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La Semaine
sainte
Période de rédaction : Après le long silence
romanesque qui suit l'écriture des Communistes (1951), Aragon
fait une première tentative de roman historique. Le premier
(et unique chapitre) paraît dans le numéro des Lettres
françaises du n°601, le 5 janvier 1956, accompagné
de l'avertissement " Ce fragment constitue le premier chapitre
d'un roman en cours d'écriture, et qui n'a pas encore de titre
". Le personnage principal en est le sculpteur David d'Angers.
Ce chapitre, intitulé " Les Rendez-vous romains ",
sera publié tel quel comme nouvelle, dans Le Mentir-vrai en
1980. Ce projet est en effet assez vite abandonné, malgré
un important travail de documentation déjà effectué,
au profit d'un autre roman historique, dont le héros est le
peintre Théodore Géricault, autre artiste du XIXème
siècle : La Semaine sainte. Il est difficile de dater précisément
ce changement d'orientation. Aragon explique dans J'abats mon jeu
que La Semaine sainte a été écrit de 1955 à
1958 " (p.79). Il déclare cependant en 1968 dans Aragon
parle : " C'est en effet seulement en 1957-1958 que j'ai recommencé
à écrire un roman. "(p.154). On peut donc situer
prudemment l'écriture de La Semaine sainte entre 1956 (où
le roman prévu puis abandonné est indiqué comme
étant en cours d'écriture) et 1958 (l'achevé
d'imprimer date du 16 octobre 1958).
Editions : Gallimard, 1958,
collection Blanche, 1 tome, édition originale. Achevé
d'imprimer : le 16-10-1958 / Le Livre de poche, 2 tomes, 1970 / Gallimard,
collection "Folio", 1 tome, 1998 (disponible) / uvres
romanesques croisées d'Elsa Triolet et Aragon, 42 volumes,
Robert Laffont, 1964-1974, tomes 29 et 30.
Remarque : L'emploi de la majuscule à l'adjectif " sainte
" dans le titre du roman peut varier chez les critiques et chez
Aragon même.
Contenu : On a coutume de distinguer, dans l'uvre d'Aragon,
trois périodes qui seraient départagées par le
Monde Réel : il y aurait l'avant (essentiellement les textes
dadaïstes et surréalistes) et l'après (à
partir de La Mise à mort, en 1965). Atypique dans cette catégorisation
(la position d'Aragon quant à la place de ce roman dans ou
hors du Monde Réel est ambiguë), La Semaine sainte (1958)
se trouve à l'entre-deux de deux esthétiques romanesques.
L'avertissement au lecteur (" Ceci n'est pas un roman historique
") nie son appartenance au roman historique ; cependant le texte
s'enracine dans un contexte historique finement reconstitué,
avec une minutie absolument remarquable qu'ont louée les historiens
lors de sa parution (voir Émile Henriot, " La Semaine
Sainte d'Aragon ", Le Monde du 17 décembre 1958.).
Le titre renvoie en effet d'abord à La Semaine Sainte 1815
: la semaine du dimanche 19 mars au samedi 25 mars 1815 pendant laquelle,
Napoléon débarquant de l'île d'Elbe et remontant
inexorablement vers Paris, Louis XVIII, le roi podagre, s'enfuit vers
la Belgique avec sa Maison. Le lecteur erre ainsi à la suite
du roi et des siens, traversant villes et villages dans un drôle
de voyage qui confine à la débâcle. Chemin faisant,
on est amené à rencontrer toutes les figures marquantes
de l'Empire, converties à la cause bourbonnienne (de nombreux
maréchaux d'Empire par exemple), mais aussi celles de la monarchie,
comme le duc de Berry ou le comte d'Artois, futur Charles X. Il faut
noter d'ailleurs la véritable empathie du scripteur pour la
plupart des personnages, quel que soit leur camp.
Cependant, le fil conducteur dont tient lieu ce voyage chaotique serait
un peu confus, s'il n'était resserré par un personnage
essentiel, le peintre Géricault, engagé dans la Maison
du Roi. Géricault introduit une (sinon la) question essentielle
chez Aragon : qu'est-ce qu'un artiste, et pourquoi, pour qui créer
? La Semaine sainte poursuit ainsi une interrogation commencée
de longue date sur la peinture et les peintres, en particulier les
peintres réalistes du XIXème siècle ( voir par
exemple " Géricault et Delacroix ou le réel et
l'imaginaire ", Les Lettres françaises n°500, 21 janvier
1954) et certains peintres du XXème ( voir Henri Matisse, roman).
Le roman se lit donc aussi comme une quête initiatique de Théodore
Géricault, qui finit par comprendre, à la fin du voyage,
et du roman, ce qu'il doit faire de sa peinture.
Quête initiatique, qui prend parfois des allures violemment
autobiographiques, en particulier dans des passages d'une force singulière
où le narrateur se désigne comme auteur, et revendique
la place du personnage. Du coup, traversé qu'il est par des
zones de turbulence qui promènent le lecteur au travers du
temps, le roman historique se propulse au XXème siècle,
en 1940, pendant la drôle de guerre, en 1958, pendant l'actualité
de l'écriture
Le jeu sur le temps se double bien entendu
du jeu sur l'espace, et le lecteur est transporté de Bamberg
en Russie pour revenir à Paris et en repartir aussitôt.
Il retrouve aussi les thèmes fantasmatiques qui hantent Aragon
depuis longtemps : le corps fragmenté, le meurtre, la chute,
l'eau, le rêve... Mais leur contenu varie et s'enrichit ici
d'un nouveau sens, en particulier grâce à l'inscription
d'autres lieux et d'autres figures spécifiques de ce roman.
Si une telle complexité, une telle profondeur et une telle
richesse sont possibles, c'est parce l'écriture adopte une
vision kaléidoscopique, celle-là même que permet
la pratique parenthétique (définie comme poétique
dans Henri Matisse, roman, voir p.150-151, tome II). Les parenthèses,
constituant la véritable armature du roman, permettent au scripteur
de juxtaposer un certain nombre de scènes qui font sens l'une
par rapport à l'autre, et dont le fil conducteur visible est
à la fois l'arrière-plan chronologique (le déroulement
de cette semaine) et le parcours initiatique de Géricault,
le seul personnage constant du roman.
La Semaine sainte ne propose donc plus une vision univoque et définitive
du monde et des hommes, mais part à la recherche d'une réalité
historique difficilement saisissable. La Semaine sainte, entre Monde
Réel et derniers romans, est bien le lieu où s'approchent
autrement les deux moteurs de l'écriture et de la vie d'Aragon
jusque-là, l'Histoire et l'amour. Le parcours des personnages
du roman, celui de Géricault comme celui de ces autres personnages
principaux que sont Bernard, Olivier, Berthier, Fabvier... en constitue
l'illustration. Chacun d'eux traverse, à un moment ou à
un autre, un passage - une parenthèse - où se joue/se
dessine son destin, à l'intersection d'un double fil conducteur
: celui qui lie un individu aux autres individus -l'Histoire -, celui
qui le lie à un autre - l'amour. Le soleil sur lequel s'achève
le roman n'a plus valeur historique ou amoureuse mais artistique :
le peintre arrive au bout d'un itinéraire initiatique et quitte
la débâcle noyée d'eau un jour de beau soleil
pour un destin laissé ouvert, dont Aragon tait la fin tragique.
Avec La Semaine sainte, l'écriture
devient chez Aragon un art du doute.
Études
et articles de référence :
ENTRETIENS, INTERVIEWS, COMMENTAIRES D' ARAGON
" Aragon nous parle de son dernier roman ", interview par
Marianne Milhaud, Heures Claires du 10 janvier 1959.
" Rencontre avec Aragon 58 ", interview par Gabriel d'Aubarède,
Les Nouvelles Littéraires n°1637, 15 janvier 1959.
J'abats mon jeu, Les Éditeurs Français Réunis,
1959 (p. 45-102 ; p.134-173).
Entretiens avec Francis Crémieux, Gallimard, 1964 (entretiens
diffusés sur France-Culture entre octobre 1963 et janvier 1964)
(p.101-102).
Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers, 1968 (p.119-122 ; p.154-155).
" Il faut appeler les choses par leur nom (fragment) ",
1967, préface à La Semaine sainte pour les ORC, T.29
(Aragon y reprend en partie un texte de 1959 publié dans J'abats
mon jeu et termine sur une note de 1967).
OUVRAGE COLLECTIF
Histoire/Roman : La Semaine sainte d'Aragon, Aix-en-Provence, Université
de Provence, 1988 (Actes du colloque de septembre 1987).
ETUDES ET ARTICLES DE REFERENCE
Apel-Muller, Michel, " La problématique de la nation ",
Lendemains 9, 1978.
Apel-Muller, Michel, " De la Semaine Sainte à la Pentecôte
", Europe n°717-718, janvier- février 1989.
Bégon, René, La Semaine Sainte d'Aragon : approches
sémiotiques d'une somme romanesque, publié par l'Association
des Romanistes de l'Université de Liège et l'Institut
provincial d'Études et de Recherches bibliothéconomiques,
Liège, 1978.
Béguin, Édouard, " La genèse de Simon Richard
d'après le dossier manuscrit de La Semaine Sainte : problèmes
et hypothèses ", RCAET n°1, 1988.
Cabanis, José, " La Semaine Sainte ", Elsa Triolet
et Aragon, Europe n°454-455, février-mars 1967.
Dang Tran, Jacqueline, " La Semaine sainte ou la passion selon
Aragon ", Recherches Croisées Aragon/Elsa Triolet, n°3,
1991.
Dang Tran, Jacqueline, " 1956, l'arrière-texte de La Semaine
sainte ", Aragon 1956, Aix-en-Provence, Université de
Provence, 1992.
Henriot, Émile, " La Semaine Sainte d'Aragon ", Le
Monde, 17 décembre 1958.
Lance-Otterbein, Renate, " Les originaux de La Semaine Sainte
du Fonds Elsa Triolet-Aragon ", RCAET n°1, 1988.
Chiassai, Marc, Aragon, peinture, écriture : la peinture dans
l'écriture des Cloches de Bâle à La Semaine sainte,
Kimé, 1999
Lévi-Valensi, Jacqueline, " L'Histoire et le "mentir-vrai"
dans La Semaine sainte ", Récit et histoire, études
réunies par Jean Bessière, PUF, 1984.
Limat-Letellier, Nathalie, Le Vertige de la fiction dans les derniers
romans d'Aragon : vers une théorie de l'écriture, thèse
de doctorat, sous la direction de Marie-Claire Dumas, Université
de Paris VII, 1990.
Mayer, Hans, " Style et vision du monde : le Temps dans La Semaine
Sainte ", La Nouvelle Critique n°129, septembre-octobre 1961.
Mistler, Jean, " La Semaine Sainte ", L'Aurore du 18 novembre
1958.
Principalli, Patricia, " Le personnage d'Alexandre Berthier dans
La Semaine sainte ", Recherches Croisées Aragon/Elsa Triolet
n°5, 1994.
Principalli, Patricia, " Les illustrations de La Semaine sainte
pour les uvres romanesques croisées ", Lire Aragon,
Champion, 2000.
Principalli, Patricia, La Semaine sainte d'Aragon : un roman du "
passage ", L'Harmattan, 2000.
Ravis-Françon, Suzanne, " Temps historique et temps romanesque
dans La Semaine sainte ", Revue d'histoire littéraire
de la France, Armand Colin, mai-juin 1975.
Ravis-Françon, Suzanne, Temps et création romanesque
dans l'uvre d'Aragon, thèse de doctorat d'Etat, sous
la direction de Henri Mitterand, Université de la Sorbonne
Nouvelle-Paris III, 1991.
Simon, Daniel, " La révolution au miroir de l'imaginaire
: relire La Semaine sainte ", La Pensée n°259, sept-octobre
1987.
Taslitzky, Boris, " Géricault, héros de roman ",
La Nouvelle Critique n°102, janvier 1959.
Victor, Lucien, " Aragon romancier au témoignage des manuscrits
", Recherches Croisées Aragon/Elsa Triolet n°2, 1989.