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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982

Le Romancier Engagé

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ENGAGE

Engagé » : on a vu combien le terme s'appliquait peu à l'Aragon des années 30. Il est pourtant possible de le reprendre avec des guillemets, pour mettre l'accent sur sa situation singulière entre 1935 et 1939. Car pendant cette période, les circonstances lui permettent de jouer le rôle de l'écrivain engagé qu'il n'est pas tout à fait puisqu'il est d'abord militant. La période qui sépare le Front Populaire du pacte germano-soviétique est en effet, dans l'histoire du Parti communiste, une de celles qui autorisent à jouer à la fois au dedans et au dehors.

On peut penser que l'intensité et la durée de l'appartenance d'Aragon au monde communiste ne tiennent pas seulement aux dispositions intimes qui poussent l'enfant sans héritage à l'adhésion sans réserve. Les circonstances russes, bien particulières elles aussi dans son cas, ne suffisent peut-être pas non plus à tout expliquer. Il faut sans doute aussi prendre en compte la forme de coïncidence qui fait entrer Aragon juste avant l'adoption par le Parti de Thorez d'une nouvelle politique d'ouverture.

Si la prime expérience communiste est celle de la secte qui met dès l'origine l'écrivain en demeure de choisir, elle est immédiatement suivie par un desserrement des contraintes qui favorise le double jeu politique et littéraire dans lequel il va exceller ; par le combat antifasciste et l'écriture romanesque. Et c'est un truisme de dire qu'il est plus facile d'être intellectuel au PC en période d'ouverture qu'en période d'isolement.

La nouvelle carrière romanesque d'Aragon commence à la fin de 1933, quand il se met à écrire les Clôches de Bâle. Mais elle n'éclate vraiment qu'avec les beaux Quartiers en 1936. Autant, nous l'avons vu, le premier roman est une forme de coup d'essai, assumé de manière lointaine par un auteur absent lorsque parait l'ouvrage, autant le second est hautement revendiqué puisque l'auteur y annonce qu'il se lance dans un cycle romanesque qu'il intitule « Monde réel ». Le prix Renaudot de décembre 1936 assure même la consécration publique de cette nouvelle orientation littéraire.
L'idée qu'Aragon se libère littérairement en s'enfermant politiquement n'est peut-être qu'un piège tendu par la séduction du paradoxe. On a vu ce qu'on pouvait penser de la curieuse pulsion romanesque que serait la « volonté de roman ». Mais il est en revanche peu douteux que dans le cadre des libertés littéraires qu'autorise l'ouverture communiste de ces années-là, Aragon pratique avec bonheur l'art du roman. Aux deux sens du terme bonheur. Il y a en effet quelque chose de jubilatoire dans ces livres où il raconte une histoire, en y mêlant son histoire, tout en l'inscrivant dans le sens de l'Histoire.

« Cela ne fit rire personne quand Guy appelât M. Romanet Papa... ».

L'allusion des premiers mots des Clôches de Bâle est transparente. Dans les beaux Quartiers, les deux frères Barbentane, Edmond le mondain et Armand le militant... ; dans les Voyageurs de l'impériale, le grand-père Mercadier et le petit Jeannot... ; et Aurélien, qui n'est ni Aragon ni Drieu La Rochelle, mais un peu les deux à la fois... Jouant avec l'ambiguïté des personnages et de la chronologie, Aragon a nourri ses romans de sa propre histoire. Et le bonheur est accru par le sentiment d'être porté par l'Histoire, la grande, celle qui constitue le décor des intrigues, et celle où il plonge en battant le rappel de l'antifascisme.

Si leur parcours est jusque là peu comparable, Aragon et Thorez ont en commun d'avoir sensiblement le même âge, et surtout d'avoir construit en même temps et sur les même bases leur position dans le Parti communiste. Thorez est en effet celui qui prend les rênes au moment où l'Internationale décide de prôner l'alliance antifasciste et le rapprochement qu'elle suppose avec les partis bourgeois. C'est donc sur la ligne d'un communisme ouvert et national qu'il s'impose comme le maître incontesté du PCF. Aragon l'a rencontré pour la première fois en 1933. Après l'avoir réprimandé pour ses outrances anticléricales qui n'entraient plus dans la nouvelle ligne du Parti, Thorez lui confie la revue Commune dont il partage la direction avec Paul Nizan. Ils en font le principal instrument de la mobilisation antifasciste des intellectuels. Aragon s'y consacre à plein temps à partir de 1935. Le congrès pour la défense de la culture de cette année-là, la mobilisation pour l'Espagne républicaine, le second congrès de 1937 sont les temps forts de la première tâche importante que le Parti lui confie : être le chef d'orchestre de la lune de miel entre les intellectuels de gauche et le PCF.
Plus important encore pour sa place à long terme dans le parti, Aragon se fait alors théoricien d'une littérature qui ne se dit plus « prolétarienne » comme au temps des anathèmes contre les écrivains bourgeois, mais désormais « réaliste socialiste ». L'impulsion est venue, comme il se doit, d'URSS. Aragon est aux premières loges puisqu'il assiste au premier congrès de l'Union des écrivains soviétiques de l'été 1934 qui consacre la nouvelle ligne en matière de littérature. Ses contacts avec les milieux littéraires de Moscou dont Elsa Triolet et Lili Brik lui ont ouvert les portes, en font l'intermédiaire obligé, le passeur incontournable en matière de littérature. Et le théoricien, car dès 1935, le recueil critique et théorique qu'il publie chez Denoël sous le titre Pour un réalisme socialiste, l'impose durablement comme tel. Or, au PCF, la théorie c'est le pouvoir, et Aragon y devient homme de pouvoir.

« Engagé » publiquement par ses romans et sa présence à la tribune des congrès entre Gide et Malraux, « militant » en coulisse par le travail de mobilisation et d'organisation qu'il mène sans relâche, il devient vite incontournable. De manière elliptique pendant la guerre, et souvent par la suite, Aragon fera allusion au « vent d'Arles » et cette insistance révèle combien le congrès d'Arles de 1937 est un moment clé de son parcours communiste. Le discours que Thorez y prononce n'annonce aucune rupture importante avec le congrès précédent de Villeurbanne en janvier 1936, qu'Aragon évoque aussi en 1945, mais sans lui donner le relief d'Arles. Aux deux congrès, il est question d'union et de rassemblement national contre le fascisme. Mais entre-temps, Aragon est devenu le directeur, avec Jean-Richard Bloch, du nouveau quotidien communiste Ce Soir, lancé en mars 1937. Il a désormais le statut d'un véritable dirigeant, car c'est une tâche éminemment politique. Et justement devant le congrès d'Arles, en décembre 1937, Jean-Richard Bloch annonce publiquement son adhésion au PCF.
Arles-1937 est ainsi devenu par la suite le symbole de son succès, celui de sa capacité à jouer simultanément le jeu politique et le jeu littéraire tout en haut. Et si l'on peut sourire de ce qu'il se prévaut de mettre Charlie Chaplin en « une » de Ce soir et se félicite d'entendre « Maurice » citer Rimbaud, il ne faut manquer de voir derrière le ridicule de ces satisfactions, l'expression d'un succès de son point de vue. Car il réunit les fils singulièrement séparés du grand écart de son parcours.

Comme mai 68, trente ans plus tard, le pacte Germano-soviétique du 23 août 1939 vient réduire à néant cette position dont il révèle l'extrême fragilité. Mais la guerre est aussi l'occasion d'un nouveau rebondissement.

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