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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982


Brocéliande - Poème Quelques extraits
(1942)



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Brocéliande - Poème
(1942)
Quelques extraits

- Extrait de la première partie

Rien ne finit jamais comme on voit dans les livres
Une mort un bonheur après quoi tout est dit
Le paladin jamais la belle ne délivre

Et du dernier baiser renaît la tragédie

La vie est une avoine et le vent la traverse
Sans y trouver jamais un accord résolu

L'homme change mais pas la flamme et pas le jeu

Et le monde est pareil à l'ancienne forêt
Cette tapisserie à verdure banales
Où dorment la licorne et le chardonneret

Vous n'y trouverez pas les mystères français
La fée a fui sans doute au fond de la fontaine
Et la fleur se fana qui chut de son corset

Les rêves de chez nous sont mis en quarantaine

Mais le bel autrefois habite le présent
Le chèvrefeuille naît du coeur des sépultures
Et l'herbe se souvient au soir des vers luisants

- Extrait de la deuxième partie


Cette chambre de feu pleine de soldats et de bottes

Est-ce que vous n'entendez pas le bruit de crin que font les sauterelles
Des ossements futurs grincent dans les céréales
Je ne peux pas m'habituer à vivre à tu et à toi avec la mort

Car un jour viendra bien qui pourrait être proche
Où la pluie et le beau temps seront aux mains capricieuses du premier venu
Homme homme précisément par ce pouvoir sur le ciel
Alors il ne fera plus bon pour la sécheresse ni pour la poussière

Alors personne ne te dira plus des mots étrangers pour limiter tes pas
Tu ne craindras plus de te brûler en touchant la porte de ta propre maison
Tu ne seras plus valet des labours chez un maître qui ne sait pas prononcer ton nom
La terre que tu creueras ne sera plus inexplicablement stérile
Plus inexplicablement fuxante comme une femme de mauvaise vie
Elle ne mentira plus à Jean Pierre ou François

Qu'il pleuve une tempête de pluie avec la générosité du fer

Chère pluie à mon visage aussi douce qu'à ma terre
Et ne te gêne pas si je suis sur ton chemin Tu peux me percer
Pluie adorable pluie aussi tendre que l'amour
Que tout un peuple espère les yeux tournés vers le ciel

- Extrait de la troisième partie

Tout résonne aujourd'hui d'une étrange façon
Mon sauveur soit mon peuple

Est-ce la nuit du Christ est-ce la nuit d'Orphée
Qu'importe qu'on lui donne un nom de préférence
Celui qui ressuscite est un enfant des fées

Soleil ballon captif qu'on lâche le matin
Il faudra bien qu'un jour à la fin tu t'évades
Voici se réveiller les volcans mal éteints

Voici blanchir les monts ainsi que des salades
Resteras-tu toujours le toutou de quelqu'un
Content de ta ficelle et d'aller en balade

Étoilé comme un condamné de droit commun
Le ciel troué de bleu fier de ses tatouages
Te fait faire le beau coucher bondir comme un

Caniche au cerceau blanc de ses bras de nuages
Icares en sueur Josués sans poumons
Quels rétameurs de pots quels cochers de louage

Quls faux exorciseurs complices du démon
Quels charlatans t'ont dit de rebrousser ta course
Pour te faire sauter à la corde des monts

Un dogue peut casser sa laisse ou son collier
Déborder les ruisseaux ou sauter la cheddite
Mais le soleil poursuit son chemin régulier

Et revient dans la mer baigner à l'heure dite
Quand il sera bien las de ses rayons peignés
Qui le font ressembler à quelque hermaphrodite

Il faudra bien qu'un jour cependant il se fâche
Tombe de son perchoir et flambe les carreaux
Grille les pissenlits sous les pas lents des vaches

Qu'attends-tu pour brûler ta cage et tes barreaux
O monstre dédoré dors-tu qu'il fait si sombre
C'est pour toi cependant que tombent les héros

Pendu par les cheveux aux barbelés de l'ombre
Ne tarde plus bel absolu bel Absalon
Il reste encore un peu de feu sous les décombres

Du fin fond de l'enfer Soleil nous t'appelons

Extrait de la quatrième partie


Quelle sorte de pluie est-ce donc qui semble annoncer les lépreux avec la crécelle
La terre craque et l'arbre séché frémit
La grêle la grêle la grêle Ah malheur
Sur les graines la fleur la moisson les vitres les voiles les promeneurs égarés
Il pleut des diamants taillés des javelots des malédictions


Des animaux faits de rumeur et de dévastation
Dont le nom simple à cette minute échappe à ceux qu'ils tuent
Avec de grands yeux bleus dans leurs ailes vertes afin de tromper le ciel
Sauterelles voilà comment on les appelait en Égypte
Ce sont des sauterelles qui s'abattent épouvantablement sur nous

Oui c'est la grêle et les magiciens sur la montagne
Seront écharpés pour avoir appelé le fléau


Il y a la grêle il y a le groin du vent vert il y a la griffe labourante
Il y a le grincement du meurtre et la grimace du martyre
Et le gréement de la ville se désagrège et la pierre a crié grâce
Grêle grâce
Et la grêle a ri de toutes ses dents de grêle
De toutes ses dents de grêle a mordu le bonheur à pleines dents

Qui parlait de grêle tout à l'heure
La grêle n'a pas cette couleur

Je vous dis qu'en Égypte on appelait cela des sauterelles

- Extrait de la cinquième partie



Écoutez l'ombre dit des noms comme des mûres
Noirs mais entre nos dents de vrais soleils fondants
Chacun d'eux qu'on taisait l'avenir le murmure

Chacun d'eux à l'appel de France répondant
Chacun d'eux a l'accent qu'il faut au sacrifice
La gloire n'eut jamais autant de prétendants

L'étoile luit plus haut que les feux d'artifice
O Mère c'est en vain lorsque le coeur te fend
Qu'on voudrait te cacher le compte de tes fils

Chacun d'eux dans la terre ou dans l'arbre étouffant
C'est en vain qu'on voudrait te cacher sa torture
Tu sais qu'on l'a tué car il est ton enfant

Et qu'il ne revient plus se pendre à ta ceinture
C'est en vain qu'on voudrait te dire qu'ils ne sont
Que les petits d'une autre ou nés contre nature

Des bâtards eux que tu berças de tes chansons
Eux qui trouvaient pour toi le ciel pas assez ample
Dont le dernier regard brilla de ta leçon

Pareils à ceux jadis à qui l'on fit des temples
Pareils à ceux naguère aux monuments inscrits
Eux qui nourris de toi son morts à ton exemple

Et n'ont rien regretté le jour qu'ils ont péri
Puisqu'ils dirent ton nom sous la grêle des balles
Préférant de mourir que vive la patrie

Ah combien de Merlins sous ces pierres tombales
Et tous les arbres sont des arbres enchantés


Grande nuit en plein jour cymbales des symboles
Se déchire la fleur pour que naisse le fruit
Le ciel éclatera d'un bruit de carambole

Et l'homme sortira de l'écorce à ce bruit

- Extrait de la sixième partie



Déjà se lève un récolte de colère
Et qui saurait maintenant distinguer sa fureur de sa joie
Oui c'est cette nuit de feu qui défait les défaites
Dans sa chevelure de lueurs
Justice justice soit faite

Je vous entends voix des victimes Vous venez
À l'heure où se vend la vengeance à la criée
Réclamer votre dû Vous craignez que j'oublie
Votre droit sur le grain mûrissant sur l'août glorieux
Vous craignez que j'oublie ô mes amis le prix payé

Vos derniers mots parés des prestiges de la mort
Vous craignez que j'oublie aveuglément ce qui me lie
À vous ce qui me lie à votre sang versé
Vous craignez le bonheur des survivants et leur folie


Vous en qui j'ai cru
Non je n'ai pas perdu mémoire de toi courbeur de fer

De toi non plus

Je n'ai pas perdu ta mémoire à toi non plus philosophe aux cheveux roux

Une clarté d'apocalypse embrasera le noir silence
Quand au scandale des taillis le rossignol
Lance
L'étincelle de chant qui répond au ciel incendié de son signal
Ah que je vive assez pour être ce chanteur
Pour ce cri pur où crépite la délivrance
Ah que je vive assez pour l'instant d'en mourir
Guetteur des tours oiseau de la plus haute branche
Ah que je vive assez pour
Brûler du même feu né de Brocéliande
Et dire à l'avenir le nom de notre amour


Je ne demande rien que de vivre assez pour voir la nuit fléchir et le vent changer

- Extrait de la septième partie


Avenir qui ressemble aux veines de la main
Avenir avenir aveugle aux yeux ouverts
Avenir qui devine en vain les lendemains

Avenir souvenir Nuances si légères
Au feu de ce qui fut brûle ce qui sera
Futur antérieur Mémoire ô passagère

Si du refrain d'hier demain tient sa puissance
Vous vous y refondez thèmes initiaux
Et dans les mêmes mots l'ombre change de sens

La fable y refleurit sous le nom d'hypothèse

Faisant sur l'infini les calculs qu'il lui plaît
L'Homme y paît les troupeaux turbulents des problèmes
Et renversant le ciel que les dieux étoilaient

Il marque l'univers au secau de son emblème

Je démonte pour vous ces démons mécaniques
Voyez leur sourcil d'ombre est fait de vos soucis
Et votre force fait leur force tyrannique

Il n'appartient qu'à vous de les chasser d'ici
Impossible est un mot banni de notre terre
Ce que vous redoutez est à votre merci

Connaître est la doublure blanche du mystère
On parle spectre encore et c'est pour la clarté
Les enfants de la peur feront bien de se taire

Si je leur laisse place et rang dans la cité
Qu'ils cessent de servir nos maîtres transitoires
Et qu'ils ouvrent pour nous leurs forêts enchantées

Puisque les peseurs d'or ont fermé leurs comptoirs
Et que toute grandeur a passé son chemin
Je te reprends Légende et j'en ferai l'Histoire

Avenir qui ressemble aux lignes de nos mains

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