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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982


Aragon - Avant le Jeu

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Avant le Jeu



la naissance (le 3 octobre 1897 à Paris), Louis Aragon est une gêne pour sa famille, et une imposture pour l'État-civil. Il n'aura d'existence légale que dans sa quatorzième année, quand un acte judiciaire vient tardivement ratifier son statut d'enfant né de parents inconnus. On nage ici en plein coeur des secrets familiaux que génère et entretient l'impératif des convenances bourgeoises : Aragon grandit sans père, avec une mère clandestine qu'on fait passer pour sa soeur (frère et soeurs aussi, donc, ses deux tantes et son oncle), et une fausse mère adoptive qui est en réalité sa grand-mère. Ce n'est pas tant l'illégitimité d'Aragon qui doit retenir l'attention, que l'incroyable échafaudage de demi-mensonges qui forme l'armature de sa première identité. Tout y est à demi-vrai.
Louis Andrieux, le père, est donc un non-père, mais il n'est pas absent. C'est lui qui donne son prénom, et qui choisit aussi ce nom de province espagnole en souvenir, paraît-il, d'une ancienne maîtresse, pour l'enfant qu'il a fait à une autre maîtresse... Présent à la naissance, il reste ensuite pour soutenir la famille de son fils qui manque toujours d'argent. Il est le parrain du petit Louis, et lui sert de tuteur au moment de s'inscrire à la Faculté de Médecine. Aragon n'apprend la vérité de la bouche de sa mère qu'au moment de partir au front en 1917. Mais il n'a pas eu besoin d'être grand clerc pour avoir déjà deviné l'identité de cet homme toujours présent et jamais là.
Ce n'est que très tardivement, à la fin des années 60 dans ses Entretiens avec Dominique Arban et dans Je n'ai jamais appris à écrire, qu'Aragon évoquera publiquement le volet paternel de son existence. En revanche, il s'inspire beaucoup plus tôt du roman familial maternel. En écrivant Les Voyageurs de l'impériale entre 1938 et 1939, il fait revivre son grand-père, celui qui aurait du être son père de substitution puisque sa grand-mère était censée être sa mère. Mais là encore il s'agit d'une absence : Fernand Toucas a déjà abandonné femme et enfants quand son petit-fils vient au monde. Dans les Voyageurs, Aragon raconte la fuite de celui qu'il appelle alors Pierre Mercadier.
La construction chronologique du roman est intéressante pour la confusion qu'Aragon y entretient entre sa propre histoire et celle de l'absent : il fait commencer le roman avec l'exposition universelle de 1889, date à laquelle le vrai Fernand Toucas est réellement parti. Mais dans les Voyageurs de l'impériale, il faut attendre la fin de l'été 1897 pour voir Pierre Mercadier quitter sa famille, au moment précis de la naissance du futur écrivain. Brouillant encore les pistes en frôlant le réel, Aragon se dépeint sous les traits du petit-fils de Mercadier, le petit Jeannot qui vit comme son modèle dans la pension que tient sa famille. Mais le fils de Mercadier, le père de Jeannot-Louis, est alors bien présent, lui...
Dans la pension de l'avenue Carnot, les Toucas ne sont restés que cinq ans, entre 1899 et 1904, avant de s'installer à Neuilly où Aragon fait sa scolarité. Il décrira l'ambiance de la pension dans les poésies du Roman inachevé de 1956. C'est là aussi qu'il évoquera les trois soeurs, « Marguerite, Madeleine et Marie », en revivant le regard de l'enfant sur celle dont il ne sait pas encore qu'elle est sa mère :
« la première est triste, à quoi pense-t-elle ».

Et si la même pension joue encore un rôle dans la vie d'Aragon, c'est qu'au moment de la quitter, il y commence en 1904 ses premiers textes, dont il aura soin de faire pour l'un d'entre eux, « Quelle âme divine », sa première oeuvre en le publiant plus tard dans la revue Littérature, puis dans le recueil du Libertinage. Aragon commence donc à écrire à cinq ans. Assurément, ce doit être un enfant qui lit déjà énormément, et la précocité de l'écriture peut être mise au compte d'une famille bourgeoise où l'on écrit beaucoup, comme souvent alors. L'oncle Edmond, par exemple, publie des vers et un roman, et il dirige même une de ces petites revues littéraires qui pullulent. Plus tard, la mère d'Aragon écrira à son tour des oeuvres alimentaires qui lui vaudront d'appartenir à la Société des gens de lettres et de se dire « femme de lettres » sur sa carte d'identité. Plutôt que la précocité même de l'acte d'écrire, même si Aragon lui-même la met abondamment en scène dans Je n'ai jamais appris à écrire en 1969, c'est qu'il ait pu se permettre d'en faire plus tard une oeuvre qui retient l'attention. Mais il est vrai qu'avec ces surréalistes...

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