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Opinions et
jugements sur Persécuté persécuteur
Pierre Drieu la Rochelle (1931)
.... La plus récente petite vague révolutionnaire qui
aura bousculé les cervelles d'écrivains semble sur le
point de retomber. ..... Elle aura porté le seul Aragon jusque
dans les revues de Moscou où sa signature délicate voisine
maintenant avec celles plus épaisses de Barbusse et de Vaillant-Couturier.
..... On la trouve dans Littérature de la Révolution
mondiale sous un poème intitulé Front Rouge, dont le
texte est académique. L'atmosphère officielle tue aussi
bien à Moscou qu'à Paris...
André
Breton (1932) à propos de "Front rouge"
Nous avons dit que le "poème" était tel qu'en
matière d'interprétation la considération de
son sens littéral ne parvenait aucunement à l'épuiser,
nous avons soutenu qu'il était abusif de prétendre l'identifier
devant la loi à toute espèce de texte répondant
au désir d'expression exacte, autrement dit mesurée
et pesée de la pensée. dans le Manifeste du Surréalisme,
j'ai tenu, au nom de la conception poétique que mes amis et
moi nous avions, à dégager entièrement la responsabilité
de l'auteur pour le cas où seraient incriminés certains
textes de caractère "automatique" incontestable.
Certes je ne prétends pas que le poème "Front rouge"
réponde à la définition du texte "automatique"
, mais, par contre, j'estime que la position poétique qui est
déterminée à ce jour pour celle d'Aragon et qui
se dégage des douze ou quinze livres qu'il a écrits
ne peut en aucune façon être sacrifiée à
l'agitation que d'aucuns trouvent opportun de mener autour d'un de
ses poèmes dont ils font exceptionnellement un modèle
de pensée consciente. Je dis que ce poème, de par sa
situation dans l'oeuvre d'Aragon, d'une part, et dans l'histoire de
la poésie, d'autre part, répond à un certain
nombre de déterminations formelles qui s'opposent à
ce qu'on en isole tel groupe de mots ("Camarades descendez les
flics") pour exploiter son sens littéral alors que pour
tel autre groupe ("Les astres descendent familièrement
sur la terre") la question de ce sens littéral ne se pose
pas. Qui oserait prétendre qu'en prose, au cours d'un article,
Aragon se fût laissé aller à écrire: "Camarades,
descendez les flics" alors qu'une telle injonction, d'ailleurs
sans portée réelle, est contraire aux mots d'ordre mêmes
du Parti Communiste? Il s'agit donc bien, dans l'esprit de la justice
française, d'assimiler aujourd'hui au langage courant un langage
tout particulier qui ne présente, avec celui-ci, aucune sorte
de commune mesure.
C'est jouer à mon sens sur les mots que d'avancer que le poème
"dépasse" en signification et en portée son
contenu immédiat. Il échappe, de par sa nature, à
la réalité même de ce contenu. Le poème
n'est pas à juger sur les représentations successives
qu'il entraîne mais bien sur le pouvoir d'incarnation d'une
idée, à quoi ces représentations, libérées
de tout besoin d'enchaînement rationnel, ne servent que de point
d'appui. La portée et la signification du poème sont
autre chose que la somme de tout ce que l'analyse des éléments
définis qu'il met en oeuvre permettrait d'y découvrir
et ces éléments définis ne sauraient à
eux seuls, pour une si faible part que ce soit, le déterminer
en valeur ou en devenir. S'il n'en était pas ainsi, il y a
longtemps que le langage poétique se fût aboli dans le
prosaïque et sa survivance jusqu'à nous, nous est le meilleur
garant de sa nécessité.
Il est juste de tenir la poésie et la prose pour deux sphères
nettement distinctes de la pensée, juste d'affirmer que les
représailles dont on s'apprête à user contre la
poésie constituent, de la part des pouvoirs bourgeois, une
intrusion plus intolérable encore que les autres (il s'agit
de juger rationnellement de choses par définition irrationnelles),
une atteinte incomparablement plus arbitraire et plus profonde à
la liberté de penser (dans un domaine où la façon
de penser est inséparable de la façon de sentir).
Pour en revenir à "Front Rouge" , je me dois de déclarer
qu'il n'ouvre pas à la poésie une voie nouvelle et qu'il
serait vain de le proposer aux poètes d'aujourd'hui comme exemple
à suivre, pour l'excellente raison qu'en pareil domaine un
point de départ objectif ne saurait être qu'un point
d'arrivée objectif et que, dans ce poème, le retour
au sujet extérieur et tout particulièrement au sujet
passionnant est en désaccord avec toute la leçon historique
qui se dégage aujourd'hui des formes poétiques les plus
évoluées. Dans ces formes, il y a un siècle (Cf.
Hegel) le sujet ne pouvait déjà plus être qu'indifférent
et il a même cessé depuis lors de pouvoir être
posé a priori. Force m'est donc, considérant aussi le
tour de ce poème, sa référence continuelle à
des accidents particuliers, aux circonstances de la vie publique,
me rappelant enfin qu'il a été écrit lors du
séjour d'Aragon en U.R.S.S., de le tenir non pour une solution
acceptable du problème poétique tel qu'il se pose de
nos jours mais pour un exercice à part, aussi captivant qu'on
voudra mais sans lendemain parce que poétiquement régressif,
autrement dit pour un poème de circonstance.
A. Rolland de Renéville (1932)
Nous saisissons que toute poésie qui se résigne à
rythmer l'action, et par conséquent à soumettre le pas
du poète au pas de l'humanité, devient une poésie
qui perd de vue ses possibilités bouleversantes, et se présente
comme régressive par rapport aux expériences qui se
placent avant elle.
Je ne puis, au regard de cette conviction, ne pas juger comme telle
l'activité poétique dont M. Aragon nous soumet les effets
dans son dernier ouvrage: la majorité des poèmes réunis
sous le titre Persécuté persécuteur n'est vouée
qu'à l'éloge d'une action politique précise,
et se défend de tout effort qui ne s'achemine pas finalement
à son triomphe. C'est assez dire que ces pages, d'allure révolutionnaire
lorsqu'on les confronte à l'état de notre société,
risquent de ne plus rien signifier le jour, sans doute proche, où
le collectivisme aura régénéré notre économie
et quelques-unes de nos conventions morales.
["Front rouge":] On eût ainsi pu reconnaître
assez vite qu'il ne s'agissait pas d'un poème au sens où,
depuis Baudelaire, notre esprit s'est accoutumé à comprendre
ce mot, mais bien d'un morceau d'éloquence, élaboré
en faveur d'une action particulière et de circonstance. Inquiéter
M. Aragon à propos de Front rouge revenait à poursuivre
un journaliste dont tel article tombait ce jour-là sous le
coup d'une loi conservatrice. Chacun de nous peut réagir à
sa manière contre une inculpation de cet ordre, mais il ne
me paraît pas que Front rouge, qui n'est pas un poème,
ait pu contraindre les écrivains à poser la question
de la liberté du poète .
Il en eût été autrement si les écrits de
M. Aragon, au lieu de rythmer l'action, eussent été
en avant, comme le sont dans le domaine moral les poèmes de
Baudelaire, ou sur le plan de la connaissance ceux de Stéphane
Mallarmé.
La mise en accusation des Fleurs du Mal me paraît témoigner
de la part des fonctionnaires de la police impériale d'un sens
très aigu du danger qu'un vrai poète pouvait faire courir
à la société, alors que la mise en cause de Front
rouge tendrait à faire croire que le sens de la poésie
se perd fâcheusement chez les gardiens de nos traditions républicaines.
Les quelques poèmes du recueil qui ne sont pas construits dans
uns souci d'actualité, se rattachent aux expériences
du surréalisme sur le contenu de la conscience, et son fonctionnement
instructif. Le poète se pose un motif obsédant, autour
duquel les phrases du poème s'organisent à la manière
dont nait, à la façon de la chute d'une pierre dans
l'eau, la foule des cercles. [...]
Toutefois M. Aragon se montre bientôt repris par son ambition
d'être le poète d'une révolution particulière.
Il tente encore une fois de rythmer l'action des masses contemporaines,
et son livre se termine par un hymne au Guépéou qui
devient, au regard prophétique de l'esprit, un hymne à
la police.
La dernière page de ce livre fermé, je me suis mis à
méditer, songeant que le vrai poète de la Révolution
serait celui qui, devançant les conditions économiques
et morales de son temps, imposerait par le coup de force du génie,
des poèmes qui ne leur appartiendraient plus. S'il est vrai
que la seule façon de mettre la Poésie au service de
la Révolution est de la laisser à celui de la pensée,
je m'assure que cette libération de l'homme, que les théoriciens
du matérialisme annoncent, sans avoir le moyen d'en prévoir
les aspects, se réalisera par avance dans l'esprit d'un être
que la science du Verbe aura placé en dehors du rythme universel.
Et c'est parce que les expériences de la Poésie lui
permettront d'effectuer, dans un raccourci foudroyant, les lentes
démarches de l'humanité, qu'il paraîtra devant
les hommes comme un Voyant.
Stephen Spender (1933)
[...] Il me semble que, en dépit de son efficacité technique
de ce poème cinématographique échoue, car elle
ne convainc pas celui que l'écrivain sait pourquoi le prolétariat
doit tuer et à opprimer l'exception de la bourgeoisie parce
que la bourgeoisie est désormais oppression du prolétariat.
Il présuppose l'existence d'une raison absolue dans le prolétaire
qui rend ses atrocités glorieux que les atrocités de
la bourgeoisie sont sordides. Pourtant, M. Aragon est beaucoup trop
matérialiste bon d'expliquer ce que cela fait de l'absolue
prolétaire est vraiment. La seule raison pour s'introduire
dans le train semble être que
Nul ne reste derrière
Agitant des mouchoirs Tout le monde est en cours,
C'est-à-dire tous sauf ceux qui sont abattus pour ne pas aller.
Ce poème est vraiment comme une menace beaucoup plus que de
la propagande.
Si ce type de propagande n'a aucun effet du tout, je ne vois pas ce
que cela peut être l'exception à la race aux gens une
croyance superstitieuse en la nécessité de meurtres
et de représailles. Cela me semble une simplification excessive.
Il est si simple que, malheureusement, il est efficace. Avant la révolution,
les intellectuels qui prêchent la violence qui leur a une signification
purement picturale, mais après la révolution, ils sont
horrifiés par les forces qu'ils ont lâché. Le
bain de sang est un critère du communisme, Hitler est tout
autant un communiste, comme M. Aragon, et son discours est encore
plus efficace. La capacité intellectuelle d'Hitler et de ce
poète semble à peu près identique. Le lecteur
du poème devrait comparer avec tous les discours de Hitler.