Rembrandt
Harmenszoon Van RIJN (1606 - 1669)
Un
autoportrait reconsidéré. 1640.
Peu d'artistes modernes
ont éxécuté autant d'autoportraits que Rembrandt.
(excepté le cas, presque symbolique, de cet autre hollandais:
Vincent Van Gogh). Cette étude perpétuelle de sa propre
physionomie répond chez Rembrandt à un intérêt
autobiographique marqué et à une foi persévérante
dans l'unicité. Dans ses premiers autoportraits, le peintre expérimente
des expressions changeantes, jouant sur l'échelle des émotions
affectives et des réactions physionomiques jusqu'à la
grimace. Dans sa période de mâturité toutefois,
Rembrandt s'assagit pour s'orienter vers des autoportraits plus conventionnels
allant au-delà de l'expression spontanée du corps. Celui
de 1640, conservé à la National Gallery de Londres est
peut-être le plus beau et le plus emblématique d'une personnalité
riche et complexe. Description :
Rembrandt
s'est représenté de profil, le corps tourné de
trois quart vers la droite et la tête un peu plus orientée
vers le spectateur, sur lequel se fixe son regard. Il pose son bras
droit sur un rebord parallèle au plan du tableau avec son avant-bras
gauche caché derrière lui. Rembrandt est habillé
dans un costume typique Renaissance, la tête couverte d'un chapeau
de fourrure aux bords retournés et décoré de
petites chaînes de cordes. Sous le pourpoint, il porte une chemise
fine et plissée avec les bords brodés autour du cou.
Une bordure de fourrure entoure le col du pourpoint. La figure est
située devant un fond neutre et capte la lumière venant
de gauche .
Le sujet
:
Cet
autoportrait (Fig.1) au regard scrutateur a été peint
en 1640 et révèle chez Rembrandt un travail méticuleux,
la préparation ayant été entièrement recouverte
de couleurs lisses mêlées les unes aux autres. Dans un
tableau plus ancien, mais beaucoup plus tumultueux dans sa construction
: le festin de Balthazar , Rembrandt avait joué sur les contrastes
engendrés par les différentes épaisseurs de peinture
: dans cet autoportrait , le seul effet qu'il s'autorise au niveau
de la texture consiste juste à suggérer les cheveux
frisés situés derrière le cou en grattant la
peinture fraîche avec l'extrémité du pinceau.
L'oeuvre
révèle un raffinement du détail
Fig.1 : Rembrandt Harmenszoon
Van RIJN (1606 - 1669).
Autoportrait à l'âge de 34 ans. 1640.
Huile sur toile, 90 x 75 cm. Signée et datée en bas
à droite
: Rembrandt. f 1640. Londres,
The National Gallery.
aussi
bien dans le visage soigneusement dessiné que dans le col,
le pourpoint et la chemise avec cette manière libre de peindre
les bruns et les gris dans un chatoiement de lumière, soulignant
les contours pour transcrire le volume. L'ensemble donne une peinture
homogène dans laquelle le visage de l'artiste apparaît
dans une lumière adoucie et pénétrante.
Le bras appuyé
sur la balustrade soulève de nombreuses questions chez les
esthéticiens et les historiens d'art. Cette balustrade ne peut
être envisagée comme un point de départ annonçant
un mouvement mais plutôt comme une base, un appui pour la construction
du tableau. Ce n'est pas un trompe-l'oeil destiné à
nous faire croire que le personnage nous regarde depuis un balcon
ou à travers l'encadrement d'une fenêtre (genre d'illusion
qu'on trouve fréquemment dans la peinture hollandaise notamment
dans les oeuvres de Frans Hals). Ici il fournit une sorte de support
au personnage réprésenté qui se détache
ainsi avec plus de vigueur. L'effet incarne une balance subtile entre
atmosphère et plasticité à laquelle Rembrandt
aspirait à cette époque.
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Il
avait déjà expérimenté ce genre de pose
particulière dans un autoportrait gravé à l'eau-forte
en 1639 (voir Fig.2). On retrouve également ce bras appuyé
sur une balustrade dans d'autres portraits que Rembrandt a peint en
1640-1641. Comment ne pas songer au portrait de Nicolaas van Bambeeck
dont le regard énigmatique évoque le mystère
de ce drapier d'Amsterdam (Musée des Beaux Arts de Bruxelles,
inv.155) ou bien au portrait de Hermann Doomer (Metropolitan Museum,
New York).
Fig.2. : Rembrandt Harmenszoon
Van RIJN (1606 - 1669)
Autoportrait appuyé sur un rebord de pierre.
Gravure à l'eau forte, 1639.
20,5 x 16,4 cm. Signée et datée
: Rembrandt. f 1639. (Deux
états). 2è état.
Amsterdam, Rijksprentenkabinet.
Dans
cet autoportrait , la référence italienne à Raphaël
et à Titien est évidente et mérite une attention
et une comparaison plus scrupuleuse. En effet cette composition s'inspire
en grande partie de deux portraits de la Renaissance que Rembrandt
avait aperçu à Amsterdam chez un marchand d'art et collectionneur
portugais : Alfonso Lopez. Celui-ci avait acquis le portrait de Balthazar
Castiglione (Fig.3) lors d'une vente publique à Amsterdam en
avril 1639. Rembrandt, qui assistait à la vente, avait eu le
temps d'éxécuter un croquis à la plume du portrait
de Castiglione peint par Raphaël. On retrouve dans l'autoportrait
de Rembrandt (Fig.1) ce chapeau ample et foncé qui délimite
le visage de Castiglione chez Raphaël, cette même intensité
du regard et une association subtile de bruns, de noirs et des tons
gris.
Toutefois
l'emprunt de Rembrandt à Titien est encore plus manifeste.
Ce portrait d'homme par Titien (Fig.4, National Gallery, Londres)
dont l'identification au poète l'Arioste est érronée,
pourrait bien être le jeune Titien lui-même proclamant
ses convictions et ses aspirations artistiques. On reconnaît
dans l'autoportrait de Rembrandt la pose identique du bras sur l'entablement,
la manche bouffante à la riche étoffe et cette lumière
diaphane qui dans les deux tableaux vient de gauche pour éclairer
le profil du visage, enfn à l'arrière-plan cette même
atmosphère vaporeuse et diffuse.
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En
revêtant un costume Renaissance, Rembrandt se représentait
en gentilhomme ou en courtisan et poursuivait le but non avoué
d'être reconnu par le public comme un artiste de talent à
l'égal des maîtres de l'école florentine.
Mais Rembrandt souhaitait aussi porter le débat sur la querelle
entre poésie et peinture pour défendre la corporation
des artistes plasticiens, qui ne jouissaient pas des mêmes droits
civiques et juridiques que les poêtes aux Pays-Bas. Dans le
reflet de cette pose inhabituelle, ellaborée avec ce costume
ancien qui tranche avec les autoportraits des années 1630 ,
doit-on voir un désir de promotion sociale ou un dédommagement
imaginatif pour les
Fig.3. RAPHAËL (Raffaëllo
Sanzio, 1483 - 1520, dit)
Portrait de Balthazar Castiglione
c.1514-1515. Huile sur toile, 82 x 67 cm
. Paris, Musée du Louvre.
crises
affectives subies ? Peut-être les deux à la fois...
Enfin
cette oeuvre au symbolisme complexe laisse entrevoir l'expressionpensive
de Rembrandt, à travers l'utilisation du clair-obscur. La lumière
vient ourler avec insistance une suite d'horizontales, traçant
une diagonale, qui subtilement, anime cette composition statique.
Cette lumière tamisée, assourdie devient inhérente
à la personnalité de Rembrandt et fait partie de "l'ambiance"
qui imprègne tout le tableau. Elle place l'artiste en face
de son devenir, de son énigme et de ses aspirations sociales
au vrai. Le regard n'est plus qu'une interrogation plastique.
Fig.4.: TITIEN (Tiziano
Vecello,
(actif vers 1506 - c.1576 , dit).
Portrait d'homme. c.1512.
Huile sur toile, 81 x 66 cm.
Londres, The National
Gallery.
Ph.
DAVAL-KLEIN.
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