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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982


Aragon - Guerre et poésie

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Guerre et poésie

En écrivant, en 1956 : « j'ai trébuché sur le seuil atroce de la guerre, et de la féerie il n'est resté plus rien », Aragon se conforme tardivement à l'idée qui veut que de la guerre on ait souffert. Rien n'autorise à penser que le médecin auxiliaire Aragon, enterré trois fois par les obus à Couvrelles en août 1918, n'ait pas été brutalement heurté par l'horreur des combats. Lui qui justement, était là pour constater les blessures. Le contraste est évidemment frappant entre ce que l'on imagine du « Feu », et les photos de ces années où les déjà complices en littérature posent comme de gentils petits militaires. Celui qui part pour le front est décrit par la libraire Adrienne Monnier comme un jeune homme délicat et sensible. Mais il en va de la guerre comme de l'enfance dont on a vu ce qu'elle avait de « féerique » : pour savoir ce qu'y vécut Aragon, on doit s'en tenir à ce qu'il en dit bien plus tard, et notamment dans le Roman inachevé. Et le reste, on l'imagine.
Car ensuite, la guerre est devenue tabou pour les jeunes surréalistes que dégoutte au plus haut degré le déchaînement de chauvinisme de ces années-là. On n'en parle pas. Si Aragon intitule plus tard un poème « Ancien combattant », il n'y est question que de la période Dada. En dénigrant le mouvement avec lequel les surréalistes ont rompu, il montre par la même occasion en quelle estime il tient l'esprit « ancien combattant » d'alors : au moment où la France ne cesse de célébrer le sacrifice de ses glorieux poilus, pour les surréalistes il ne peut être d'ancien combattant que ridicule. Et dans le Traité du style, Aragon ne se prévaut de ses états de services que pour déclarer qu'il « conchie l'armée française dans sa totalité ». Sur la guerre donc, pas un mot.

Théodore Fraenkel
et le médecin auxiliaire Louis Aragon

Quoi qu'il en soit, c'est avec la guerre, la vraie, pas celle qui dure depuis 1914 et dont il n'est qu'un témoin distant, mais la sienne propre, celle qui commence avec son incorporation le 3 septembre 1917, c'est avec la guerre donc qu'Aragon entre dans le jeu. Dans le poème de 1956,il parle d'abord des horreurs avant d'évoquer les amis et l'entrée en littérature. Mais sur le moment tout est mêlé.

C'est déjà militaire mais encore à Paris, qu'Aragon rencontre en septembre 1917 celui qui va l'introduire dans le jeu. À l'hôpital militaire du Val de Grâce, il trouve André Breton et c'est d'abord entre eux affaire de goûts communs. Rimbaud d'abord, et aussi Lautréamont, suffisamment peu connu pour qu'il puisse être à lui seul une marque de reconnaissance pour les deux apprentis soldats. Tous les deux se découvrent lecteurs inscrits au cabinet de Mlle Monnier qui vient d'ouvrir et où l'on trouve la nouvelle littérature qui les attire, et tous les deux sont allés voir les Mamelles de Tirésias d'Apollinaire. Le récit détaillé de la rencontre est tardif puisqu'il date de 1967. C'est « Lautréamont et nous », le grand article qu'Aragon publie dans les Lettres Françaises un an après la mort de Breton. Récit tardif donc, enjolivé peut-être, mais auquel on a envie de croire tant le tableau est saisissant : Aragon et Breton, dans les couloirs du « 4e Fièvreux », le service des fous du Val de Grâce, seuls car il y a une alerte et que les autres sont descendus à l'abri, dans la nuit redoublée par l'extinction des feux, hurlant les Chants de Maldoror au milieu des fous déchaînés par l'angoisse.

Aragon entre dans le jeu littéraire en mars 1918 en publiant ses premiers textes pendant cette curieuse période transitoire où il est déjà soldat mais pas encore combattant. À la différence d'Aragon, Breton a déjà publié, et il est introduit dans le milieu des avant-gardes littéraires et artistiques que la guerre n'empêche pas de poursuivre ses activités. La tête pleine de projets, c'est lui l'animateur du petit groupe auquel il intègre son nouvel ami. Il l'introduit aussi auprès des aînés qui dirigent les petites revues, ceux qu'il faut rencontrer pour accomplir cet acte de naissance à la vie littéraire : publier. C'est Louis Delluc qui passe « Charlot sentimental » dans Le Film, Pierre Reverdy qui publie « Soifs de l'Ouest » dans Nord-Sud, ou Pierre Albert-Birot qui dirige SIC, revue à laquelle Aragon donne pour ce même mois de mars 1918 et sous le titre « le 24 juin 1917 », un compte-rendu à retardement des Mamelles de Tirésias d'Apollinaire. Le poète d'Alcools et de Calligramme, audacieux, désinvolte et joyeux, est alors pour ces jeunes gens le modèle d'une poésie totalement moderne, avec ce qu'elle prolonge de Baudelaire, Rimbaud et Lautréamont, et ce qu'elle exprime du refus de ce qui les entoure.

Mais déjà, trois mois après la naissance littéraire de mars 1918, Aragon est parti pour le front. Et c'est là que, de loin, il suit les projets de ses amis restés à Paris, alors que de son côté, il commence à écrire le roman d'Anicet. C'est sur la route d'Alsace, aux tout derniers jours de la guerre qu'Aragon reçoit la lettre de Breton lui annonçant la mort d'Apollinaire. La guerre se prolonge, après le 11 novembre, par l'occupation de la Sarre. Aragon n'est toujours pas démobilisé, et si l'on en croit, là encore, les textes tardifs, cette occupation en Allemagne est à peine moins pénible que l'épreuve du front. Le Roman inachevé, toujours lui, réveille le douloureux souvenir d'une Allemagne traumatisée, triste, grise et affamée, dans la poésie mise en chanson par Léo Ferré sous le titre « Est-ce ainsi que les hommes vivent ». Ou encore cette page de la Semaine sainte où Aragon évoque une confrontation dramatique entre les soldats français sur le point de tirer sur des ouvriers en grève. Il y aurait eu là une sorte de prise de conscience... À Paris, Breton et Soupault sont déjà lancés dans l'aventure : ils le tiennent au courant de l'avancée du projet de revue qu'ils dirigent tous les trois, et lui font part, à l'occasion d'une permission, de cette curieuse expérience qu'ils tentent alors des Champs magnétiques. Ils appellent surréalisme la technique d'écriture qu'on dira « automatique » quand l'autre terme aura désigné le véritable courant littéraire et artistique dont ils commence à peine à poser les premiers jalons.

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