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Louis Aragon
Neuilly sur Seine, 1897 - Paris, 1982

Des mots et des bijoux : un épisode bref
mais méconnu de la vie du couple
Elsa Triolet-Louis Aragon


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Des mots et des bijoux : un épisode bref
mais méconnu de la vie du couple
Elsa Triolet-Louis Aragon

Tu faisais des bijoux pour la ville et le soir

Tout tournait en collier dans tes mains d'Opéra

J'allais vendre aux marchands de New York et d'ailleurs

de Berlin de Rio de Milan d'Ankara

Ces joyaux faits de rien sous tes doigts orpailleurs

Louis Aragon

Quand Elsa Triolet rencontre Louis Aragon au bar La Coupole le 6 novembre 1928 à Paris, elle a 32 ans. Née en Russie, elle y effectue des études d'architecture et y côtoie les milieux littéraires d'avant-garde et notamment le poète Vladimir Maïakovski qui devient le compagnon de sa sœur Lili. Elle quitte l'Union Soviétique en 1918 pour épouser son premier mari, un officier français, André Triolet et séjourne d'abord avec lui à Tahiti. Après son divorce, elle vit à Londres, Berlin... avant de s'installer à Paris où elle a pour voisins Marcel Duchamp, Picabia... Elle a fait ses débuts en écriture, en russe, sur les conseils de Gorki.

Louis Aragon a 31 ans. Il est déjà un écrivain et poète reconnu, a fondé avec André Breton le mouvement surréaliste, mais ne peut vivre encore complètement de ses écrits. Le jeune couple est dans une situation financière difficile.

Alors en 1930 quand le directeur d'un magazine américain remarque le collier qu'Elsa porte au cou qu'elle a elle-même fabriqué et la recommande auprès des grands couturiers, c'est la possibilité pour eux de gagner de l'argent et pouvoir écrire. Mais c'est aussi de nouveaux métiers qu'il faut vite appréhender : pour elle "parurière" et "façonnière", pour lui : représentant en commerce.

Après des débuts difficiles et laborieux, le succès et les commandes des grands couturiers – Poiret, Molyneux, Lelong, Schiaparelli... – puis des sociétés d'import-export affluent. Elsa travaille dur. Elle court les fournisseurs, invente de nouveaux modèles, les essaye elle-même, les propose puis en fonction des commandes, les façonne. Leur petit appartement se transforme en atelier d'art, les "perles" sont partout, mais l'argent rentre.
Pourtant en 1933, Elsa arrête tout. Les colliers, bol d'air financier au début, sont devenus étouffants.

La métamorphose d'Elsa
Cet épisode très bref de la vie du couple peut paraître anecdotique. En fait, il aura une influence certaine sur leur inspiration (poèmes d'Aragon, nouvelles d'Elsa...), et surtout il est indirectement le déclencheur de la métamorphose d'Elsa d'écrivaine russe en écrivaine française. En effet, Elsa, ayant, en russe, tiré un récit de son expérience d'artisan d'art – Colliers – tente de le faire publier en URSS. "Une sorte de récit sur les petits métiers de Paris, sur le Sentier, l'artisanat, les escaliers de service de la Haute-Couture, les acheteurs étrangers, sur l'"industrie souriante" de Paris, sur l'alchimie de son luxe". Censurée, elle prend la mesure qu'elle est devenue une étrangère en Russie aussi et prend la décision, d'abord secrètement, "de migrer de langue".

Dans le domaine de l'histoire de la littérature, les colliers ont permis la naissance d'une nouvelle écrivaine française ; dans celui de l'histoire de la mode, ils paraissent comme novateurs et très originaux.

"Ces joyaux faits de rien"
Qu'est-ce qu'un bijou de haute couture ? de la pacotille, du toc. Depuis le début du XXe siècle, le bijou de mode qui accompagne une tenue, la rehausse n'est plus un travail d'orfèvrerie, réalisé en pierres et métaux précieux. Il doit certes embellir, surprendre mais autrement que par le somptueux. Il se distingue aussi du "bijou fantaisie" plus par sa réalisation, exclusivement "fait main" et par sa finalité que par son esthétique. Il confère aux créations des stylistes une touche de panache, d'extravagance chic qui lui donne souvent un côté décalé, parfois kitsch, souvent baroque et participe en cela à la magie du rêve. Il est entièrement créé par le parurier et réalisé par le façonnier. C'est une véritable création, un artisanat d'art.

De 1930 à 1933, Elsa Triolet est donc parurière et façonnière. Ses créations se caractérisent par une originalité et une grande diversité des matériaux et des formes : noix de coco, os, pâte à papier mâchée, métal, strass, nacre, porcelaine, perles, bakélite... mais aussi de façon plus inattendue cuir ou boules de cotillon !

Ouvrons la valise à compartiments qu'Aragon emmenait avec lui pour démarcher les sociétés d'exportation...

Les bijoux d'Elsa à Saint-Etienne-du-Rouvray

Par la volonté d'Aragon, les colliers se trouvent aujourd'hui à Saint-Etienne-du-Rouvray, en hommage à une des toutes premières bibliothèques Elsa-Triolet de France
.

C'est en effet en 1949 que Raymonde Lefebvre, jeune militante stéphanaise de l'Union des Femmes Françaises, rencontre Elsa Triolet lors d'un congrès du mouvement à Marseille. C'est l'époque où l'écrivaine se lance dans la "Bataille du livre", mouvement initié par le PCF en faveur de la création de bibliothèques en direction des milieux ouvriers et populaires. Impressionnée par le discours d'Elsa Triolet, Raymonde Lefebvre crée avec au départ 142 livres la toute première bibliothèque de la ville au quartier du Madrillet. Les contacts épistolaires se poursuivent entre les deux femmes. Elsa puis Aragon, après le décès de celle-ci en 1970, ne cesseront de veiller sur l'évolution et les déménagements de cette première bibliothèque Elsa-Triolet, offriront de nombreux livres. En 1981, Jean Ristat au nom d'Aragon remet la fameuse valise et 47 modèles de bijoux à l'œuvre de madame Lefebvre. En 1987 la bibliothèque Elsa-Triolet reconstruite de neuf et l'ensemble de ses fonds deviennent municipaux.

Ces bijoux ont été exposés de nombreuses fois ; d'abord en 1972 lors d'une grande rétrospective Elsa Triolet à la Bibliothèque nationale à Paris, puis à Saint-Etienne-du-Rouvray à plusieurs reprises en 1987, 1996... Depuis quelques années, ils sont très demandés par les musées. La Ville en a prêté à l'occasion d'une exposition au Musée de la Mode à Paris sur la créatrice Elsa Schiaparelli. Récemment, ils étaient en Belgique au Grand-Hornu pour une autre exposition consacrée aux bijoux de haute couture... Mais les colliers sont fragiles, certains nécessiteraient une restauration... Devant l'intérêt grandissant qu'ils suscitent et dans l'attente de leur présentation, la Ville a souhaité rendre au public son patrimoine grâce à une exposition virtuelle.


À LIRE DANS LES BIBLIOTHÈQUES
• Les Paruriers, le livre de l’exposition du musée du Grand-Hornu consacrée aux bijoux de la haute couture, de Florence Müller et Patrick Sigal. Il existe une version anglaise de cet ouvrage, aux éditions Fonds Mercator.
• Colliers, dans les Œuvres romanesques croisées d’Elsa Triolet et Louis Aragon, tome XL, Elsa Triolet y raconte cet épisode de sa vie, les grands couturiers, les petits façonniers.
• Les biographies consacrées à Elsa Triolet de Dominique Desanti ou Lily Marcou.
• Tous ses romans : Le premier accroc coûte 200F, Bonsoir Thérèse, Le rossignol se tait à l’aube, Les amants d’Avignon, Luna park, L’âge de nylon, Roses à crédit, Le cheval roux, Le monument…

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