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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982

Hourra l'Oural Quelques extraits
(1934)



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Hourra l'Oural
Quelques extraits

Extrait de "Valse du Tcheliabtraktrostroï"

Quel est le secret de la ronde
qui mène le diable et son train
Quel est le secret de ce monde
où le travail n'a pas de frein
Comme l'enthousiasme inonde
son incompréhensible coeur
L'avenir ici qui se fonde
a la vertu d'une liqueur


"Encore des paroles en l'air"

La vicomtesse prit une pose ensorcelante et dit
au sous-secrétaire des Beaux-Arts Si
c'est cela ce que vous appelez la Poésie
Tout ceci se passait dans le ciel de l'Oural
où des gens chics faisaient on ne sait pas pourquoi
du camping
Le sous-secrétaire ulcéré se récria Je suppose
que vous savez pourtant que j'aimeAlbert Samain
Verlaine et Valéry Je déteste la prose
et je faisais des vers lorsque j'étais gamain

Des aigles frôlaient le pied des dames
Il y avait des météores qui s'arrêtaient dans la nuit s'émerveillant
del'ingéniosité des face-à-mains
Du monde comme il faut décidément
soupira la Grande-Ourse habituée à des dompteurs
Tout cela grignotait des nuages
et se nourrissait d'éclairs
Ma chère
cria dans son monocle
un fantôme de velours blanc
regardez donc ce qui se passe
C'est troublant
c'est tout à fait troublant
Simplement sous leurs pieds la terre
s'était miseà se souvenir
L'Oural rêvait

car l'Oural rêve
lui aussi de temps en temps


Extrait de "Vains regrets d'un temps disparu"

Effrayant
bégaye un éphèbe
à son voisin le barbu
Ces miséreux lesmiserables
et nous n'avons pas encore tout vu
Que de splendeurs et que de fastes
dont j'attends en vain le retour
le luxe enfui la cour les fêtes
les beaux chevaux l'impératrice
les bolcheviks qu'en ont-ils fait

Un horreur confesse son interlocuteur

Et maintenant voici la foule
qui s'étale ignoblement
Ses mains sales sur les palais
de malachite Ses mains sales sur les
coupoles d'or des églises Ses mains sales
sur les meubles l'argenterie et le linge fin des princesses
Ses mains ses mains sales sur les petits corps des malheureueses grandes-duchesses

Calmez-vous mais c'est une horreur
gémit son interlocuteur

Savez-vous qu'avec des icônes
ils ont fait des niches à chien
Savez-vous qu'ils Mais je m'étrangle
en songeant à ces gens de rien
qui traînent leur veste à leur aise
sans distinguer le tien du mien
dans le marbre et dans leporphyre
et dans le lapis lazuli

Le lapis est le pis concède
avec horreur son interlocuteur

Tournez vos yeux mon très cher
et vénérable ami vers
le sanglant Ekaterinenbourg
C'est là qu'ils ont dans une cave
fait un cadavre avec un tzar
et la tzarine et ses petits onze personnes
en tout

Onze frissonne avec horreur
son sensible interlocuteur


"Hymne"

Ils ont rendu l'homme à la terre
Ils ont dit Vous mangerez tous
Et vous mangerez tous

Ils ont jeté le ciel à terre
Ils ont dit Les dieux périront
Et les dieux périront

Ils ont mis en chantier la terre
Ils ont dit le temps sera beau
Et le temps sera beau

Ils ont fait un trou dans la terre
Ils ont dit Le feu jaillira
Et le feu jaillira

Parlant aux maîtres de la terre
Ils ont dit Vous succomberez
Et vous succomberez

Ils ont pris dans leurs mains la terre
Ils ont dit Le noir sera blanc
Et le noir sera blanc

Gloire sur la terre et les terres
au soleil des jours bolcheviks
Et gloire aux bolcheviks

"1932"
Le petit cheval n'y comprend rien
Qu'est-ce que c'est que ces caissons
ces arbres de fer ces chars ces chansons
qui sortent de sortes
de fleurs suspendues
Et rien ne sert de trotter Les mots de métal
volent
le long de la route au vent malicieux des poteaux télégraphiques
Le petit cheval n'y comprend rien de rien

Le petit cheval n'y comprend rien
Le paysage est un géant enchaîné avec des clous d'usines
Le paysage s'est pris les collines dans un filet de baraquements
Le paysage a mis des colliers de fumées
Le paysage a plus d'échafaudages qu'un jour d'été
n'a de mouches
Le paysage est à genoux dans le socialisme
et l'électricité
étire ses doigts fins du cielà la poussière

Le petit cheval n'y comprend rien
Personne ne dort dans ces maisons d'hommes
Ça siffle partout comme après unchien
et des léopards de feu se détachent au passage des wagonnets
le long du combiné des sous-produits chimiques
Tonnerre du minerai tombant aux concasseuses
Tonnerre du rire des hauts-fourneaux
Tonnerre d'applaudissements des eaux du barrage
au numéro d'un clown inconnu qui crache du fer

Le petit cheval n'y comprend rien
De grands types circulent entre les épaules de la terre
et sous leurs mains calleuses familièrement
claque le flanc de l'avenir
De grands types qui lisent au voyant des édifices publics
les chiffres mystérieux de la fonte et du coke produits chaque jour
De grands types
pour qui le ciel et la montagne
se résument le soir dans un accordéon

Ah mon amour ah mon amour allons au cirque
où fait de la voltige un Italien
qui s'est sauvé de chez Mussolini dans les soutes
d'un vapeur rouge dont le Vésuve a salué longtemps le départ
et puis nous remonterons vers la ville socialiste
à laquelle il manque encore ses balcons
entendre ce qu'ont à dire de la poésie
les membres de la brigade Maxime Gorki
Quand on pense que le blooming n'a pas encore son poète
Le petit cheval n'y comprend rien

Sur un sein de la ville un monde fou s'agite
Les femmes de par ici ont des yeux sinoirs qu'on s'y noyerait
Les échoppes ont l'air de femmes bien aimées
Un phonographe rose a seul des larmes dans la voix
près de la tente des consultations vétérinaires
Des grappes de souliers pendent à des poutrelles
plus incroyables aux regards bachkirs que les automobiles
ou pour toi que l'Anti-Dühring à l'éventaire du bouquiste
Le petit cheval n'y comprend rien
Au fait que disait-elle au début de ce poème
la voix aérienne qui saute à mesure qu'on s'en va
d'un pavilon vers l'autre et qui reprend l'antienne
sans laquelle un quelque chose assurément manque au panorama
Et les mots s'égrenaient à la fresque
immense
où dans un coin Détail un mammouth forgeron
regarde avec tendresse un tout petit Lénine en plâtre
Le petit cheval n'y comprend rien

Tu n'y comprends rien petit cheval
Est-ce que tu ne détestes pas à tes heures
le fouet et le goût qu'il donne à ton foin
Est-ce que tu n'as pas vu dans les villages
des hommes avoir faim près des vierges en or
Petit cheval ne presse pas ta course écoute
petit cheval les mots radiophoniques qui sont
la clé de ce rébus d'Oural écoute
petit cheval écoute bien

La
technique
dans la période
de reconstruction
décide
de
tout

Petit cheval petit cheval comprends-moi bien

Extrait de "Les amants de Magnitogorsk"

Magnitogorsk
La nuit est belle
Magnitogorsk
Est-ce toi

Magnitogorsk
Et si c'est elle
Magnitogorsk
Est-ce moi


Tout le ciel est à la jeunesse
et la jeunesse à l'avenir
L'avenir à chaque instant presse
le présent d'être un souvenir

Mais la jeunesse que nous sommes
marche avec l'étoile à son front
non dans le ciel des anciens hommes
mais sur la terre sans patrons

Chantons les nouvelles romances
d'une nouvelle passion
en gardant les travaux immenses
nés de la Révolution

C'est le printemps de notre classe
dont la fête est au premier Mai
Si je meurs qu'on me brûle et passe
car c'est la flamme que j'aimais

Mort je n'ai nul besoin de larmes
Prends notre enfant et mon fusil
Si retentit l'appel aux armes
Camarade femme vas-y

Magnitogorsk
La nuit est belle
Magnitogorsk
Est-ce toi

Magnitogorsk
Oui c'est bien elle
Magnitogorsk
Et c'est moi

Extrait de "Réponse aux Jacobins"

Je salue ici
ceux qui se mutinèrent au Chemin des Dames
en mil neuf cent dix-sept
Je salue ici
ceux qui surgirent de la boue avec
à la bouche un grand cri
et tournèrent
leurs armes du côté de la Marseillaise

Et ceux qui dirent Feu
sur eux
sont encore de ce monde

Je salue ici
les ouvrières de Saint-Étienne qui sesont couchées
en travers des rails pour arrêter les trains
porteurs d'hommes et d'obus cahotants de chants et de cocardes
et que les trains écrasèrent
Je salue ici
le Prolétariat contre la guerre
pour la transformation de la guerre
en Révolution
Je salue ici
l'Internationale contre la Marseillaise
Cède le pas ô Marseillaise
à l'Internationale car voici
l'automne de tes jours voici
l'Octobre où sombrent tes derniers accents

Les citations destinées à illustrer les commentaires, à mettre le lecteur "au parfum" et à l'inciter à la lecture de l'ouvrage entier.Elles ne prétendent en aucune manière rendre compte de tous les aspects de l'oeuvre.

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