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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982

Persécuté persécuteur Opinions et jugements
(1931)



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Opinions et jugements sur Persécuté persécuteur


Pierre Drieu la Rochelle (1931)

.... La plus récente petite vague révolutionnaire qui aura bousculé les cervelles d'écrivains semble sur le point de retomber. ..... Elle aura porté le seul Aragon jusque dans les revues de Moscou où sa signature délicate voisine maintenant avec celles plus épaisses de Barbusse et de Vaillant-Couturier. ..... On la trouve dans Littérature de la Révolution mondiale sous un poème intitulé Front Rouge, dont le texte est académique. L'atmosphère officielle tue aussi bien à Moscou qu'à Paris...

André Breton (1932) à propos de "Front rouge"

Nous avons dit que le "poème" était tel qu'en matière d'interprétation la considération de son sens littéral ne parvenait aucunement à l'épuiser, nous avons soutenu qu'il était abusif de prétendre l'identifier devant la loi à toute espèce de texte répondant au désir d'expression exacte, autrement dit mesurée et pesée de la pensée. dans le Manifeste du Surréalisme, j'ai tenu, au nom de la conception poétique que mes amis et moi nous avions, à dégager entièrement la responsabilité de l'auteur pour le cas où seraient incriminés certains textes de caractère "automatique" incontestable. Certes je ne prétends pas que le poème "Front rouge" réponde à la définition du texte "automatique" , mais, par contre, j'estime que la position poétique qui est déterminée à ce jour pour celle d'Aragon et qui se dégage des douze ou quinze livres qu'il a écrits ne peut en aucune façon être sacrifiée à l'agitation que d'aucuns trouvent opportun de mener autour d'un de ses poèmes dont ils font exceptionnellement un modèle de pensée consciente. Je dis que ce poème, de par sa situation dans l'oeuvre d'Aragon, d'une part, et dans l'histoire de la poésie, d'autre part, répond à un certain nombre de déterminations formelles qui s'opposent à ce qu'on en isole tel groupe de mots ("Camarades descendez les flics") pour exploiter son sens littéral alors que pour tel autre groupe ("Les astres descendent familièrement sur la terre") la question de ce sens littéral ne se pose pas. Qui oserait prétendre qu'en prose, au cours d'un article, Aragon se fût laissé aller à écrire: "Camarades, descendez les flics" alors qu'une telle injonction, d'ailleurs sans portée réelle, est contraire aux mots d'ordre mêmes du Parti Communiste? Il s'agit donc bien, dans l'esprit de la justice française, d'assimiler aujourd'hui au langage courant un langage tout particulier qui ne présente, avec celui-ci, aucune sorte de commune mesure.
C'est jouer à mon sens sur les mots que d'avancer que le poème "dépasse" en signification et en portée son contenu immédiat. Il échappe, de par sa nature, à la réalité même de ce contenu. Le poème n'est pas à juger sur les représentations successives qu'il entraîne mais bien sur le pouvoir d'incarnation d'une idée, à quoi ces représentations, libérées de tout besoin d'enchaînement rationnel, ne servent que de point d'appui. La portée et la signification du poème sont autre chose que la somme de tout ce que l'analyse des éléments définis qu'il met en oeuvre permettrait d'y découvrir et ces éléments définis ne sauraient à eux seuls, pour une si faible part que ce soit, le déterminer en valeur ou en devenir. S'il n'en était pas ainsi, il y a longtemps que le langage poétique se fût aboli dans le prosaïque et sa survivance jusqu'à nous, nous est le meilleur garant de sa nécessité.
Il est juste de tenir la poésie et la prose pour deux sphères nettement distinctes de la pensée, juste d'affirmer que les représailles dont on s'apprête à user contre la poésie constituent, de la part des pouvoirs bourgeois, une intrusion plus intolérable encore que les autres (il s'agit de juger rationnellement de choses par définition irrationnelles), une atteinte incomparablement plus arbitraire et plus profonde à la liberté de penser (dans un domaine où la façon de penser est inséparable de la façon de sentir).
Pour en revenir à "Front Rouge" , je me dois de déclarer qu'il n'ouvre pas à la poésie une voie nouvelle et qu'il serait vain de le proposer aux poètes d'aujourd'hui comme exemple à suivre, pour l'excellente raison qu'en pareil domaine un point de départ objectif ne saurait être qu'un point d'arrivée objectif et que, dans ce poème, le retour au sujet extérieur et tout particulièrement au sujet passionnant est en désaccord avec toute la leçon historique qui se dégage aujourd'hui des formes poétiques les plus évoluées. Dans ces formes, il y a un siècle (Cf. Hegel) le sujet ne pouvait déjà plus être qu'indifférent et il a même cessé depuis lors de pouvoir être posé a priori. Force m'est donc, considérant aussi le tour de ce poème, sa référence continuelle à des accidents particuliers, aux circonstances de la vie publique, me rappelant enfin qu'il a été écrit lors du séjour d'Aragon en U.R.S.S., de le tenir non pour une solution acceptable du problème poétique tel qu'il se pose de nos jours mais pour un exercice à part, aussi captivant qu'on voudra mais sans lendemain parce que poétiquement régressif, autrement dit pour un poème de circonstance.


A. Rolland de Renéville (1932)

Nous saisissons que toute poésie qui se résigne à rythmer l'action, et par conséquent à soumettre le pas du poète au pas de l'humanité, devient une poésie qui perd de vue ses possibilités bouleversantes, et se présente comme régressive par rapport aux expériences qui se placent avant elle.
Je ne puis, au regard de cette conviction, ne pas juger comme telle l'activité poétique dont M. Aragon nous soumet les effets dans son dernier ouvrage: la majorité des poèmes réunis sous le titre Persécuté persécuteur n'est vouée qu'à l'éloge d'une action politique précise, et se défend de tout effort qui ne s'achemine pas finalement à son triomphe. C'est assez dire que ces pages, d'allure révolutionnaire lorsqu'on les confronte à l'état de notre société, risquent de ne plus rien signifier le jour, sans doute proche, où le collectivisme aura régénéré notre économie et quelques-unes de nos conventions morales.
["Front rouge":] On eût ainsi pu reconnaître assez vite qu'il ne s'agissait pas d'un poème au sens où, depuis Baudelaire, notre esprit s'est accoutumé à comprendre ce mot, mais bien d'un morceau d'éloquence, élaboré en faveur d'une action particulière et de circonstance. Inquiéter M. Aragon à propos de Front rouge revenait à poursuivre un journaliste dont tel article tombait ce jour-là sous le coup d'une loi conservatrice. Chacun de nous peut réagir à sa manière contre une inculpation de cet ordre, mais il ne me paraît pas que Front rouge, qui n'est pas un poème, ait pu contraindre les écrivains à poser la question de la liberté du poète .
Il en eût été autrement si les écrits de M. Aragon, au lieu de rythmer l'action, eussent été en avant, comme le sont dans le domaine moral les poèmes de Baudelaire, ou sur le plan de la connaissance ceux de Stéphane Mallarmé.
La mise en accusation des Fleurs du Mal me paraît témoigner de la part des fonctionnaires de la police impériale d'un sens très aigu du danger qu'un vrai poète pouvait faire courir à la société, alors que la mise en cause de Front rouge tendrait à faire croire que le sens de la poésie se perd fâcheusement chez les gardiens de nos traditions républicaines.

Les quelques poèmes du recueil qui ne sont pas construits dans uns souci d'actualité, se rattachent aux expériences du surréalisme sur le contenu de la conscience, et son fonctionnement instructif. Le poète se pose un motif obsédant, autour duquel les phrases du poème s'organisent à la manière dont nait, à la façon de la chute d'une pierre dans l'eau, la foule des cercles. [...]
Toutefois M. Aragon se montre bientôt repris par son ambition d'être le poète d'une révolution particulière. Il tente encore une fois de rythmer l'action des masses contemporaines, et son livre se termine par un hymne au Guépéou qui devient, au regard prophétique de l'esprit, un hymne à la police.
La dernière page de ce livre fermé, je me suis mis à méditer, songeant que le vrai poète de la Révolution serait celui qui, devançant les conditions économiques et morales de son temps, imposerait par le coup de force du génie, des poèmes qui ne leur appartiendraient plus. S'il est vrai que la seule façon de mettre la Poésie au service de la Révolution est de la laisser à celui de la pensée, je m'assure que cette libération de l'homme, que les théoriciens du matérialisme annoncent, sans avoir le moyen d'en prévoir les aspects, se réalisera par avance dans l'esprit d'un être que la science du Verbe aura placé en dehors du rythme universel. Et c'est parce que les expériences de la Poésie lui permettront d'effectuer, dans un raccourci foudroyant, les lentes démarches de l'humanité, qu'il paraîtra devant les hommes comme un Voyant.

Stephen Spender (1933)

[...] Il me semble que, en dépit de son efficacité technique de ce poème cinématographique échoue, car elle ne convainc pas celui que l'écrivain sait pourquoi le prolétariat doit tuer et à opprimer l'exception de la bourgeoisie parce que la bourgeoisie est désormais oppression du prolétariat. Il présuppose l'existence d'une raison absolue dans le prolétaire qui rend ses atrocités glorieux que les atrocités de la bourgeoisie sont sordides. Pourtant, M. Aragon est beaucoup trop matérialiste bon d'expliquer ce que cela fait de l'absolue prolétaire est vraiment. La seule raison pour s'introduire dans le train semble être que
Nul ne reste derrière
Agitant des mouchoirs Tout le monde est en cours,
C'est-à-dire tous sauf ceux qui sont abattus pour ne pas aller. Ce poème est vraiment comme une menace beaucoup plus que de la propagande.
Si ce type de propagande n'a aucun effet du tout, je ne vois pas ce que cela peut être l'exception à la race aux gens une croyance superstitieuse en la nécessité de meurtres et de représailles. Cela me semble une simplification excessive. Il est si simple que, malheureusement, il est efficace. Avant la révolution, les intellectuels qui prêchent la violence qui leur a une signification purement picturale, mais après la révolution, ils sont horrifiés par les forces qu'ils ont lâché. Le bain de sang est un critère du communisme, Hitler est tout autant un communiste, comme M. Aragon, et son discours est encore plus efficace. La capacité intellectuelle d'Hitler et de ce poète semble à peu près identique. Le lecteur du poème devrait comparer avec tous les discours de Hitler.

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