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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982


Les Adieux (1981) Quelques extraits
Les Adieux et autres poèmes
(1982)

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Les Adieux (1981) Quelques extraits
Les Adieux et autres poèmes
(1982)


Extrait d'"Échardes"

I
Cesse donc de gémir Rien de plus ridicule
Qu'un homme qui gémit
Si ce n'est un homme qui pleure

II

Je me promène avec
Un grand trou dans mon coeur

III
Crois-moi
Rien ne fait si mal qu'on pense

IV
Plus le poème est court
Plus il entre en la chair

XII
Qui dit J'ai mal
Oublie les autres

XVII
La vie est pleine d'échardes
Elle est pourtant la vie

Extrait de "Ni fleurs ni couronnes"


Une part avec lui du monde et de moi-même est devenue
Instrument dépourvu d'usage et pourtant signe avant-coureur
Mémoire je reviens à ma jeunesse quand je l'ai connu
Cet homme hors mesure là-haut dans la rue Simon-Dereure
Où la beauté sans cri des objets lui faisait trembler la main
Rien plus que lui n'était humble devant les choses familières

Braque un dimanche éteint souviens-toi de ce que fut vendredi
Dans ce double miroir toute une part du monde atteint son terme
Une part du monde se perd dans ce regard qui s'est perdu
Cette lumière d'une chambre et rien n'a troublé le silence
Par un après-midi je ne sais d'où descend l'ombre attendue
Le temps qui passe met sur tout son immobile violence.

Ils ont beau s'en aller qui eurent privilège à voir premiers
Le spectacle ils ont beau nous quitter peut-être par lassitude
Et que cela soit Chardin Braque ou Vermeer que vous les nommiez
Il en revient toujours poursuivre la même longue étude
Mais nous qui demeurons sans eux aveugles nous les survivants
Dans ce siècle qui meurt d'un peintre ou d'un poète à chaque halte
Nos yeux habitués à l'homme en vain dans ce désert de vent
Cherchent l'après de notre soif la source à présent sous l'asphalte
Nous nous tenons près des gisants comme des rois déshérités
Qui rêvent la fête finie à ce qui leur fut un Versailles

Extrait de "L'an deux mille n'aura pas lieu"


Donnez-moi votre cathédrale où tout sera si ressemblant
À la rue au vivre ordinaire
Sous le soleil morcelé des vitraux la roue atroce des vitraux
Et la lumière est l'écorché dont l'épingle tire les nerfs
Si ressemblante la douleur d'alors à la douleur moderne

Extrait de "À Novomesky"


Nous sommes les bergers d'un même Noël toujours lointain de sembler proche
Nous avons marché marché dans la nuit tournant les yeux vers le sable du ciel
Et l'étoile était pâle à voir pour ceux qui ne savent dormir
En route sans cesse en route et qui peut dire jamais s'il
Y aura paille où s'agenouiller enfin s'il y aura l'enfant la crèche et l'aurore
Nous ne sommes pas ceux qui portent la prière une fois pour toute
Écrite et le chant sans arrêt nous monte à tout moment réinventé
Comptez mes cheveux blancs pour connaître le nombre des nuits sans sommeils

Je te salue au crépuscule homme fidèle
Pour cela seul qui vaut qu'on en parle aujourd'hui
Nous sommes les bergers je te dis d'une étoile
De si loin si longtemps et malgré tout suivie
Nous sommes les bergers de toute notre vie
Et nos pieds écorchés s'en vont vers d'autres pierres
Je te salue au milieu du siècle au nom des jours à venir
Je te salue au nom de ta jeunesse et de la mienne
Je te salue au nom du poème et de l'eau pure
Je te salue au nom de l'homme et de la femme
Je te salue au nom du feu dont nous somms également brûlés
Je te salue au nom de la douleur et de la flamme
Je te salue au nom du mal et du bien
Comme un paysan dans son champ de bleuets et de blé

Nous sommes tous de même à la fin des temps barbares à la fin
Du mépris De la méprise Du calvaire
On aura vainement sur la table renversé le vin
On aura vainement brisé sur la nappe les verres
Il fallait bien qu'un jour quelqu'un se souvînt
Et tu vins tu parlas le langage des vers
Comme tu as soufflé les braises des années vingt
Comme tu as rendu leur sens et leur parfum
Aux vocables d'alors surpris de leur puissance
Effacé de ta main la ride à nos idées
Et redonné couleur à la blême espérance

Pour être demeuré pareil à toi merci

Extrait de "Hölderlin"


Je ne t'imiterai point dans ta parole
ô
Poète brûlé tes forêts intérieures
Long incendie incendié sur qui souffle
Le vent interminable de l'Histoire

Je t'appelle à mon secours dans l'épais taillis du siècle
Donne-moi ta main longtemps pour écouter le silence

Hölderlin
Heureux à son amour celui
Qui n'a survécu d'
Une minute
Heureux
Le corps démâté démembré disjoint
Qui n'a pas plus qu'à son amour à soi-même survécu

C'est toi c'est lui que je regarde
Et chaque pli de ta bouche et chaque ride au coin de tes yeux
Ces obliques blessures de la durée
C'est moi que je regarde en lui pour mieux
Me retrouver et comment il se peut
Que je me fasse en toi lui peu à peu

Je n'aurais plus où me souvenir où me perdre
Hormis toi nul ne sait la beauté noire de ne rien
Attendre
À qui parler le langage pur
Du désespoir
appris par trop avoir pratiqué l'espérance

J'ai fait abandon du bonheur Il s'est assis
Ailleurs Il attend
comme un gamin pour la première fois sur les bancs
De l'école
Il attend le Christophe inconnu près de la fontaine afin
D'être porté par son épaule
Qui traversera la rivière d'un pas géant

À quoi bon ma voix si vous la couvrez de tambours
Et ne sont pas toujours de sang les martyrs
Celui-là guère n'a besoin de mettre son doigt dans leur plaie
Qui ne montre pas sa propre blessure
Il sait

Je dis Il sait

Je suis encore assis au seuil de la Barbarie
Comme un mendiant qui ne tend pas la main
J'aime le goût amer des cendres
L'âpre pulpe des poires l'aile impalpable
Sur moi des oiseaux bas d'orage
J'aime tout ce qui brille à mes yeux fermés
De cette grande lueur invisible
J'aime sans un mot ce qui s'avance à quoi
Je n'aurai plaisir ni part

Mais un peu de poussière enfin que pousse
Plus tard


Le Mal marche donc premier le Bien le suit sans
Doute et s'il n'y avait pas d'abord le Mal y
Aurait-il jamais le Bien
Je dis donc qu'
Il n'y a pas d'autre songe que celui du
Mal et du Bien dans cet ordre de succession
Ainsi le Mal précède et le Bien après vient
Portant dans son coeur en fait de lumière la
Blessure du Mal

Il est commode assurément de tout expliquer par
La folie où commence la folie

L'inexplicable n'est pas ce que folie explique
L'inexplicable c'est que le chapeau ne s'envole pas
Quand le vent souffle et que la raison soit si forte
Que le chapeau ne s'envole pas

Qui sera le fou suivant
Certaines nuits je m'éveille et je n'ai plus
Ma raison
Je dors nu


Extrait de "L'étreinte"


Il y
avait de cela douze ans quand je vins
Boulevard Saint-Germain 202 chez Guillaume
Apollinaire On entendait au loin tousser
La Bertha

Il me disait Que disait-il Il m'a conduit
En s'excusant Les Picassos sont à la cave
Excepté
La main montre le mur où se fait
L'amour dans la pièce
à côté

Tout le reste ô baiser baiser perpétuel
Nuit et jour jour et nuit ce long arrêt d'horloge
Et la lèvre à la lèvre et le souffle accouplé
Et la vie au-dessous Réel le lit pourtant
Biens moins réel que l'instant fixé sur la toile
N'est qu'un pléonasme à l'étreinte à la durée

La vaste vie un peu toujours le cinéma
D'alors où le piano d'un petit air pardonne
Les mots qu'on tait

Ne sommes-nous pas encore au temps du muet
Un demi-siècle après c'est la même musique
Même silence dans les squares sur les bancs
Au coin des rues
Au ventre sombre des maisons
Seuls rien qu'eux seuls jamais lassés d'être enlacés
Tressaillants et tressés dans leurs bras dans leurs jambes

Les amants de 1905
Dont soit le plaisir éternel

Extrait de "Les rendez-vous"


I
Tu m'as quitté par toutes les portes
Tu m'as laissé dans tous les déserts

Je t'ai cherchée à l'aube et je t'ai perdue à midi
Tu n'étais nulle part où j'arrive

Tu m'as quitté présente immobile
Tu m'as quitté partout tu m'as quitté des yeux
Du coeur des songes
Tu m'as quitté comme une phrase inachevée
Un objet par hasard une chose une chaise
Une villégiature à la fin de l'été
Une carte-postale dans un tiroir
Je suis tombé de toi toute la vie au moindre geste

V
Qui n'aime à douleur peut-on dire il aime

VI

Et ce n'est point aimer que n'aimer à douleur
Cette main que je tiens encore elle s'enfuit
Tout le bonheur du jour n'annonce que la nuit
J'aurai passé comme un voleur

VII

Et nous ne sommes pas allés ensemble à Grenade

Je suis mort tant de fois de t'attendre
Et tu n'en as jamais pleuré

Oh si tu savais seulement comme auprès de toi chaque nuit
J'ai chaque nuit appris ce qu'est la solitude

VIII

Ainsi je t'aurai toute la vie attendue
Présente absente ailleurs ici proche et lointaine

Il est trop tard pour espérer enfin t'atteindre
Je n'aurai pas trouvé les mots tout
N'aura semblé qu'un murmure un étouffement de cris
Je ne t'aurai donné que ce chant avorté de moi-même
Tu n'auras pas entendu ni personne
Entendu le battement en moi de ce grand oiseau rouge
Je n'aurai donc été vers toi qu'une phrase sans fin
Il est trop tard et caetera

Extrait de "Paroles perdues"

II
L'homme seul est un escalier
Nulle part l'homme qui ne mène
Et lui demeurent inhumaines
Toutes les portes des paliers

L'homme seul a les bras obliques
L'oeil impair le souffle rayé
Il n'a qu'ailleurs pour oreiller
So sommeil est fille publique

L'homme seul a des doigts de vent
Ce qu'on lui donne se fait cendre
Plaisir même il ne peut rien prendre
Que poussière le retrouvant

L'homme seul n'a pas de visage
Il n'est que vitre pour la pluie
Et les pleurs que l'on voit sur lui
Appartiennent au paysage

Il est une lettre égarée
Portait-elle une fausse adresse
À qui disait-elle Tendresses
Quelles mains l'auraient déchirée

III

Il y a trop souvent maldonne
Vivre est un jeu malinventé
Le printemps passe et pas d'été
Voilà que c'est déjà l'automne

VII

Toute science est de nommer
Tout langage est de métaphore
Mais le vent paroles déflore
Et les fait tourner en fumée

Toujours excédant leur empire
Soleils sur l'extrême occident
Me brûlent les mots par dedans
De la braise qu'ils int à dire

Acteurs l'un de l'autre jaloux
Toujours se volant la réplique
Ils s'habillent d'un sens oblique
Au mépris des feux et des clous

Comme masques pris l'un pour l'autre
Ou galants au couvert de nuit
Choses s'annoncent d'autres bruits
Qui dans le lit d'autrui se vautrent

Tous les courir sont de tortue
D'un oeil crevé toute peinture
De nature contre-nature
Et de tue-tête chanson tue

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