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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982

Le groupe

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Le groupe

Que le surréalisme soit d'abord une expérience collective, c'est une évidence. La première raison, c'est d'abord que la modernité ne semble pouvoir être vécue, et surtout reconnue comme telle, que de manière collective. Il y a là une sorte de règle durable du champ littéraire qui tient sans doute autant à la représentation qu'on se fait de la jeunesse comme collectivité, qu'à celle d'une histoire littéraire structurée par les « écoles ». L'originalité des « Dadas » puis des « surréalistes » aura été de pousser à son extrémité cette logique collective. Depuis le début, il y a la revue comme point de ralliement, puis les actions d'éclat de la période Dada, et les fameuses séances d'écriture collective. En 1924, le groupe fait un pas supplémentaire vers la codification et l'institutionnalisation de sa sociabilité. La sobre et classique revue Littérature laisse la place à la Révolution surréaliste dont le titre proclame la nouvelle identité que s'est désormais donnée le groupe, et dont le format et la mise en page beaucoup plus audacieuse rappellent un peu l'ancienne revue Dada de Zurich. C'est aussi l'occasion de mettre sur pied un « bureau de recherches surréalistes » : le travail collectif y devient plus régulier et plus formel. Entre eux, rien ou presque qui ne regarde les autres : la vie amoureuse et sexuelle qui donne lieu à des débats publiés dans la Révolution surréaliste, les conditions matérielles d'existence (c'est ainsi le groupe qui s'oppose au journalisme par lequel Aragon a cru pouvoir gagner sa vie un temps), et bien sûr la production littéraire qui est jugée, discutée, approuvée ou condamnée.
Apparemment donc, Aragon joue totalement le jeu. Il est assidu aux séances et aux manifestations diverses, il signe les manifestes. Il y a bien sûr aussi la vieille complicité avec Breton, l'indiscutable animateur, qui se renforce nécessairement à mesure que des plus jeunes viennent les rejoindre et que des anciens comme Soupault s'éloignent. Et pourtant, il règne encore aujourd'hui une atmosphère tenace de soupçon sur le degré avec lequel Aragon aurait été surréaliste. Quand Breton et Soupault font l'expérience de l'écriture automatique des futurs Champs magnétiques, il est en Allemagne. Quand le groupe découvre, à l'automne 1922, l'hypnose et les singulières pistes créatives qu'elle ouvre, il est à Berlin. Et même s'il est bien présent lorsque se multiplient en 1923 et 1924 les séances d'exploration des rêves, il n'entre pas vraiment dans ce jeu-là puisqu'il n'en tire que très peu de textes. On aura beau rappeler que, contrairement à une image d'Épinal fort répandue, le surréalisme ne se résume pas à l'écriture onirique, il n'empêche.
Il faut cependant se méfier de la vision rétrospective qui a tendance à interpréter toute cette période de sa vie comme un prélude à l'engagement communiste et « réaliste » ultérieur. Certes, quand Breton le pousse à lire devant les autres les premières pages du « Passage de l'Opéra » qui formera la première partie du Paysan de Paris, il provoque un tollé et l'incompréhension de ses amis. Il est clair que ces pages où il est encore question de la beauté moderne telle qu'elle se déploie dans le passage promis à la démolition, qui décrit le café Certà où les surréalistes se réunissent, ne doivent pas grand choses à l'hypnose et au rêve. Il suffit de les comparer aux poèmes que Breton écrit alors et qui formeront Le Poisson soluble. La réaction qu'Aragon raconte est alors compréhensible et il n'est pas nécessaire de douter de son récit, même s'il est très tardif (1969). Mais on a le droit de sourire quand, toujours dans ce récit de 1969, Aragon fait de son Paysan une étape « vers le matérialisme ». Et là où il faut rire franchement, c'est quand il décrit le même texte comme un « roman » qui ne s'avoue pas, mais que les autres devinent au point de s'indigner. Car au sein du groupe, le roman est, paraît-il, un tabou.
Est-ce un roman donc ? En ces termes, la question a-t-elle seulement un sens ? Peut-on faire confiance à l'Aragon de 1969 qui fait depuis plus de trente ans la théorie de ses romans ? On a le droit de penser que loin d'être la clé qui ouvre toutes les serrures et permet de tout comprendre, la question des genres obsurcit plutôt la période surréaliste d'Aragon, quand on veut la lire comme un combat entre la poésie autorisée et le roman interdit. Tous les textes d'alors portent à croire que l'on aurait singulièrement étonné leur auteur en disant de ces pages qu'elles étaient un roman. Un roman inconscient alors, une sorte de pulsion romanesque refoulée ? Allons donc !
Quoi qu'il en soit, on peut considérer « Une vague de rêves », qui paraît dans Commerce à l'automne 1924, autrement que comme une volonté de se racheter : il y a peut-être plus simplement le désir de se faire comprendre, de montrer à ses amis combien sa démarche et la leur est la même. Le groupe accepte d'ailleurs finalement « Le passage de l'Opéra » comme il saluera « Le sentiment de la nature aux Buttes Chaumont » qui forme la deuxième partie du Paysan, et avait été « acceptés » Anicet ou Télémaque.

L'âge d'or,
film parlant surréaliste
de Luis Bunuel

Il faut être clair. Il n'est pas question de nier les débats et les refus d'alors, mais être sûr, simplement, qu'on ne les grossit pas démesurément à l'aune de ce qu'on sait de la suite.

Certes, on l'a vu, Aragon fricote avec le Tout-Paris littéraire, il publie dans la Revue européenne chez un Soupault qui choisit de plus en plus une autre voie que le groupe. Mais pour ne prendre qu'un seul exemple d'une production totalement surréaliste, la première de L'Âge d'or de Buñuel et Dalì est patronnée par la mondaine par excellence qu'est la comtesse de Noailles. Éditorialement aussi, sa singularité est frappante avec ce statut d'auteur Gallimard qu'aucun de ses amis ne partage vraiment. Mais s'il est le plus proche de Gaston dont on connaît la ténacité avec laquelle il tient « ses » auteurs, il est loin d'être le seul à figurer sur le catalogue de l'éditeur qui peut déjà se prévaloir d'être celui « des surréalistes ».
Au total, rien n'autorise à penser vraiment qu'Aragon n'est pas alors totalement surréaliste. Il a sa manière à lui d'en jouer le jeu à fond, où entre comme on l'a vu, une volonté de scandale qui suppose la visibilité. Mais n'en va-t-il pas de même pour tous ? Le surréalisme se veut la discipline collective exigeante à laquelle Aragon se plie très largement. Mais le groupe n'est pas un phalanstère, et on aurait tort de prendre toujours à la lettre les règles qu'il se donne. Elles sont déjà bien assez contraignantes... Les nombreuses ruptures, qui ne sont pas toutes définitives, loin de là, montrent que chacun joue sa partition. Éluard est bien parti brutalement sans laisser d'adresse avant de venir reprendre sa place. Quand ils étaient encore jeunes, il y avait les longues vacances en famille. Il y a désormais les voyages, et ce qui se vit dans les relations amoureuses.
On peut d'autant mieux rendre sa juste mesure à la « crise » de 1924 qu'elle ne dure pas, et que lui succède l'engagement politique collectif où Aragon, comme la plupart du temps, est en phase avec ses amis. C'est en effet en 1925, avec la guerre du Rif qu'Abd-el-Krim mène contre les troupes coloniales de Lyautey, que les surréalistes entrent vraiment en politique. On cite souvent l'épisode de l'engagement avorté d'Aragon et de Breton auprès du Parti communiste en 1921. Mais cette démarche reste d'abord sans lendemain. En revanche, avec l'affaire du Maroc, la politique entre vraiment dans l'horizon du groupe désormais élargi. Cette guerre a tout pour les concerner dès lors qu'elle rencontre à la fois leur violent refus du patriotisme intellectuel («à bas le clair génie français ») et leur expérience concrète des tranchées. Ils se tournent alors vers les communistes qui sont à l'avant-garde de la lutte anti-militariste et anti-coloniale. C'est notamment le cas lorsqu'ils collaborent avec les jeunes communistes de la revue Clarté.
C'est donc collectivement que l'engagement communiste est devenu désormais une question et un problème auquel il faut répondre.

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