Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982
Le Roman inachevé - (Roman
inachevé) extrait
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Le Roman
inachevé
Comme il a vite entre les doigts passé Le sable de jeunesse Je suis comme un qui n'a fait que danser Surpris que le jour naisse J'ai gaspillé je ne sais trop comment La saison de ma force La vie est là qui trouve un autre amant Et d'avec moi divorce Rien n'est plus amer A qui t'en prends-tu Plus commun plus facile Que perdre son temps et le temps perdu Pourquoi t'en souvient-il Le hasard fait que j'y pense parfois Et toujours je m'étonne Ainsi je fus ainsi j'ai vécu moi Ce printemps monotone On n'en peut compter rien d'intéressant Malgré ses airs baroques Et je n'ai jamais été qu'un passant Embourbé dans l'époque De loin tout ça paraît aventureux Saoulant blasphématoire Les nouveaux venus en parlent entre eux On en fait des histoires Vous du moins dit-on vous aurez bien ri Entre les draps du drame Sûr cela valait d'y mettre le prix Fût-ce le corps et l'âme Vous aurez été libres de rêver Libres comme l'injure Mais vous regardez nos pieds entravés Avoir raison c'est dur Ils rêvent pourtant ces fils d'aujourd'hui Où toute chose est claire Et s'ils ont regret c'est de notre nuit Et de notre colère Ah le beau plaisir que lire aux bougies Des choses éternelles Ils voudraient troquer l'idéologie Pour l'irrationnel Ne voyez-vous pas malheureux enfants Que tout ce que nous fûmes Se dresse devant vous et vous défend Le seuil mauvais des brumes Ce que nous étions nous l'avons payé Plus qu'on ne l'imagine Et regardez ceux qui vous foudroyés Sans cur dans leur poitrine Mais qu'espéraient-ils et qui ne vint pas Quels astres quelles fêtes De qui croyez-vous ces traces de pas Des hommes ou des bêtes Ils s'imaginaient d'autres horizons D'autres airs de musique Et vous vous plaigniez vous d'avoir raison Sur leur métaphysique Moi j'ai tout donné que vous sachiez mieux La route qu'il faut prendre Voilà que vous faites la moue aux cieux Et vous couvrez de cendres Moi j'ai tout donné mes illusions Et ma vie et mes hontes Pour vous épargner la dérision De n'être au bout du compte Que ce qu'à la fin nous aurons été A chérir notre mal Le papier jauni des lettres jetées Au grenier dans la malle |