depuis 1885. Celui-ci, opposant sous le Second Empire,
lié à Gambetta, avait été nommé
procureur de la République du Rhône à la chute
de l'Empereur ; républicain modéré, il avait
joué un rôle dans la répression de la Commune
de Lyon en avril 1871 ; élu député de Lyon en
1876, préfet de police à Paris de 1879 à 1882,
son nom demeure lié à l'expulsion des congrégations
en 1880. Tuteur de l'enfant, il lui choisit son nom (en souvenir du
temps où il avait été ambassadeur en Espagne
durant six mois, en 1882) et son prénom, et le verra régulièrement.
Marguerite Toucas pour vivre avait dû ouvrir, à la veille
de l'Exposition de 1900, une pension de famille avenue Carnot près
de l'étoile ; en 1904, elle vendit la pension pour s'installer
12, rue Saint-Pierre à Neuilly. Elle traduisait des romans
au Masque, sous la signature de M. Toucas-Massillon (par sa mère,
elle était de la famille du prédicateur Massillon).
L'enfant sentit très tôt le mystère qui entourait
sa naissance. Durant toute son enfance, sa mère passa pour
sa sur aînée et sa grand-mère pour sa mère.
Il entra en 1908 en sixième à Saint-Pierre de Neuilly.
Il avait entrevu le monde de l'art et de la littérature grâce
à son oncle Edmond Toucas, administrateur et fondateur d'une
petite revue littéraire, La Nouvelle Revue Moderne (1902),
qui fréquentait certains milieux littéraires autour
du Mercure de France et admirait beaucoup l'Art moderne.
En 1912, Louis Aragon accompagna son tuteur, député
de Forcalquier, dans une campagne électorale dans les Basses-Alpes.
Lorsque la guerre éclata, il venait de passer la première
partie du baccalauréat latin sciences. Il fréquentait
la librairie d'Adrienne Monnier ; il y rencontra pour la première
fois André Breton et les deux jeunes gens se trouvèrent
bientôt réunis par " l'intérêt qu'ils
portaient aux mêmes écrivains : Mallarmé, Rimbaud,
Apollinaire, Lautréamont, Alfred Jarry " (les Lettres
françaises, 1er juin 1967). En 1917, Aragon qui venait de passer
son PCN, le certificat préparatoire aux études de médecine,
fut mobilisé ; incorporé le 20 juin 1917, il arriva
au Val-de-Grâce en septembre 1917 pour y suivre des cours. "
Sa mobilité d'esprit est sans égale écrira André
Breton dans ses Entretiens", d'où peut-être une
assez grande laxité de ses opinions et une certaine suggestibilité.
Extrêmement chaleureux et se livrant sans réserve dans
l'amitié. Le seul danger qu'il court est son trop grand désir
de plaire. Etincelant [...]. En lui, à ce moment, peu de révolte.
Le goût de la subversion plutôt affichée par coquetterie,
mais en réalité, les impositions de la guerre et de
l'orientation professionnelle supportées avec allégresse
: croix de guerre au front ; il s'arrangeait pour avoir " pioché
" toujours un peu plus que les autres les " questions d'internat
".
Entre octobre 1917 et juin 1918, Aragon et Breton eurent de longues
conversations sur la poésie et lurent Lautréamont. Breton
présenta Philippe Soupault à Aragon. Celui-ci commença
à écrire dans des revues d'avant-garde, dans Sicoù
il publia son premier article (sur Apollinaire), dans Nord-Sud où
il donna son premier poème. Il lisait aussi des journaux socialistes
: " Nous étions des lecteurs du Drapeau rouge, du Journal
du Peuple, de la Vague, c'est-à-dire des journaux contre la
guerre, les journaux de ces socialistes qui étaient contre
la guerre ". Sorti du Val-de-Grâce médecin auxiliaire
des armées avec le rang d'adjudant-chef, il fut nommé
en avril 1918 médecin auxiliaire et envoyé au front
en juin ; le 6 avril à Couvrelles, il fut enseveli à
trois reprises sous les obus ; on lui décerna la croix de guerre
et il fut cité à l'ordre de la division. Après
sa démobilisation en juin 1919, Aragon reprit ses études
de médecine qu'il abandonna à l'automne 1921, après
être devenu externe des hôpitaux à Lariboisière.
Conscient d'appartenir à une génération nouvelle,
il se reconnut dans le mouvement Dada qui exprimait un sentiment de
révolte totale contre la société et un désir
de subversion. Il lut le Manifeste Dada, paru en décembre 1918
dans Dada 3. Avec Breton et Soupault, il lança en mars 1919
la revue Littérature où figuraient au premier numéro
les noms de Gide, Valéry, Léon-Paul Fargue, André
Salmon, Pierre Reverdy, Max Jacob, Blaise Cendrars, Jean Paulhan.
En 1920 Littérature s'ouvrit au mouvement Dada en publiant,
en mai, vingt-trois manifestes du mouvement. Aragon participa en 1920
aux manifestations et scandales Dada et ce fut dans Littérature
en mars 1921 qu'il publia son premier manifeste à contenu politique,
" A bas le clair génie français ".
En janvier 1921, Aragon et Breton décidèrent d'adhérer
au Parti communiste qui venait de naître et se rendirent au
siège de ce qui s'appelait encore la Fédération
de Paris du Parti socialiste : " Breton et moi ne nous considérant
du tout comme des communistes, nous nous sommes rendus au siège
de la Fédération de Paris (disait-on encore) du Parti
socialiste, rue de Bretagne, dire : " Voilà, nous sommes
à votre disposition, nous ne sommes pas des communistes, mais
nous ferons ce que nous pourrons pour le devenir, parce que vous êtes
le seul parti contre la guerre, et pour nous, ceci est déterminant
" ; mais la vue de Georges Pioch les dissuada d'adhérer,
ainsi qu'il le raconta dans ses entretiens avec Dominique Arban.
Au printemps 1921, Aragon participa avec Breton, Soupault, Ribemont-Dessaignes
à la " mise en accusation et jugement de Maurice Barrès
" qui témoignait du désir d'étendre l'esprit
de révolte au domaine politique. Le " procès Barrès
", ainsi que la décision de Breton de convoquer un "
Congrès international pour la détermination des directives
et la défense de l'esprit moderne " (1922), entraînèrent
la rupture avec Tzara et l'enterrement de l'esprit Dada à Littérature.
Aragon renonça à sa médecine au début
1922, s'opposant à sa famille qui lui coupa alors les vivres.
Breton le fit entrer avec lui chez le couturier-mécène
Jacques Doucet pour s'occuper de la bibliothèque. A la fin
1922, Aragon prit un emploi au Théâtre des Champs-Élysées
chez Hébertot qui lui fit transformer le bulletin-programme
de ses théâtres en un Paris-journal, hebdomadaire littéraire.
Il y cultiva délibérément la provocation jusqu'à
son départ au printemps 1923. Il publia son premier recueil
de poèmes, Feu de joie (1920), au Sans Pareil et entra à
la NRF avec trois brillants ouvrages en prose, Anicet (1921), Les
Aventures de Télémaque (1922), Le Libertinage (1924),
suivis des poèmes du Mouvement perpétuel (1925).
L'esprit de révolte qui s'était exprimé dans
le mouvement Dada se retrouva dans le surréalisme naissant,
assorti d'un espoir de libération et de révolution.
Aragon suivit l'évolution qui conduisit les surréalistes
du désir d'une révolution totale qui changerait quelque
chose dans les esprits à l'adhésion à la conception
marxiste de la révolution. Après le lancement du Manifeste
du Surréalisme (1924), il participa aux expériences
qui marquèrent les débuts du mouvement (expériences
de sommeil hypnotique et d'écriture automatique), activités
du Bureau de recherches surréalistes (la " Centrale surréaliste
"), lancement de tracts et papillons, articles dans la Révolution
surréaliste. Il fut un des six rédacteurs du pamphlet
lancé en octobre 1924 après la mort d'Anatole France,
Un Cadavre, pamphlet qui déclencha le premier véritable
scandale surréaliste ; le texte d'Aragon, " Avez-vous
déjà giflé un mort ? " était particulièrement
violent. A la fin de l'année 1924, après la publication
d'Un Cadavre se fit jour l'idée d'une collaboration entre les
surréalistes et les rédacteurs de la revue Clarté
; ces derniers cherchaient un renouvellement par une action commune
avec des groupes d'intellectuels révolutionnaires ; les premiers
voulaient sortir du cycle des scandales et des provocations. Paradoxalement,
la publication d'Un Cadavre entraîna une polémique sur
la portée de la Révolution russe entre Aragon et Jean
Bernier, un des rédacteurs de Clarté les plus proches
des surréalistes, ami comme Aragon de Drieu la Rochelle. Aragon
avait écrit : " Je tiens tout admirateur d'Anatole France
pour un être dégradé. Il me plaît que le
littérateur que saluent à la fois aujourd'hui le tapir
Maurras et Moscou la gâteuse [...] ". Le 1er décembre
1924, Aragon dans une lettre à Bernier publiée par Clarté
renchérissait " ... il vous a plu de relever comme une
incartade une phrase qui témoignait du peu de goût que
j'ai du gouvernement bolchevique, et avec lui de tout le communisme
[...]. La Révolution russe, vous ne m'empêcherez pas
de hausser les épaules. A l'échelle des idées,
c'est au plus une vague crise ministérielle. Il siérait,
vraiment, que vous traitiez avec un peu moins de désinvolture
ceux qui ont sacrifié leur existence aux choses de l'esprit
[...] Je tiens à répéter dans Clarté même
que les problèmes posés par l'existence humaine ne relèvent
pas de la misérable petite activité révolutionnaire
qui s'est produite à notre Orient au cours de ces dernières
années [...] ". La polémique entre Aragon et Clarté
tourna rapidement court. D'ailleurs, d'après Breton, Aragon
aurait donné à plusieurs membres du groupe l'impression
qu'il " s'enferrait ". " Parmi nous, même les
esprits les plus étrangers à la politique voyaient là
un " morceau de bravoure " indéfendable ". Cependant
cette polémique n'empêcha pas le rapprochement du groupe
surréaliste avec la revue Clarté ; le rapprochement
s'effectua en juillet 1925, au moment de la protestation lancée
contre la guerre du Rif. Après avoir signé un "
Appel contre la guerre " rédigé par Henri Barbusse,
les surréalistes convinrent avec Clarté d'élaborer
un manifeste commun qui scellerait l'accord des deux groupes. Breton,
après avoir reconnu la nécessité de la révolution
économique et sociale, avait orienté l'activité
surréaliste à l'été 1925 vers les scandales
collectifs à caractère politique, cherchant d'autres
formes d'action plus efficaces et une voie d'accès vers le
PC. Aragon fut chargé de recevoir l'émissaire de Clarté,
Victor Crastre.
Voici le portrait d'Aragon que trace Victor Crastre, portrait qui
paraît encore fidèle plus de cinquante ans après
(on pense au goût des masques, par exemple) : " Je ne saisis
pas sur le coup tout ce qui se cache de coquetterie sous tant d'aisance
gracieuse et près des ailes de l'ange, les cornes du diable.
Je ne veux pas parler de pose, mais plutôt noter la difficulté
à découvrir, sous les masques divers, l'individu authentique
: n'est-ce pas pour cacher le véritable Aragon que cet enchanteur
irréel fait pleuvoir sur nous ce bouquet fleuri de mots aimables
et de gestes heureux ? Mais le véritable Aragon, où
est-il ? Homme-Protée, je lui vois un tel don de transformation,
une si extraordinaire aptitude à jouer les personnages les
plus différents, que je me demande si le véritable Aragon
n'est pas uniquement cela : un des plus admirables acteurs de l'époque
? [...] L'impression d'ensemble était d'instabilité,
mais d'une instabilité voulue, sans rien de maladif, ce qui
étonnait et inquiétait un peu. Aragon, en vérité,
a toujours été très maître de ses nerfs
: ses colères, comme ses câlineries font partie du rôle
qu'il joue et servent ses desseins " (Le Drame du Surréalisme,
p. 41).
D'après Victor Crastre, le manifeste qui devait sceller l'accord
entre les surréalistes et la revue Clarté aurait été
rédigé par lui-même et Aragon. Peu après,
Aragon écrivait dans La Révolution surréaliste
d'octobre 1925 : " Plus encore que le patriotisme, qui est une
hystérie comme une autre, mais plus creuse et plus mortelle
qu'une autre, ce qui nous répugne c'est l'idée de patrie
qui est vraiment le concept le plus bestial, le moins philosophique,
dans lequel on essaie de faire entrer notre esprit " (En 1928,
dans son Traité du Style, on pouvait lire, de la même
inspiration, des phrases telles que celle-ci : " J'appartiens
à, dit-on, la classe 1917. Je dis ici, et peut-être ai-je
l'ambition, et certainement j'ai l'ambition de provoquer par ces paroles
une émulation violente chez ceux que l'on appelle sous les
drapeaux, je dis ici que je ne porterai plus jamais l'uniforme français,
la livrée qu'on m'a jetée il y a onze ans sur les épaules,
je ne serai plus le larbin des officiers, je refuse de saluer ces
brutes et leurs insignes, leurs chapeaux de Gessler tricolores [...]
").
Le manifeste, " La révolution d'abord et toujours ",
parut dans l'Humanité le 21 septembre 1925 et le 15 octobre
1925 simultanément dans Clarté et La Révolution
surréaliste et fut signé aussi par le groupe "
Philosophies " et le groupe belge " Correspondance "
; il se terminait par ces mots : " Nous ne sommes pas des utopistes
: cette révolution nous ne la concevons que sous la forme sociale
". Le 8 novembre 1925, les surréalistes affirmaient dans
l'Humanité qu'il n'y avait pas de conception surréaliste
de la révolution. En même temps, Breton refusait de désavouer
l'activité et les recherches surréalistes. Après
l'échec d'une revue commune Clarté-La Révolution
surréaliste, les surréalistes écrivirent dans
Clarté. En juillet 1925, Aragon collabora au numéro
spécial de Clarté " Contre la guerre du Maroc.
Contre l'impérialisme français " (15 juillet) ;
approuvant la protestation de Clarté, il ajoutait : "
Mais permettez-moi, pour cette raison même, de vous reprocher
d'avoir employé pour en appeler à tous les expressions
du langage nationaliste : indépendance-souveraineté
nationale droit imprescriptible des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Il n'y a pas de peuples pour moi, à peine si j'entends ce mot
au singulier. Enfin je n'admets pas que vous vous adressiez à
ceux qui se disent, à quelque titre que ce soit, anciens combattants
; je tiens tout homme qui se pare d'un pareil nom pour un con ou un
escroc ".
Aragon donna dans Clarté le 30 novembre 1925 une étude
théorique " marxiste ", " Le prolétariat
de l'esprit ", dénonçant la condition des intellectuels
en régime bourgeois, puis le 15 juin 1926, un autre article,
" Le prix de l'esprit ". Il s'était initié
à Hegel, avait lu le Manifeste communiste, quelques textes
de Lénine. Mais si Aragon approuvait l'évolution politique
du groupe vers le communisme, il était en revanche isolé
quant à la définition de l'activité surréaliste
proprement dite. Le procès verbal de l'assemblée du
23 novembre 1926 (Archives du surréalisme 3) a gardé
trace du différend opposant Breton à Aragon sur la question
du roman. Celui-ci avait publié des extraits d'un roman à
paraître (La Défense de l'infini) dont il brûlera
la plus grand partie à l'automne 1927 dans un hôtel de
Madrid en présence de sa maîtresse Nancy Cunard. Des
cinq membres du groupe surréaliste qui adhérèrent
au PCF en 1927, Breton, Eluard, Péret, Pierre Unik et lui,
il fut le premier à le faire, en janvier (" le jour des
Rois "). Dans la brochure Au grand jour, les " Cinq "
s'expliquaient ; s'adressant notamment à leurs camarades communistes,
ils tentaient de dissiper les malentendus qui entouraient leur adhésion.
Cependant la prétention des surréalistes à jouer
un rôle particulier dans le Parti communiste ne pouvait qu'accroître
le malentendu ; Breton a fait adhérer le surréalisme
au matérialisme dialectique, mais il n'a pas renoncé
à l'ambition propre du mouvement.
Aragon rapporta que ce fut Maïakovsky, rencontré à
la Coupole à la fin de l'année 1928 qui lui révéla
la fonction révolutionnaire du poète. " Le poète
qui a su faire de la poésie une arme, le poète qui a
su ne pas être au-dessous de la Révolution devait être
le lien entre le monde et moi ". A cette date, Aragon rencontra
Elsa Triolet avec laquelle son destin allait s'unir ; il sortait alors
d'une crise qui l'avait conduit près du suicide, à l'issue
de sa liaison avec Nancy Cunard.
En 1929, Aragon et Breton pour apaiser le malaise provoqué
par l'adhésion des " Cinq " au PCF, prirent l'initiative
de convoquer une réunion commune, rue du Château, aux
surréalistes, aux exclus du groupe, aux " clartéistes
". Après l'échec de cette réunion en mars
et les exclusions qui suivirent, Breton lança le Second manifeste
du Surréalisme (15 décembre 1929) qui faisait le point
sur la position politique et littéraire du groupe. Aragon appuya
cette évolution et la transformation en 1930 de La Révolution
Surréaliste en le Surréalisme au Service de la Révolution
(qui s'ouvrait par une correspondance avec le Bureau international
de la littérature internationale).
En novembre 1930, Aragon partit avec Elsa Triolet en URSS ; le voyage
avait des raisons essentiellement privées, puisqu'il s'agissait
de rendre visite à la sur d'Elsa, Lili Brik, compagne
de Maïakovsky qui venait de se suicider. Georges Sadoul, sous
le coup d'une condamnation en France, les rejoignit à l'automne.
Invité avec Sadoul à assister aux travaux de la Conférence
des écrivains révolutionnaires à Kharkov, Aragon,
en liaison avec Breton, se préoccupa de défendre la
ligne surréaliste et de faire condamner l'hebdomadaire Monde
de Henri Barbusse. Il intervint à la tribune du congrès,
y exprimant son enthousiasme pour la réalité soviétique
et la certitude qu'une littérature prolétarienne naîtrait
de cette réalité ; mais il refusait pour lui-même
en France le titre d'écrivain prolétarien (" en
aucun cas les surréalistes qui font en France un travail d'agitation
particulier ne se sont donnés pour des littérateurs
prolétariens "), tout en rappelant qu'il assistait aux
travaux de la Conférence non en tant que surréaliste,
mais comme communiste. Un certain nombre de faits contradictoires
marquèrent à son retour ses relations avec le groupe
surréaliste. En décembre 1931, Aragon publia dans le
Surréalisme au service de la Révolution (n° 3),
un article intitulé " Le surréalisme et le devenir
révolutionnaire " dans lequel il portait le jugement suivant
sur son voyage : " On sait qu'à la fin de 1930, Georges
Sadoul et moi, avons été en Russie ; nous avons été
en Russie plus volontiers qu'ailleurs, beaucoup plus volontiers, c'est
tout ce que j'ai à dire des raisons de ce départ ".
Aragon se proclamait toujours surréaliste, mais surréaliste
conséquent dans l'adhésion au marxisme : " La reconnaissance
du matérialisme dialectique comme seule philosophie révolutionnaire,
la compréhension et l'acceptation sans réserves de ce
matérialisme par des intellectuels partis d'une position idéaliste
conséquente, en face des problèmes concrets de la Révolution,
ce sont là des traits essentiels de l'évolution des
surréalistes, je veux dire de ceux d'entre eux qui s'étant
violemment séparés de tous ceux qui, pour des raisons
diverses, toujours ramenables à des raisons de classe, entendaient
suivre une évolution différente, sont aujourd'hui désignés
communément sous le nom de surréalistes.
Cette évolution implique avec plus de fermeté que jamais,
avec la fermeté que donne une semblable base philosophique,
la reconnaissance dans le domaine de la pratique, de la IIIe Internationale
comme seule action révolutionnaire, et implique la nécessité
d'appuyer avec les moyens variables qui peuvent être ceux des
intellectuels considérés, l'action en France du Parti
communiste français, section française de cette Internationale
."
En 1931, Aragon participa à l'action des surréalistes
contre l'Exposition coloniale de Vincennes en signant les tracts lancés
à cette occasion ; il s'occupa activement de l'Exposition anticoloniale
communiste en se chargeant avec Eluard de la décoration des
stands. Cependant les surréalistes, troublés, apprenaient
qu'Aragon et Sadoul avaient signé à Kharkov, le 1er
décembre 1930, avant de rentrer à Paris, une lettre
à l'Union internationale des écrivains révolutionnaires
dans laquelle ils reconnaissaient leurs erreurs et se ralliaient à
la plate-forme idéologique de la conférence. En réalité,
ils avaient signé cette autocritique au commencement de la
conférence afin d'y être admis, comme l'a montré
Jean-Pierre Morel. Ils reconnaissaient qu'en tant que membres du Parti,
ils auraient dû soumettre leur activité littéraire
au Parti (c'était renoncer à l'exigence qu'avait toujours
formulée Breton de l'autonomie du surréalisme dans le
domaine spirituel) ; ils désavouaient tout ce qui, dans le
Second manifeste du Surréalisme, était incompatible
avec le matérialisme dialectique, notamment le freudisme ;
ils reconnaissaient qu'ils avaient eu tort d'attaquer violemment H.
Barbusse, en dehors des organisations du Parti. " Notre seul
désir est de travailler de la façon la plus efficace
suivant les directives du Parti à la discipline et au contrôle
duquel nous nous engageons à soumettre notre activité
littéraire ". Devant l'indignation du groupe surréaliste,
Aragon se plaignit que sa signature lui avait été extorquée
; mais il refusa de demander une rectification. Il affirmait pourtant
que son accord avec Breton et le groupe était une " question
de vie ou de mort ", qu'il ne s'était résolu à
signer ce document que pour permettre à Breton de travailler
en accord avec le Parti communiste, à la création d'une
section française de l'Union internationale des écrivains
révolutionnaires. Puis il publia un manifeste (écrit
six mois avant, avec Sadoul, en URSS), " Aux Intellectuels révolutionnaires
" dans lequel il justifiait, comme arme contre la bourgeoisie,
l'emploi de la méthode psychanalytique qu'il avait condamnée
comme " idéaliste " dans sa lettre à l'UIER.
Les rapports entre Aragon et le groupe surréaliste en étaient
là, lorsque parut le poème " Front Rouge ",
écrit par Aragon à Moscou, comme preuve de son ralliement.
Publié en juillet 1931 par l'édition française
de la Littérature de la Révolution mondiale, organe
de l'Union internationale des Ecrivains révolutionnaires (UIER),
ce poème déclencha " l'affaire Aragon " qui
aboutit à la rupture d'Aragon avec le surréalisme. Ce
poème marquait une brutale rupture avec l'uvre antérieure
d'Aragon et traduisait la volonté d'appliquer à la poésie
la vision marxiste. C'était un poème militant, publié
ensuite dans Persécuté Persécuteur (1931), qui
faisait largement place aux mots d'ordre de combat et dont certains
passages étaient empreints d'une violence provocatrice aiguë.
" Front Rouge " fit grand bruit ; Aragon fut poursuivi et
inculpé en janvier 1932 pour " excitation de militaires
à la désobéissance et provocation au meurtre
". Les surréalistes, sur l'initiative de Breton, lancèrent
pour défendre Aragon une pétition qui se couvrit bientôt
de plus de trois cents signatures. La pétition se terminait
ainsi : " Nous nous élevons contre toute tentative d'interprétation
d'un texte poétique à des fins judiciaires et réclamons
la cessation immédiate des poursuites. " Puis Breton publia
une brochure, Misère de la Poésie " L'affaire Aragon
" devant l'opinion publique (1932), dans laquelle il s'élevait
contre le " précédent scandaleux de répression
en matière de poésie " et le procédé
qui consistait à détacher du contexte poétique
des expressions telles que " Descendez les flics ", "
Feu sur Léon Blum ", pour y voir des provocations à
l'assassinat. La protestation de Breton était désintéressée
car il avouait ne pas aimer le poème d'Aragon, qui aurait,
selon lui, manqué le drame poétique en voulant exprimer
le drame social. Aragon approuva la protestation des intellectuels
en sa faveur et le contenu de la brochure de Breton, mais déclara,
qu'en raison des attaques voilées qu'elle contenait contre
le PC et sa politique littéraire, il en jugeait la publication
inopportune et réservait sa position personnelle.
Or un entrefilet de l'Humanité (10 mars 1932) communiqué
à la presse par l'Association des Ecrivains et Artistes révolutionnaires
(AEAR), section française de l'UIER, qui venait d'être
fondée, fit savoir qu'Aragon se désolidarisait de la
brochure de Breton : " Notre camarade Aragon nous fait savoir
qu'il est absolument étranger à la parution d'une brochure
intitulée : Misère de la Poésie. L' " affaire
Aragon " devant l'opinion publique, est signée André
Breton. Il tient à signaler clairement qu'il désapprouve
dans sa totalité le contenu de cette brochure et le bruit qu'elle
peut faire de son nom, tout communiste devant condamner comme incompatible
avec la lutte de classe et par conséquent comme objectivement
contre-révolutionnaires, les attaques que contient cette brochure.
"
Les surréalistes déclarèrent apprendre par cet
entrefilet la fondation effective de l'AEAR, car jusqu'alors ils n'avaient
pas reçu de réponse à leur demande d'affiliation,
Aragon inclus. Ils apprenaient, en outre, qu'Aragon ne se comptait
plus comme un des leurs. Le groupe surréaliste tira la leçon
de l'affaire en publiant Paillasse ! (Fin de " l'Affaire Aragon
") (mars 1932). Paul Eluard écrivit un texte très
dur pour Aragon, " Certificat " : " Je comprends qu'il
ait toujours tenté de justifier à nos yeux le principe
d'une évolution par bonds qui lui serait propre et qui ne laissait
pas de me paraître inquiétante. C'est seulement aujourd'hui
qu'il m'est donné de voir, en effet, quelles contradictions
misérables il entend faire passer à la faveur de sa
prétendue conception dialectique de la vie. "
La rupture d'Aragon avec le surréalisme ne se fit pas sans
mal, comme le prouvent ses réticences à accepter les
mots d'ordre culturels de la conférence de Kharkov, son attitude
souvent contradictoire vis-à-vis du groupe surréaliste.
Aragon souhaitait, semble-t-il, faire évoluer le groupe surréaliste
sans rompre avec lui. Les surréalistes mirent en doute sa sincérité
et posèrent le problème de sa double attitude ; tout
en proclamant leur adhésion au matérialisme dialectique,
ils refusaient d'abdiquer leur autonomie spirituelle au profit d'une
littérature qu'ils considéraient comme une littérature
de propagande.
Par la suite, Aragon attribua une signification profonde à
son voyage en URSS et fit dater de ce retour, sa transformation intime,
son évolution politique et littéraire. " Je suis
revenu d'URSS et je n'étais plus le même homme. Pourtant,
il restait à trancher mille liens, fins comme la toile d'araignée.
Si j'en ai eu la force, c'est, je le sais, grâce au travail
pratique, au travail social dans lequel m'entraînait le prolétariat
de mon pays. C'est parce que j'étais désormais mêlé
à cette lutte de tous les jours des nouveaux Titans du ciel
social... Ce n'est donc pas un simple fait de ma biographie que cette
transformation de tout moi-même et de mon uvre par l'URSS
et par le travail pratique dans les organisations révolutionnaires
" (Pour un réalisme socialiste, p. 53).
Les premières expériences d'Aragon dans le Parti furent
décevantes pour lui. Dans les entretiens avec Dominique Arban,
il a évoqué l'ouvriérisme et l'anti-intellectualisme
qui régnait alors dans le Parti ainsi que " l'incompréhension
totale de ce que pouvaient être des gens comme nous ".
Dans ses entretiens avec Jean Ristat en 1979 à la télévision,
Aragon déclara que ce fut Maurice Thorez qui mit fin à
ces abus en 1931, lui rendant ainsi la vie possible dans le Parti.
Au printemps 1932, sans doute sous l'influence d'Elsa, le couple retourna
à Moscou où il passa un an. Aragon travailla à
l'UIER (Union internationale des écrivains révolutionnaires)
où il fut responsable de l'édition française
de la Littérature de la révolution mondiale qui paraissait
en plusieurs langues ; il partageait la vie des cadres étrangers
et fit la connaissance de la plupart des écrivains soviétiques
et des écrivains du mouvement communiste international des
années trente. Le travail d'Aragon à l'UIER, fut suffisamment
apprécié pour que Béla Illés, secrétaire
de l'UIER demandât à André Marty qu'on prolongeât
son séjour à Moscou en raison du caractère "
indispensable " de son travail (10 septembre 1932). En réponse,
le 19 septembre, Marty affirma qu'il n'y avait pas d'" intérêt
primordial à prolonger le séjour en URSS du camarade
Aragon " avant d'assouplir sa position (CRCEDHC, 541 1 115 et
120). Le secrétariat de l'UIER proposa finalement à
Marty que Léon Moussinac fût désigné comme
successeur d'Aragon (27 janvier 1933, CRCEDHC, 495 270 72). A son
retour à Paris au printemps 1933, il entra à l'Humanité
(où il resta d'avril 1933 à mai 1934), comme journaliste
à la rubrique des " informations générales
" ; il rédigea des entrefilets anonymes sur les faits
divers ; signa son premier article sur la catastrophe de Lagny, puis
suivit l'affaire Violette Nozières ; il y présenta les
événements de février 1934. Aragon était
appuyé par Vaillant-Couturier, toujours attentif à la
force que représentaient les intellectuels et qui le présenta
à Maurice Thorez. Au début de 1932, Aragon se consacra
un temps à la propagande antireligieuse, en dirigeant l'organe
de la " Libre pensée prolétarienne ", La Lutte.
D'après Roger Garaudy, ce serait Maurice Thorez qui aurait
conseillé à Aragon de choisir une voie plus intégrée
à la vie du Parti. Le tournant qui préluda à
l'avènement du Front populaire lui permit de trouver sa voie
comme intellectuel et de s'épanouir dans l'action.
A partir de 1933, Aragon prit place dans le mouvement de front unique
antifasciste des intellectuels, lancé par le Parti communiste
; son rôle y crût à mesure que se développait
l'idéologie de rassemblement antifasciste, à la veille
et au lendemain du Front populaire. Il fit partie de l'Association
des écrivains et Artistes révolutionnaires (AEAR), rattachée
à l'Union internationale des écrivains révolutionnaires
(UIER). Il devint secrétaire de rédaction de la revue
Commune, organe de l'AEAR, en juillet 1933 et le resta jusqu'en décembre
1936. A partir de janvier 1937, ce fut René Blech qui assura
le secrétariat de rédaction tandis que le nom d'Aragon
figurait au Comité directeur aux côtés de ceux
d'André Gide (qui disparut du Comité en août 1937),
de Romain Rolland, de Paul Vaillant-Couturier (qui mourut en octobre
1937). A partir de l'automne 1937, la revue fut officiellement dirigée
par Romain Rolland et Aragon, mais en réalité Aragon
assuma seul les tâches de direction. Il écrivit régulièrement
dans Commune et il y commenta, au début de 1934, les réponses
à l'enquête lancée en décembre 1933 par
la revue sur le thème " Pour qui écrivez-vous ?
" Il donna des critiques d'uvres littéraires (Antoine
Bloyé de Paul Nizan par exemple, en mars-avril 1934), de textes
et d'ouvrages politiques : il commenta en octobre 1936 la nouvelle
Constitution de l'URSS et le Procès du Centre terroriste trotskiste-zinoviéviste.
Il se consacra à l'organisation de nombreux débats et
conférences sous l'égide de l'AEAR ou de la Maison de
la Culture (qui groupait, outre l'AEAR, de nombreuses associations
culturelles du Front populaire). Citons le débat " Où
va la peinture ? " avec René Crevel en mai 1935, l'hommage
à Victor Hugo en juin 1935, le débat " Défense
du roman français. Ce que signifie Le Sang noir " en décembre
1935, le débat sur " Le réalisme à l'ordre
du jour " en mai 1936, l'hommage à Gorki, publié
par Commune en août 1936 (avec la reproduction du discours qu'Aragon,
arrivé en URSS en juin 1936 au moment de la mort de Gorki,
avait prononcé le 21 juin en présence de 20 000 personnes,
au Parc de la Culture M. Gorki). A partir de l'automne 1936, il prit
fréquemment la parole en faveur de l'Espagne républicaine.
La rupture d'Aragon avec le surréalisme se traduisit sur le
plan littéraire par des écrits à l'inspiration
plus politique et sociale. En 1934 parurent les poèmes d'Hourra
l'Oural écrits pour la plupart en URSS en 1932, et qui magnifiaient
la construction du socialisme à travers des réalisations
telles que Magnitogorsk : Aragon avait visité l'Oural avec
une brigade d'écrivains et il avait été enthousiasmé
par l'épopée qui s'y déroulait. C'est en 1934
également qu'il publia Les Cloches de Bâle, premier roman
de la série " Le Monde Réel ", qui exprimait
sa conversion au réalisme. Dans ce roman, il tentait de rendre
sensibles les classes sociales à la veille de 1914 : on y voyait
apparaître la grande bourgeoisie, avec ses scandales, ses intrigues,
ses responsabilités dans la préparation de la guerre,
ses relations avec l'état-major ; la petite bourgeoisie intellectuelle
à travers un cercle d'anarchistes émigrés, en
révolte contre la société bourgeoise mais impuissants
à s'intégrer à la classe ouvrière ; le
monde ouvrier, évoqué de biais à partir de certains
épisodes historiques comme la grève des chauffeurs de
taxi, les funérailles de Lafargue. Le roman se terminait par
l'apparition de Clara Zetkin au dernier congrès de l'Internationale
socialiste à Bâle en novembre 1912. Aragon expliqua ultérieurement
(la Nouvelle Critique, juillet-août 1945) qu'il avait voulu
montrer " le passage d'une partie de la bourgeoisie dans le camp
des travailleurs, ou tout au moins le désir d'y passer, c'est-à-dire
comme historiquement ce désir apparaissait d'abord ".
Les critiques communistes saluèrent Les Cloches de Bâle
comme un exemple de l'application de la méthode du réalisme
socialiste à la littérature. Aragon s'employa d'ailleurs
à faire connaître en France les théories du réalisme
socialiste telles qu'elles avaient été définies
à Moscou à l'été 1934 au premier congrès
des écrivains soviétiques (auquel il avait assisté).
En 1935, il réunit, sous le titre Pour un réalisme socialiste
plusieurs conférences (notamment un exposé fait à
la Maison de la Culture de Paris le 4 avril 1935 intitulé "
D'A. de Vigny à Avdeenko : les écrivains dans les soviets
" ; " Message au congrès des John Reed Clubs "
qui s'était tenu à New York fin avril 1935 ; "
Le retour à la réalité ", discours au Congrès
des écrivains pour la Défense de la Culture, le 25 juillet
1935). Dans ces textes, Aragon (qui expliquait sa propre évolution
du surréalisme au communisme) réclamait le " retour
à la réalité " : " Assez joué,
assez rêvé éveillé, au chenil les fantaisies
diurnes ou nocturnes " ; mais il cherchait à relier le
réalisme socialiste à toute une tradition littéraire
: " Réalisme socialiste ou romantisme révolutionnaire
: deux noms d'une même chose et ici se rejoignent le Zola de
Germinal et le Hugo des Châtiments. Il fallait, pour que cette
synthèse fût possible, l'écroulement du capital
et la victoire du socialisme sur un sixième du globe ".
Il demandait aux écrivains de regarder vers la réalité
soviétique où des écrivains sortis de la bourgeoisie
étaient devenus des alliés du prolétariat, où
ils étaient devenus " selon la géniale expression
de Staline " des " ingénieurs des âmes ".
Aragon poursuivit sa tentative de réalisme français
avec Les Beaux quartiers (1936) qui obtint le prix Renaudot. Le roman
poursuivait la satire des milieux bourgeois, notamment provinciaux,
et s'achevait sur la découverte de la réalité
ouvrière par un fils de famille. Dédié à
Elsa Triolet " à qui je dois d'être ce que je suis,
à qui je dois d'avoir trouvé du fond de mes nuages l'entrée
du monde réel où cela vaut la peine de vivre et de mourir
", le roman (qui avait d'ailleurs été rédigé
en partie à Moscou lors du séjour de 1936) pouvait illustrer
la ligne " nationale " du Parti au moment du Front populaire.
" Ce n'est pas Thorez écrit Pierre Daix qui a soufflé
à Aragon la théorie d'un réalisme français,
mais c'est indéniablement aux encouragements de Thorez qu'Aragon
a dû de formuler avec de plus en plus de hardiesse une conception
du développement de l'héritage national aux antipodes
de ce " mécanisme de classe de l'inspiration poétique
" à quoi il croyait, encore en 1933, identifier les positions
du parti ". Aragon revint fréquemment sur cette notion
de réalisme national (notamment dans sa conférence du
5 octobre 1937 pour l'Exposition internationale, publiée dans
Européen mars 1938, " Réalisme socialiste, réalisme
français ").
Aragon se dépensa sans compter pour préparer le Congrès
des écrivains pour la Défense de la Culture (Paris,
21-25 juin 1935) dont il fut, avec Ehrenbourg du côté
soviétique, une des chevilles ouvrières. Le Congrès,
d'initiative communiste, rassembla de nombreux compagnons de route
de tous pays. Aragon y prononça le 25 juin un discours, "
Le retour à la réalité ". Elu secrétaire
de l'Association internationale des écrivains pour la défense
de la Culture, Aragon fut de ceux qui préparèrent activement
le second congrès qui se tint en Espagne et s'acheva à
Paris en 1937. Il y évoqua le thème du " réalisme
national ". Il dirigea chez Denoël la collection "
Association internationale des écrivains pour la défense
de la Culture ".
En 1936-1937, la foi d'Aragon en l'URSS ne fut pas touchée
par les témoignages d'un André Gide ou d'un Victor Serge.
Il ne mit pas en doute le bien-fondé des procès de Moscou,
à propos desquels il écrivit dans Commune en mars 1937
: " C'est pourquoi nous appellerons époque stalinienne
l'époque où nous vivons, et assassins, félons
et canailles, les hommes qui ont fait leur programme du meurtre projeté
de Staline et du sabotage de la construction socialiste " (Vérités
élémentaires). Est-il certain pourtant qu'il ne fut
pas ébranlé? Selon Lilly Marcou, Aragon ne crut pas
en la culpabilité du général Primakov, compagnon
de sa belle-sur Lili Brik, fusillé en juin 1937 avec
d'autres cadres de l'Armée rouge. Lors d'un entretien avec
Jacques Duclos en présence de Fried, le sujet aurait été
abordé et Aragon se serait refusé à toute déclaration
publique (p. 182-185) : " Le sang, le deuil, la peur étaient
entrés dans la famille " (Elsa Triolet. 182).
A l'automne 1936, Aragon se vit confier par Maurice Thorez la tâche
de diriger un grand quotidien du soir qui compléterait le réseau
de presse du Parti et qui concurrencerait Paris-Soir. Aragon demanda
à Jean-Richard Bloch de partager avec lui la direction de Ce
Soir qui fut lancé le 1er mars 1937, avec une bonne équipe
de collaborateurs favorables au Front populaire. Y écrivirent
des journalistes communistes comme Gabriel Péri, Paul Nizan,
y écrivirent aussi Andrée Viollis et Pascal Pia ; de
nombreux reportages, sur la guerre d'Espagne notamment, y furent publiés.
Ce Soir connut un succès assez remarquable ; il tirait à
120 000 exemplaires à l'automne 1937, et atteignit les 250
000 en mars 1939. Le journal, ferme défenseur de l'Espagne
républicaine, dénonça vigoureusement les accords
de Munich. Partisan d'une alliance entre les démocraties occidentales
et l'URSS, Ce Soir dut faire face à la situation nouvelle crée
par l'annonce, puis la signature du pacte de non-agression germano-soviétique
du 23 août 1939. Ce fut Aragon, Jean-Richard Bloch, alors en
vacances à Poitiers qui se chargea de justifier le pacte dans
ses éditoriaux (" vive la paix ! " 23 août
1939, " Tous contre l'agresseur ", 24 août 1939).
Il se plaçait sur la même ligne que celle défendue
par L'Humanité, à savoir que le pacte avait fait reculer
la guerre et n'était pas incompatible avec un accord tripartite,
Grande-Bretagne, France, URSS. Dans l'éditorial " Tous
contre l'agresseur " (Ce Soir daté du 25 août, écrit
le 24), Aragon réaffirma les principes de l'antifascisme et
énonça clairement le devoir patriotique en cas d'agression.
La saisie et l'interdiction par le gouvernement Daladier de L'Humanité
et de Ce Soir, le 25 août, empêchèrent la parution
de son article " Union de tous les Français ". Après
la saisie et l'interdiction, Aragon qui avait été molesté
dans la rue par des manifestants d'extrême-droite se mit à
l'abri les derniers jours d'août à l'ambassade du Chili
où il termina Les Voyageurs de l'impériale.
Mobilisé le 2 septembre 1939 comme médecin auxiliaire
et envoyé sur la frontière belge, Aragon se remit à
la poésie pendant la drôle de guerre ; grâce à
Paulhan, il se réconcilia avec Gaston Gallimard. La NRF publia
des poèmes écrits aux armées dans le numéro
de décembre 1939. A partir de janvier 1940, son roman Les Voyageurs
de l'impériale parut dans La NRF. Pendant la bataille de France
de mai-juin 1940, il se battit courageusement ; fait prisonnier à
Angoulême, il s'évada. Sa conduite lui valut deux citations,
la médaille militaire et la Croix de guerre avec palme. Démobilisé
à Ribérac en Dordogne en juillet 1940, Aragon retrouva
alors Elsa. Le couple alla à Carcassonne puis aux Angles avec
Pierre Seghers, avant de s'installer à Nice où ils arrivèrent
le 30 décembre 1940. A cette date Aragon n'avait pas de liaison
avec la direction communiste clandestine. Sa collaboration à
des publications légales, l'interruption de ses contacts avec
les responsables, sa " disparition " en zone sud firent
planer sur lui des soupçons, comme en témoignent certains
documents.
Dans un document conservé dans le fonds français de
archives du Komintern et daté du 10 novembre 1940, on apprend
que les responsables du parti voulaient faire revenir Aragon en zone
occupée pour le faire travailler parmi les intellectuels et
étudier son comportement depuis sa démobilisation :
" A fait une faute. A fait paraître un poème dans
le Figaro. Nous étudierons son affaire lorsqu'il sera ici.
" (CRCEDHC, fonds 517 1 1916, consulté par Nicole Racine).
Dans ses conversations avec André Marty à Moscou en
avril-mai 1941, Jean-Richard Bloch fut très étonné
d'apprendre " qu'il y ait une question Aragon ". Il déclara
" Aragon s'est très bien conduit pendant le guerre et
l'après-guerre (...) Décoré de la médaille
militaire, la croix de guerre, il écrivait : 'Nous devons être
les premiers partout'. " Sur la publication de textes d'Aragon
dans la NRF, Bloch en impute la responsabilité à Elsa
Triolet et affirme que Aragon aurait désavoué cette
parution. D'après Jean-Richard Bloch, ce serait le Suisse Pierre
Nicole (le fils de Léon Nicole, dirigeant de la gauche socialiste)
qui aurait écrit que " l'attitude d'Aragon n'était
pas bonne ". Après avoir reproduit ces déclarations,
Marty ajoutait : " Je reste convaincu que la position d'Aragon
pendant et après la guerre est à éclaircir "
(CRCEDHC, Moscou, fonds 517 3 47, consulté par Nicole Racine).
La ligne officielle du Komintern qui condamnait toute position légaliste
était respectée par les responsables du travail parmi
les intellectuels ; Georges Politzer assimilait dans le premier numéro
clandestin de La Pensée libre, parue en février 1941,
la littérature légale à la littérature
de trahison. Selon Georges Sadoul, Aragon avait, dès l'automne
1940 établi un plan de résistance littéraire
légale. Outre " Les Lilas et les roses " paru sous
son nom dans Le Figaro (21 et 28 septembre 1940), des poèmes
parurent toujours sous son nom dans Mesures et Fontaine à Alger.
Ce fut dans la revue Fontaine qu'il publia en avril 1941 un des textes
fondateurs de la résistance littéraire légale,
" La leçon de Ribérac ou l'Europe française
" où il retraçait l'histoire de la poésie
française depuis le XIIe siècle. Cependant la pratique
de littérature légale qu'inaugurait Aragon en zone sud
allait contre les directives communistes énoncées en
zone occupée.
Au début de l'année 1941 à Nice, Aragon rencontra
par hasard un responsable communiste, Jean (Pierre Pagès, beau-frère
de Danielle Casanova) mais c'est Georges Dudach , envoyé par
la direction nationale clandestine du parti qui retrouva la trace
du couple à Nice, probablement par l'intermédiaire de
Paulhan. La date à laquelle Dudach rencontra pour la première
fois le couple à Nice ne peut être donnée avec
certitude, Aragon la situe au début de l'année 1941
(février ou mars), Francis Crémieux, pour sa part, la
situe en mai ou juin (Faites entrer l'infini, n° 19, juin 1994).
Dans L'Homme communiste, Aragon parle de trois rencontres avec Dudach.
Chargé de contacter Aragon en zone occupée, il avait
la mission de l'accompagner jusqu'à Paris pour le mettre en
contact avec les responsables du parti pour le travail parmi les intellectuels,
notamment Georges Politzer. Arrêtés par les Allemands
en franchissant clandestinement la ligne de démarcation près
de La Haye-Descartes, le 25 juin 1941, ils furent tous trois incarcérés
à Tours, puis finalement libérés sans avoir été
reconnus au lendemain du 14 juillet. A Paris, Aragon rencontra chez
le peintre Edouard Pignon, Danielle Casanova et Georges Politzer afin
de discuter d'une organisation d'écrivains. Aragon, d'après
son témoignage, convainquit Georges Politzer de suspendre La
Pensée libre et de lancer Les Lettres françaises ("
De l'exactitude historique en poésie "). L'intervention
d'Aragon, en faveur d'une large union, allait coïncider avec
la politique de Front national en gestation depuis plusieurs mois.
Il rencontra Jean Paulhan qui avait formé avec Jacques Decour
le premier projet d'édition des Lettres françaises.
De retour dans le Midi, Aragon et Elsa se chargèrent, avec
un mandat précis, de regrouper les intellectuels, de créer
et d'animer le Comité national des écrivains pour la
zone sud. Dénoncé en octobre 1941 dans L'Emancipation
nationale de Jacques Doriot par Drieu la Rochelle qui s'en prenait
aux revues " littéraires et poétiques cousues de
fil rouge ", Aragon répondit par " Plus belle que
les larmes ", publié sous son nom dans un journal de Tunis.
En mars 1942, il entreprit d'écrire sur ordre de Duclos, à
partir de documents sur les fusillés de Châteaubriant
que lui avait apportés Joë Nordmann, un texte qu'il signera
" Le témoin des martyrs " et qui prendra place quelques
mois plus tard dans Le Crime contre l'esprit : ce texte connaîtra
plusieurs éditions clandestines et contribuera à faire
connaître le " martyrologue de l'intelligence française
". Dans les Yeux d'Elsa (Cahiers du Rhône, Neuchâtel,
Suisse), Aragon associait l'amour de la patrie et celui de sa femme.
Brocéliande, parut également aux Cahiers du Rhône
fin 1942, grâce à Albert Béguin, fut introduit
en France où il connut une grande vogue. La censure laissa
passer de nombreuses allusions aux événements politiques
; malgré tout, celles du poème " Nymphée
" qui éveillèrent la méfiance de Paul Marion,
secrétaire d'Etat à l'Information, firent suspendre
à Lyon, en août 1942, la revue Confluences. A la suite
de l'occupation italienne à Nice, en novembre 1942, Aragon
et Elsa s'installèrent dans la Drôme, enfin à
Lyon, où ils vécurent avec de faux papiers. Le dernier
poème d'Aragon, signé de son nom et publié en
France, parut le 11 mars 1943 dans la page littéraire du Mot
d'ordre de Lyon, dirigée par Stanislas Fumet : " La Rose
et le Réséda " allait faire figure de classique.
Aragon fonda au début 1943 Les Etoiles qui allaient devenir
pour la zone sud l'organe des intellectuels rassemblés dans
le Front national et dont la diffusion reposait sur des groupes de
cinq. A partir de cette publication naquit la Bibliothèque
française, première maison clandestine du PCF.
Dans la deuxième partie de 1943, Elsa et Aragon durent chercher
un autre refuge et se replièrent à Saint-Donat dans
la Drôme. Contacté par Claude Morganen mars 1943, Aragon
donna deux poèmes sans signature dans les Lettres françaises,
dont " La Ballade de celui qui chanta dans les supplices ",
dédié à Gabriel Péri (d'abord diffusé
en tract, puis repris en juillet 1943 dans la première anthologie
des poètes de la Résistance, L'Honneur des poètes,
sous le pseudonyme de Jacques Destaing, enfin publié en 1944
sous le pseudonyme de François la Colère, aux Editions
clandestines de la Bibliothèque française). Pendant
cette même année 1943, Aragon fit publier, sous son pseudonyme
de François la Colère, Le musée Grévin,
première brochure des éditions clandestines de la Bibliothèque
française. En août-septembre paraissait à Neuchâtel,
En français dans le texte qui fut diffusé dans tous
les pays alliés (et republié en 1944 dans La Diane française)
; le recueil débutait par un " Art poétique "
(" Pour mes amis morts en mai... ") ; il comprenait "
Le médecin de Villeneuve " qui décrivait la chasse
aux Juifs dans Villeneuve-lès-Avignon en août 1942. Durant
les semaines qui précédèrent la Libération,
ils publièrent La Drôme en armes. En septembre 1944,
ils rentrèrent à Paris et Aragon réunit dans
La Diane française qui parut chez Seghers, à la fin
1944 ses poèmes de la Résistance. On pouvait y lire
l'hymne qu'il adressait à son parti : " Mon Parti m'a
rendu mes yeux et ma mémoire [...] Mon Parti m'a rendu les
couleurs de la France ". En 1945, ce fut enfin En étrange
pays dans mon pays lui-même. Le sentiment national et l'expression
poétique se mariaient chez l'écrivain communiste avec
une grande force.
A la Libération, Aragon prit seul la direction de Ce Soir en
attendant le retour d'URSS, de Jean-Richard Bloch. Une lettre à
Gaston Bensan datée du 1er décembre 1944 nous éclaire
sur les conditions dans lesquelles Aragon a assumé à
partir de son retour à Paris fin septembre 1944 la direction
effective du quotidien (Faites entrer l'infini, n° 18, décembre
1994, p. 24). Bloch ne reprit ses fonctions de co-directeur qu'au
début de février 1945. Après sa mort en mars
1947, Aragon dirigea seul le journal . Membre du Comité directeur
de l'Union nationale des intellectuels (UNI), il joua un rôle
actif dans sa plus importante organisation, le Comité national
des écrivains (CNE) dont il fut l'actif secrétaire général.
Mais l'union des intellectuels issus de la Résistance se désagrégea
rapidement. En novembre 1946, Jean Paulhan, un des fondateurs du CNE
pendant la clandestinité, démissionna pour protester
contre la mise en pratique de la liste noire établie pendant
l'Occupation. Dans De la Paille et du grain (1948), Paulhan contestait
la légitimité du CNE à s'ériger en "
juge de la patrie ", notamment pour un ancien surréaliste
et antimilitariste comme Aragon.
En 1947, Aragon fut personnellement mis en cause dans " l'affaire
Nizan " par Jean-Paul Sartre pour lui avoir affirmé oralement
que Paul Nizan renseignait la police avant 1939 (voir la protestation
d'intellectuels inspirée par Sartre dans le numéro de
juillet 1947 des Temps Modernes, contre la campagne menée par
les communistes autour de la " trahison " de Paul Nizan).
Le couple Aragon-Elsa Triolet allait exercer un magistère de
fait au CNE bien que celui-ci eut jusqu'en 1957 des présidents
non communistes (Jean Cassou, Louis Martin-Chauffier, Vercors). Aragon
ne devint officiellement président du CNE qu'en 1957, au sortir
de la crise due aux événements de Hongrie. Au fil des
années, la politique du CNE se modelait de plus en plus étroitement
sur celle du Parti (voir l'organisation des " Batailles du Livre
", au début des années cinquante, avec l'appui
de la presse du Parti).
La guerre froide 1947-1953/1954 fut pour Aragon une époque
de politisation intense, en même temps que celle où il
connut son plus grand isolement en tant qu'artiste, à la fois
hors du Parti (ses essais, poèmes et les romans de la série
Les Communistes furent perçus dans le public intellectuel comme
relevant plus de la propagande de parti que de l'art) et dans le Parti
(les poèmes du Nouveau Crève-Cur, en 1948) ne
furent pas bien compris. Durant ces années, Aragon s'engagea
très loin dans la défense du Parti en tous domaines,
celui de l'art en particulier, au moment où l'adéquation
était étroite entre les choix du PCF et la politique
stalinienne : c'est ainsi qu'il contribua à la diffusion de
la conception jdanovienne de l'art tout en limitant ses conséquences
extrêmes.
Dès le début de cette période, Aragon se solidarisa
avec toutes les prises de position du Parti, que ce soit à
propos de l'affaire Lyssenko (à laquelle il consacra en octobre
1948 un numéro entier d'Europe qu'il ouvrit par un long article,
" De la libre discussion des idées "), ou des procès
dans les démocraties populaires (il polémiqua avec Vercors
au sujet du procès Rajk et du procès Kostov). Il appuya
la définition du rôle de l'intellectuel donnée
par Laurent Casanova au congrès de Strasbourg en juillet 1947,
il défendit les thèses de Jdanov sur le réalisme
socialiste (voir l'éloge funèbre de Jdanov dans les
Lettres françaises du 9 septembre 1948) et il leur resta officiellement
fidèle jusqu'en 1953-1954. Il faut noter pourtant qu'il n'assista
pas au Congrès mondial des intellectuels pour la paix à
Wroclaw (août 1948) pendant lequel les Soviétiques déclenchèrent
une violente offensive contre les écrivains des pays occidentaux
: Dominique Desanti se demandera mais bien plus tard si Aragon, ayant
eu vent de ce qui se préparait à Wroclaw, n'aurait pas
jugé qu'il en avait assez fait en France pour défendre
les thèses de Jdanov (Les Staliniens, p. 111). Un document
émanant de l'écrivain soviétique Simonov, en
date du 2 septembre 1947, conservé dans le fonds Aragon éclaire,
selon Lilly Marcou, cette absence. Aragon aurait pris en privé
la défense de peintres comme Picasso ou Matisse critiqués
par la Pravda. Il joua surtout par l'intermédiaire des Lettres
françaises un rôle de promotion pour nombre de jeunes
écrivains et artistes qu'on ne saurait réduire à
la mise en uvre d'une politique officielle, ainsi pour Henri
Pichette ou Charles Dobczynski. Mais l'attention s'est davantage portée
sur deux cas : Stil et Fougeron. Il encouragea en effet André
Stil dont il publia en 1949, Le mot mineur Camarades et qui reçut
en février 1952, le Prix Staline de littérature pour
Le Premier choc ; il prit sa défense dans Le Neveu de Monsieur
Duval (1953) alors que Stil était emprisonné pour son
action militante au moment des grandes campagnes anti-américaines
du Parti. Il intervint dans le domaine de la peinture contribuant
au succès du peintre André Fougeron, proposé,
aux alentours de 1950-1952, en exemple aux autres artistes du Parti
(il est vrai qu'Aragon contribuera ultérieurement à
la chute de Fougeron en l'accusant dans les Lettres françaises,
en novembre 1953, de " peindre hâtivement "). Il consacra,
au début de 1952, une série d'articles apologétiques
à la peinture soviétique de réalisme socialiste
dans les Lettres françaises (" Réflexions sur l'art
soviétique ").
Auteur du cycle romanesque, Les Communistes, de deux volumes sur l'Homme
communiste, Aragon allait d'une certaine façon faire figure
d' " écrivain officiel ". Dans Les Communistes, dernier
volet du " Monde réel ", il eut le projet d'embrasser
les années 1939-1944 et d'évoquer le rôle patriotique
du Parti. Jamais Aragon n'avait traduit jusqu'alors un argument aussi
explicitement politique dans son uvre romanesque : il s'agissait,
en effet, d'évoquer la société française
durant la période dramatique qui aboutit à la défaite
de 1940 et de montrer la continuité " nationale "
du Parti de 1939 à 1944. Il justifiait le pacte germano-soviétique
et en venait même à caricaturer sous les traits de Patrice
Orfilat, l'écrivain Paul Nizan, " traître au Parti
". Le premier tome des Communistes parut en 1949, cinq autres
suivirent de 1949 à 1951. Aragon interrompit en 1951 la publication
des Communistes, si bien que le roman s'achève en mai-juin
1940. Il en expliqua les raisons en 1966-1967 dans une importante
post-face, lorsqu'il récrivit entièrement Les Communistes
pour l'édition de ses " Oeuvres croisées "
avec Elsa Triolet. En 1946, Aragon avait publié le premier
tome de L'Homme communiste, à la mémoire de Vaillant-Couturier,
Gabriel Péri, Jacques Decour ; en 1953, un second tome célébrait
les nouveaux héros du communisme, Jean-Richard Bloch, Jacques
Duclos, Paul Eluard, Maurice Thorez.
L'influence d'Aragon dans ces années s'exprima puissamment
à travers journaux et revues. D'après Daix, à
partir de 1948, il dirigea en fait les Lettres françaises dont
le directeur en titre était Claude Morgan depuis 1942. Dans
son livre autobiographique, Les " Don Quichotte " et les
autres..., celui-ci évoqua les étapes par lesquelles
le Parti était passé pour reprendre l'hebdomadaire :
éviction exigée par Laurent Casanova du poète
Loys Masson comme rédacteur en chef et son remplacement par
Pierre Daix, proche d'Aragon ; enfin remplacement de Claude Morgan
lui-même par Aragon en 1953. L'arrivée d'Aragon à
la direction aurait coïncidé, selon Claude Morgan, avec
l'apparition de nouvelles directives dues à Maurice Thorez,
encore à Moscou, mais qui aurait recommandé de renouer
avec la " politique nationale " du Parti. Son prestige était
également reconnu à la revue Europe, aux Editeurs français
réunis et surtout au Comité national des Ecrivains.
De nombreux témoignages, celui de Claude Roy (Moi je..., Nous),
Dominique Desanti (Les Staliniens), Simone Signoret (La Nostalgie
n'est plus ce qu'elle était), Janine Bouissounouse (La Nuit
d'Autun) décrivent d'une plume parfois cruelle le comportement
du couple Aragon-Elsa au sein de ces assemblées et vis-à-vis
des intellectuels.
La situation d'Aragon dans le Parti ne le mettait pourtant pas à
l'abri du sectarisme, ainsi qu'il ressort de l'affaire du portrait
de Staline par Pablo Picasso (un dessin représentant un Staline
jeune au caractère géorgien marqué) paru dans
le numéro des Lettres françaises (12 mars 1953) qui
commémorait, de façon tout à fait orthodoxe d'ailleurs,
la mort du leader soviétique. Aragon dut publier, dans le numéro
suivant des Lettres françaises, le communiqué du secrétariat
du parti (paru dans l'Humanité du 18 mars) désavouant
catégoriquement le portrait. Les Lettres françaises
du 26 mars publièrent de nombreuses lettres de militants scandalisés
et Aragon s'expliqua dans l'hebdomadaire le 4 avril. " Aragon,
écrivit Pierre Daix, avait d'abord été littéralement
assommé par l'affaire du portrait de Staline. Non seulement,
il souffrait de la même solitude que Picasso, mais elle l'atteignait
davantage parce qu'il y mesurait le peu de poids auprès du
Parti de toutes ses années de fidélité absolue
" (J'ai cru au matin, p. 339). Ce ne fut qu'après le retour
de Thorez qu'Aragon apprit que celui-ci avait désavoué
l'action de Le cur et le communiqué du secrétariat
(d'après Pierre Daix, Aragon..., p. 375). A la veille du retour
de Thorez en France, l'Humanité du 8 avril 1953 avait publié
un poème d'Aragon (d'ailleurs rédigé six mois
plus tôt) intitulé " Il revient ".
Les années qui précédèrent et suivirent
la mort de Staline furent des années particulièrement
difficiles pour Aragon. Pierre Daix fait dater de l'hiver 1952, moment
où Aragon et Elsa étaient allés à Moscou
après le XIXe Congrès du PCUS, l'ébranlement
d'Aragon vis-à-vis de la réalité soviétique
avec la perception physique de la " terreur ". Cependant
cela n'alla pas jusqu'à remettre en cause la personne même
de Staline ni le fonctionnement du régime soviétique.
A la mort de Staline, on l'a vu, Aragon joignit, mais à sa
manière, sa voix à celle du Parti tout entier. Il semble
s'être dès lors particulièrement attaché
au monde des écrivains soviétiques. En décembre
1954, il assista au deuxième congrès des Ecrivains soviétiques
(son discours au congrès fut publié par La Nouvelle
Critique en février 1955). Il entreprit de faire connaître
en France les diverses littératures soviétiques, et
non seulement la littérature russe, en publiant maints romans
soit aux éditeurs français réunis, soit dans
la collection qu'il dirigeait chez Gallimard. Il consacra d'ailleurs
une anthologie aux Littératures soviétiques (1955) et
il la fit suivre d'une Introduction à la littérature
soviétique (1956) où il gardait toujours le silence
sur la répression des écrivains sous l'ère stalinienne.
On mesure l'ampleur des contradictions dans lesquelles il se débattait
à quelques faits marquants des années 1956-1957. Au
moment des remous suscités parmi les intellectuels par l'affaire
hongroise en 1956, Aragon resta du côté de l'orthodoxie
du Parti : il se solidarisa avec le Comité central et empêcha
que l'on blâmât l'action de l'URSS au sein du CNE mais
il intervint en tant que président du CNE pour obtenir la grâce
de deux écrivains hongrois condamnés à mort.
Il reçut le prix Lénine de littérature à
l'automne 1957 pour ses soixante ans mais, comme il l'a raconté
lors de ses entretiens avec Jean Ristat, il avait d'abord refusé
ce prix, l'ancien prix Staline, et c'est Maurice Thorez qui lui aurait
conseillé, après avoir approuvé cette manifestation
d'opposition, d'accepter ce prix rebaptisé Prix Lénine
; le discours qu'Aragon publia lors de la remise du prix ne fut d'ailleurs
pas publié en Union soviétique et parut dans les Lettres
françaises. Un de ses plus beaux recueils de poèmes,
Le Roman inachevé publié en 1956, l'année du
XXe congrès du PCUS, témoigne par l'entrecroisement
des mètres et la plainte quasi explicite qui monte des "
Pages lacérées " ou de " La nuit de Moscou
", de déchirements politiques longtemps inexprimés.
Dans la période qui suivit le XXe congrès, pendant les
années 1959-1960, Aragon, peu sensible aux luttes anticoloniales
où s'engageaient de nombreux intellectuels de gauche, se retrouva
près de Laurent Casanova qui essayait de gagner Thorez aux
thèses de Khrouchtchev sur la déstalinisation. En avril
1960, il donna à France nouvelle un long article sur l'Ingénieur
Bakhirevde Galina Nicolaeva qui avait été publié
en URSS grâce à Khrouchtchev et qu'il avait fait traduire
et publier en français ; dans cet article, Aragon prenait clairement
parti pour l'ouverture d'une discussion sur la période stalinienne.
D'après Philippe Robrieux, Aragon joua un rôle certain
dans l'attribution du prix Lénine de la Paix à Casanova
ce qui allait contrarier Thorez. En 1960-1961, il rédigea la
partie consacrée à l'histoire soviétique dans
l'Histoire parallèle de l'URSS et des USA, en s'en tenant à
un point de vue narratif. Sur le plan littéraire, il prenait
ses distances avec le réalisme socialiste. Déjà
en 1954 au congrès d'Ivry, tout en rappelant la nécessité
d'un art de parti, il le défendait contre une interprétation
étroite et se prononçait en faveur d'un art national.
En 1959, dans J'abats mon jeu (recueil d'interviews et d'articles
datés principalement de 1957-1959), il s'élevait contre
une conception dogmatique du réalisme ; il le redira en 1962
à Prague. En 1963, il préfaça le livre consacré
à Picasso, Saint-John Perse et Kafka par Roger Garaudy (auquel
il était alors fort lié) : D'un réalisme sans
rivages. En mars 1966, le Comité central d'Argenteuil adopta
une résolution sur les problèmes idéologiques
et culturels dont il avait été en grande partie le rédacteur
; elle répudiait toute intervention du Parti dans le domaine
culturel et reconnaissait le droit à la libre création.
Aragon, après La Semaine Sainte (1958) qui connut un grand
succès, retrouva avec La mise à mort (1965), et Blanche
ou l'oubli (1967), les sources d'inspiration dont il s'était
coupé depuis sa rupture avec le surréalisme. Mais il
les mettait en uvre dans des romans dont la lecture par les
jeux de miroir qu'elle impose, en dit long sur la difficulté
de " comprendre " ce que dit Aragon. Finalement il entraîna
le PCF dans la dénonciation du verdict rendu à Moscou
au terme du procès intenté aux écrivains Siniavski
et Daniel. L'Humanité publia le 16 janvier 1966 une déclaration
de protestation signée de lui : " C'est faire du délit
d'opinion un crime d'opinion, c'est créer un précédent
plus nuisible à l'intérêt du socialisme que ne
pouvaient l'être les uvres de Siniavski et Daniel ".
C'était la première fois qu'un membre important du Parti
français critiquait publiquement une décision soviétique.
En mai 1968, à Paris, il fut le seul membre du CC à
oser rencontrer les étudiants, place de la Sorbonne, le 9 mai
(Lettres françaises, 13-14 mai). Il n'y avait pas là
que bravade, mais désir de retrouver sa propre jeunesse. Au
reste, le numéro des Lettres consacré en mai à
la révolte étudiante fut commandé et organisé
par Aragon lui-même avant que le Bureau Politique du Parti ait
pris position et alors que l'Humanité critiquait vivement les
manifestations étudiantes. Cette même année, il
ouvrait les Lettres aux artisans du printemps de Prague. Après
l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques
le 21 août 1968, il fit publier dans l'hebdomadaire un communiqué
du CNE : " Nous vivons avec nos amis tchécoslovaques tous
les instants angoissants de leur lutte courageuse contre l'envahisseur
et contre toute tentative de priver leur pays de la liberté
d'expression sous toutes ses formes, au premier chef, de cet élément
essentiel de la démocratie, une entière liberté
de la presse ". Après que la Literatournaïa Gazeta
s'en fut pris à ce communiqué, Aragon répondit
le 11 septembre par un article, " J'appelle un chat un chat ",
signé " Aragon, Prix Lénine international de la
paix pour 1958 ". Préfaçant en 1968 l'édition
française du roman de Milan Kundera, La plaisanterie, il dénonçait
: " Cette voix de mensonge qui prétend parler au nom de
ce qui fut un demi-siècle l'espoir de l'humanité. Par
les armes et le vocabulaire. O mes amis, est-ce que tout est perdu
? ". Il écrivait aussi : " Je me refuse à
croire qu'il se va faire là-bas un Biafra de l'esprit. Je ne
vois pourtant aucune clarté au bout de ce chemin de violence
" (texte paru dans les Lettres françaises du 9 octobre).
Il publiait en février 1969 deux articles sur L'Aveu d'Arthur
London. Peu de temps avant, en janvier 1969, les Lettres françaises
étaient informées que leurs abonnements soviétiques
étaient annulés. En octobre 1969, Aragon stigmatisait
dans les Lettres françaises l'instauration de la délation
systématique en Tchécoslovaquie (" D'un questionnaire
", 8-14 octobre 1969) ; et, en 1971, il dénonça
le climat politique qui régnait, notamment à l'occasion
du suicide du fils de Vitezslav Nezval, poète tchèque,
ancien surréaliste, ce qui valut à ce numéro
de l'hebdomadaire d'être exclu par la direction du PCF de la
vente du livre marxiste où figuraient les représentants
de nombreux PC étrangers. En octobre 1972, l'hebdomadaire publiait
son dernier numéro ; sous le titre La valse des adieux, Aragon
s'y exprimait ainsi : " (...) cette vie dont je sais si bien
le goût amer qu'elle m'a laissé, cette vie à la
fin des fins qu'on ne m'en casse plus les oreilles, qu'on ne me raconte
plus combien elle a été magnifique, qu'on ne me bassine
plus de ma légende. Cette vie comme un jeu pénible où
j'ai perdu. Que j'ai gâchée de fond en comble "
(n° 1455 du 11 au 17 octobre 1972). Que traduisent ces paroles
de désillusion ? Un bilan amer de plus de quarante ans de vie
militante ? Il est vrai que sans cesser d'appartenir au Parti, Aragon
prit une demi-retraite politique. Les autorités soviétiques
lui décernèrent cependant pour son 75e anniversaire
la médaille de la Révolution d'Octobre et le décorèrent
de l'Ordre de l'amitié des peuples pour son 80e anniversaire.
Aragon continua d'ailleurs d'apparaître comme membre du Comité
central aux congrès du Parti, notamment au XXIIe congrès
en février 1976. Il s'occupa de la publication de ses OEuvres
Croisées avec Elsa Triolet, entreprise depuis 1964, à
rassembler et à établir son uvre poétique
complète dont la publication commença en 1974 au Livre-Club
Diderot.
Il est difficile d'évaluer la place exacte d'Aragon dans le
PCF, le rôle qui lui a été assigné et celui
qu'il a joué. Entré au Parti à un moment difficile
pour les intellectuels en 1926, Aragon a dû à Maurice
Thorez de pouvoir trouver au sein du Parti, une place comme créateur
et comme militant. Dans les années qui précédèrent
le Front populaire, Aragon trouva sa voie comme intellectuel de Parti
en se voyant reconnaître un rôle dans l' " organisation
" des intellectuels : il apparut ainsi, à partir de 1933-1935,
comme un des représentants du Parti en direction des intellectuels.
Il reprit ce rôle, après la Libération, auréolé
du prestige que lui donnait sa qualité de " poète
national ", et l'exerça au sein d'organismes comme le
CNE ou à travers des périodiques comme les Lettres françaises.
Son influence crût au tournant des années cinquante,
au moment où s'affirmait l'idéologie de guerre froide.
Cependant, bien qu'Aragon eût son " champ réservé
", il ne s'est jamais vu reconnaître officiellement la
responsabilité du secteur des intellectuels au sein du Parti.
L'ambiguïté de sa position historique dans le Parti vient
de ce qu'il y fut à la fois un des hérauts du stalinisme
à partir des années trente, un des artisans de sa "
jdanovisation " intellectuelle dans les années cinquante,
et en même temps un des agents de la libéralisation interne
du PC après 1956 et dans les années soixante. De par
la variété des rôles qu'il a joués, l'homme
n'est pas facile à saisir, d'autant plus qu'il s'est ingénié
à se cacher derrière des masques, qu'il s'est plu à
parsemer son uvre poétique et romanesque, à partir
de 1954, de nombreuses allusions aux déchirements de sa vie
militante. C'est peut-être sur le plan des relations d'Aragon
avec l'URSS que le plus de problèmes se posent. Grâce
aux relations personnelles qu'il avait en URSS avec la famille et
les amis de Lili Brik, il a toujours su beaucoup de choses et cela
dès 1938. Pourtant il ne mit jamais en cause en son temps le
système stalinien et garda le silence sur la répression
notamment parmi les intellectuels. Ultérieurement, lors de
ses entretiens télévisés avec Jean Ristat, Aragon
ne put se résoudre à se remettre en question comme intellectuel
stalinien et laissait entendre que le rôle de l'URSS dans la
victoire sur le nazisme l'avait empêché de critiquer
le système. Parlant de ses relations récentes avec l'URSS,
il défendit le parti qu'il avait choisi d'intervenir silencieusement
auprès des autorités soviétiques en faveur de
certains condamnés comme le cinéaste Paradjanov. En
janvier 1980, il signa " l'Appel des 75 " (L'Humanité
du 15 janvier) qui s'opposait à la campagne anticommuniste
à la suite de l'intervention soviétique en Afghanistan.
Ainsi jusqu'au bout, Aragon voulut-il témoigner comme intellectuel
communiste. Quel que soit le jugement que l'on porte sur son rôle
militant, on ne peut que souligner la remarquable constance de son
attitude, la fidélité qu'il a gardée à
la ligne officielle du Parti. Son uvre fait entrevoir que cette
fidélité n'alla pas sans déchirements intimes.
Mais comme l'indique le titre du recueil qu'il a publié en
1980, Le Mentir-Vrai, Aragon a passé sa vie à brouiller
ses propres pistes. Sa vie militante pour laquelle il a été
si sévèrement jugé, laisse ouverte, dans son
rapport à l' uvre et en elle-même plus d'une interrogation.
Par un legs fait à Paris le 22 juin 1976, Louis Aragon "
remet à la nation française, quelle que soit la forme
de son gouvernement, le legs littéraire d'Elsa Triolet et l'ensemble
des manuscrits et documents en sa possession qui appartiendront au
Centre national de la recherche scientifique. Il en confie la conservation
et l'exploitation scientifique au Centre d'histoire et d'analyse des
manuscrits moderne du CNRS. " Il avait désigné
comme exécuteur testamentaire, sous le vocable de " prolongateur
", son ami le poète Jean Ristat. Légué à
l'Etat par Aragon, le Moulin de Villeneuve (Saint-Arnoult-en-Yvelines)
devint propriété nationale en 1985. Inauguré
le 15 octobre 1994, il abrite le Centre de recherche et de création
Elsa Triolet-Louis Aragon