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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982

Le poète miltant

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Le poète miltant


En mars 1932, Aragon a donc basculé de l'univers surréaliste à l'univers communiste. Certes, il y a eu l'engagement contre la Guerre du Rif, l'entrée au parti en 1927, la rencontre d'Elsa en 1928 et le premier voyage en URSS de 1930, puis les combats contre l'exposition coloniale et le poème politique « Front rouge ». Il y a donc un moment qu'Aragon fréquente le communisme. Mais il faut bien comprendre que la rupture l'emporte largement sur la continuité dès lors qu'à la fréquentation succède l'appartenance. C'est tout ce qui sépare l'engagement de la militance. Aragon était déjà engagé, il est désormais militant, à part entière. La voie qu'il suit pour entrer dans ce nouveau jeu est essentielle pour comprendre la nature du jeu en question. Il y a d'abord Elsa, puis l'URSS, et enfin le Parti Communiste Français.

Elsa, donc, non pour le mauvais génie qu'on a voulu en faire, mais pour le tour charnel et familial que prend dès l'origine cette nouvelle appartenance. Nous l'avons déjà dit, la rencontre de novembre 1928 n'a rien d'une rupture brutale. Le Journal que tient Elsa témoigne d'ailleurs de la fragilité du lien qui les unit dans ces premiers temps du couple. Mais dès avril 1929, ils sont tous les deux à Berlin pour voir la soeur d'Elsa, Lili Brik, qui est aussi la compagne de Maïakovski.

Lorsque celui-ci se suicide l'année suivante, l'hommage rendu avec Breton dans le Surréalisme au service de la Révolution témoigne d'une admiration qui, pour Aragon, est bien plus que cela : l'occasion d'une communion dans la douleur familiale qu'il partage avec Elsa lors du premier voyage qu'ils font cette année-là en URSS.

Le couple s'est installé depuis un an à Montparnasse, dans un atelier de la rue Campagne Première. Ils sont encore au coeur de la bohème artistique et littéraire à laquelle ils appartiennent de moins en moins. En effet, l'atelier n'est guère plus qu'un pied-à-terre parisien à l'époque où ils passent le plus clair de leur temps en Union Soviétique. Car les premiers pas d'Aragon dans l'univers communiste sont surtout vécus à Moscou. Aragon et Elsa y sont partis juste après la rupture de 1932 pour y rester un an ; plus de six mois encore entre août 1934 et février 1935 ; et encore tout l'été de 1936. Pendant cette période, on peut dire qu'Aragon fait surtout l'apprentissage de l'URSS, de sa langue et de sa vie littéraire. Il fréquente alors plus les instances du Komintern que celles du PCF. Ceci est essentiel pour comprendre à la fois sa position ultérieure au sein du Parti où il pourra toujours se prévaloir des contacts, ô combien précieux, qu'il aura dans la patrie du communisme, et la distance aussitôt prise avec l'espace de son jeu antérieur.
C'est en effet une période de retrait relatif de la scène littéraire parisienne. Relatif, car en octobre 1933, il a signé un contrat avec Denoël. Ceci consomme bien entendu la rupture avec Gallimard. Mais il ne faut pas s'y tromper : Aragon ne quitte l'institution centrale de la vie littéraire que pour rejoindre l'éditeur de Céline, celui qui tend précisément à devenir le principal concurrent des prestigieuses éditions de la NRF. En 1934, il publie chez Denoël les poèmes d'Hourra l'Oural et le roman les Cloches de Bâle. Ces deux ouvrages font de cette année une charnière dans la production d'Aragon. D'une certaine façon, Hourra l'Oural prolonge le recueil précédent, Persécuté Persécuteur, qui s'achevait sur le fameux vers « Vive le Guépéou ». Rappeler que ce dernier recueil avait été publié en 1931 aux Éditions surréalistes conduit à insister sur une certaine continuité formelle entre l'avant et l'après de la rupture. Hourra l'Oural peut même être lu comme un ultime avatar de la poésie surréaliste d'Aragon. Selon lui, en effet, le poème devait à l'origine être un reportage sur les réalisations du plan quinquennal qu'avaient visitées le couple en compagnie d'une « brigade d'écrivains » à l'été 1932. En lieu et place de la commande, Aragon ne donne finalement que deux articles publiés en janvier 1933 dans l'Humanité, et écrit ce poème qui prend place aux côtés du Voyage de Céline dans le catalogue Denoël. Vieux réflexe surréaliste ou nouvelle confusion des genres ? Les deux à la fois sans doute. Ce qui est vraiment nouveau, en revanche, c'est le passage au roman avec les Clôches de Bâle. Pourtant, quand paraît l'ouvrage à Paris, Aragon est à Moscou. On ne saurait mieux afficher l'ordre des priorités et la mise à distance d'avec la scène littéraire.

Car il poursuit son immersion dans l'univers communiste. Après Elsa, et après l'URSS dont elle lui a ouvert les portes, Aragon peut venir prendre place au sein du PCF auquel il est inscrit depuis six ans, mais dont il n'a pas encore vraiment forcé l'entrée. Entre deux voyages, il a participé à une petite publication satellite, la Lutte antireligieuse dont le titre énonce clairement l'objectif et pour laquelle il recrute par exemple Giacometti. Pour reprendre le vocabulaire interne d'alors, c'est une « tâche » ou « travail » encore modeste, une forme de mise à l'épreuve pour un « intellectuel » qui a tout à prouver avant d'inspirer confiance.

En 1933, il entre à l'Humanité comme simple rédacteur. Mais il a fait un pas décisif au sein du Parti. Il rencontre Thorez et se lie d'amitié avec Vaillant-Couturier. Il est fini le temps du mécénat ou des mensualités d'éditeur. Journaliste de profession, Aragon vit désormais d'un travail salarié régulier, et bien que récente, son appartenance au communisme est désormais totale.
A la question qui se présente, inévitablement, de savoir ce qu'il savait alors de la réalité du communisme stalinien, on ne peut que répondre qu'elle ne se pose guère pour lui tant l'appartenance est vécue sur le mode de l'évidence. Les métaphores du « sommeil » ou de « l'aveuglement » par lesquelles on tente après-coup de la comprendre n'ont un sens que par ce qu'elles traduisent de l'extériorité de ceux qui la posent. Elles buteront toujours sur cette évidence. Car Aragon et Elsa en « savent » évidemment beaucoup. Lorsqu'à l'été 36 la France de gauche vit l'euphorie du Front Populaire victorieux, ils sont à Moscou, plongés dans l'atmosphère des purges qui se déchaînent alors. Encore une fois, l'épreuve est familiale puisqu'elle touche à nouveau Lili Brik dont le compagnon, le général Primakov, est arrêté. Au moment où s'achève la période soviétique d'Aragon, dont c'est le dernier voyage avant 1945, la question du « réveil » ne se pose déjà plus. C'est là tout ce qui sépare un Gide dont le voyage de 36 va provoquer le refus et donner Retour d'URSS, et un Aragon pour qui les purges sont l'occasion d'un pas de plus dans l'appartenance que renforce l'épreuve même. C'est tout ce qui sépare l'écrivain engagé du militant, la conscience qui adhère et le corps qui est pris.

S'étonner donc de l'aveuglement n'a pas grand sens, et parler d'aveuglement consenti encore moins. Le seul étonnement qu'on puisse manifester, c'est devant la vitesse avec laquelle il est entré dans le jeu en passant de l'autre côté du miroir.

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