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Opinions et
jugements sur Feu de joie
Philippe Soupault (1920)
La paille qui brûle est notre jeunesse. Louis Aragon s'est approché
de ce feu pour s'y chauffer les doigts. Le coeur reste froid. Pourquoi
mon ami parle-t-il de son enfance avec cette désinvolture?
Je sais qu'il ne peut oublier les livres de prix, les ballons multicolores
et les yeux inquiétants des filles de joie. Je sais encore
que cette indifférence est une pudeur mal déguisée.
Mais nous n'avons pas peur de lui, nous n'avons pas peur de pleurer.
Pourquoi ce sourire insolent?
Pour Louis Aragon, la terre est une assez jolie bulle de savon. Il
est dangereux d'y allumer du feu. Les flammes sont jaunes ou bleues
pour notre plaisir. Beaucoup ont souri en lisant ses poèmes,
beaucoup les ont trouvés charmants, je n'ai pu m'empêcher
d'être triste en songeant à ces jolis feux qu'on allume
dans la campagne et qui ne durent qu'une soirée. J'attends
au bord d'une route l'incendie des fermes et des forêts.
Ne vous hâtez pas trop de pleurer de peur d'être obligé
d'en sourire. J'agite mon mouchoir et je regarde. Viendrez-vous, mon
ami? Je vous attends. Nous vous attendons.
Roger Allard (1920)
La poésie de M. Aragon est agencée comme les parcs d'attractions.
C'est un genre d'amusement dont on se dégoûte assez vite.
Du moins M. Aragon porte-t-il dans le procédé de tachisme
verbal dont il se satisfait à présent, un soigneux désir
de fraîcheur.
L'uniforme de secte - une secte assez mélangée - qu'il
a cru devoir endosser ne lui va pas mal, à cause des retouches
qu'une fantaisie personnelle a faites au modèle réglementaire.
Tout n'est pas affecté dans le charme aigrelet de cette attitude,
mélange de précocité aisée et de jeune
grâce naturelle.
Le son que rendent ces phrases a la qualité qu'il faut pour
qu'on prenne la peine de déjouer l'artifice typographique,
l'absence de ponctuation et autres ficelles où s'empêtrent
les machinistes de "l'esprit nouveau".
ces phrases sont des notations d'un coloris agréable, des modulations
qui rappellent l'art sensible et nuancé de M. Léon-Paul
Fargue.
Telle est, croyons-nous, l'affinité naturelle du talent de
M. Aragon, auquel on se plaît encore à reconnaître
un sens délié de la cocasserie et du quiproquo syllabiques
où M. Max Jacob est passé maître, et dont il demeure,
en dépit de tous les assimilateurs, utilisateurs et vulgarisateurs,
le virtuose.
Mais ces drôleries ne sont que la monnaie de singe de l'esprit.
M. Aragon est capable d'en frapper de plus loyale. Sa phrase a du
nombre et la souplesse qu'il faut pour suivre les réflexes
psychologiques. Poète, il a des dons de fabuliste et de conteur,
dons précieux et qu'on regretterait de voir gâchés
dans une espèce de mysticisme de la mystification.
Paul Neuhuys (1922)
Louis Aragon n'a pas abjuré tout scrupule d'art. Il semble
parfois même demeurer attaché aux anciennes formes prosodiques.
Louis Aragon a néanmoins trouvé son salut en Dada. C'est
un feu de joie où il sacrifie toutes les vaines acquisitions
de l'esprit pour un ordre de choses nouveau qui surgira des absurdes
suggestions de la conscience. La couleur neutre - bitum ou réséda
- n'est pas la couleur dominante chez Aragon. Nous y trouvons même
des couleurs vives que les dada n'affectionnent que médiocrement,
en général.
Louis Aragon est parmi les data le seul qui semble préparer
un terrain de conciliation entre les suggestions de la conscience
et les exigences de la raison.