Jan
Van Eyck Peintre
flamand (v. 1395-1441), frère d'Hubert, peintre également. On leur
attribue familièrement l'invention de la peinture à l'huile. Cette
technique existait avant les frères Eyck, mais ils sont parvenus à
déployer, avec une science et un génie jamais égalés,
la capacité unique à reproduire le réel de cette technique
à peine naissante. Leur apport au développement de cette technique
nouvelle aurait consisté surtout dans la mise au point d'huiles ou de vernis
siccatifs permettant de réduire le temps de séchage du médium.
Le génie et les innovations techniques des frères Van Eyck, dont
la part est souvent difficile à distinguer sur les grands retables qui
ont fondé leur gloire, ont irradié partout en Europe, jusqu'en Italie
où les Vénitiens ont eu tôt d'abandonner la fresque, peu adaptée
au climat humide de leur ville, au profit de la peinture à l'huile en prenant
pour exemple l'art méticuleux des flamands. Notice
biographique d'Eugène Müntz publiée dans la Grande Encyclopédie
(1885-1902) EYCK (Hubert
et Jean Van), célèbres peintres flamands du XVe siècle, les
fondateurs de l'École de Bruges
et les inventeurs du procédé de peinture à l'huile qui remplaça
la peinture «a tempera». Tout est mystère dans la vie des frères
Van Eyck, aussi bien que dans l'histoire de l'invention à laquelle ils
ont attaché leur nom. On ignore la date de leur naissance et jusqu'à
leur nom de famille. On sait seulement qu'ils étaient originaires d'Evck-sur-Meuse,
près de Maastricht. Ils prirent le nom de Hubert Van Eyck, c.-à-d.
Hubert d'Eyck et Jean Van Eyck, comme ils auraient pu prendre celui de Hubert
ou de Jean de Bruges, dénomination sous laquelle le plus jeune des frères
est souvent désigné. La gloire de Jean a longtemps relégué
dans l'ombre celle de son frère. C'est une injustice contre laquelle il
faut protester. Hubert Van Eyck naquit vers 1366; il mourut en 1426, ainsi à
l'âge de soixante ans, si la date que l'on assigne à sa naissance
est exacte. Jean Van Eyck naquit en 4380, peut-être plus tôt; il mourut,
d'après M. Weale, le 9 juil. 1440, seize ans après son frère.
Une sur, Marguerite, semble s'être également exercée
dans la peinture. Il en a été probablement de même d'un troisième
frère, nommé Lambert. Où ces artistes, qui devaient imprimer
un si vigoureux essor à leur art, firent-ils leurs études? Quels
furent leurs débuts? Ce sont des problèmes que tout l'effort de
la critique moderne n'a pu résoudre jusqu'ici. La biographie d'Hubert tient
en trois lignes. Ce qu'il y a de plus important à y relever, c'est qu'en
1424 le magistrat de Gand se rendit à son atelier pour y examiner le tableau
auquel l'artiste travaillait. Selon toute vraisemblance, Hubert mourut lorsque
son chef-d'uvre et celui de son frère, l'Adoration de l'Agneau mystique,
était à peine ébauché. Les critiques d'outre-Rhin
ont échafaudé hypothèses sur hypothèses au sujet de
la part que les deux frères ont eue à cette uvre gigantesque.
Ils ont déterminé les têtes peintes par chacun d'eux. Tout
cela est de la fantaisie pure; le seul témoignage certain que nous ayons,
c'est celui de l'inscription tracée sur le retable, et il est fort vague.
«Le peintre Hubert Van Eyck, y est-il dit, plus grand que tous ceux qui
l'avaient précédé, a commencé cet ouvrage, que Jean
son frère, le second dans son art, a achevé (en 1432) à la
prière de Jodocus Vyd...» Même incertitude au sujet de l'invention
de la peinture à l'huile. Cette matière était employée
longtemps avant les Van Eyck comme véhicule pour les couleurs. Les pièces
comptables du Moyen Âge en font mention à tout instant, et le moine
Théophile, dans sa Schedula diversarum artium (ch. xxvii du liv. I), lui
consacre un chapitre spécial. Mais si les Van Eyck n'ont pas inventé
le procédé, ils l'ont notablement perfectionné et comme renouvelé,
probablement en substituant une huile siccative ou un vernis siccatif aux huiles
précédemment en usage. Jean Van Eyck, le frère d'Hubert,
est mentionné pour la première fois en 1424, dans les registres
de la corporation des artistes de Gand. En 1422, il se trouve à La Haye,
au service de Jean de Bavière, l'ancien évêque de Liège.
Le nom de Philippe le Bon, le fils de Jean sans Peur et le père de Charles
le Téméraire, est intimement lié au sien. En 1424-1425, ce
prince prit à son service l'artiste alors déjà célèbre
et lui accorda une pension annuelle de 100 livres, avec le titre de peintre ducal
et de valet de chambre. Dès l'année suivante, il le chargea de faire
pour lui «certain pèlerinage» ou «certain lointain voyage
secret». Ainsi Van Eyck, deux siècles avant Rubens, était
désigné par ses souverains pour remplir les plus délicates
missions diplomatiques. À partir de son établissement à Bruges,
les faveurs de Philippe le Bon ne cessent de pleuvoir sur l'artiste. Vers 1432,
le duc vient visiter dans son atelier unouvrage auquel il travaillait et à
cette occasion fait don à ses « varlets », c.-à-d. à
ses élèves, de 25 sols. L'Adoration de l'Agneau mystique, le chef-d'uvre
des Van Eyck et le manifeste de la primitive école flamande, se compose:
1° d'un panneau central, lui-même divisé en quatre: dans le haut,
à gauche, la Vierge, au milieu, le Père éternel, à
droite, saint Jean-Baptiste; dans le bas, occupant toute la largeur du panneau,
l'adoration de l'Agneau; 2° des deux volets de gauche, renfermant dans le
haut des anges chantant et Adam debout à côté d'eux; dans
le bas une troupe de chevaliers; 3° des deux volets de droite, renfermant
dans le haut des anges jouant de divers instruments et Ève debout à
côté d'eux; dans le bas un groupe d'ermites. Sur l'extérieur
sont peints l'Annonciation, les prophètes Zacharie et Michée, deux
Sibylles, saint Jean-Baptiste et saint Jean l'Évangéliste, enfin
les portraits des donateurs. L'ensemble comprend près de trois cents figures.
Aujourd'hui l'église Saint-Bavon de Gand ne possède plus que la
partie centrale. Les volets sont entrés au musée de Berlin, à
l'exception des figures d'Adam et d'Ève qui ont été acquises
par le musée de Bruxelles. Que l'on considère la technique ou la
conception, l'Adoration de l'Agneau mystique marque une révolution capitale
dans les données de la peinture, révolution analogue à celles
qu'opéraient en Italie, vers la même époque, des novateurs
tels que Gentile da Fabriano, Pisanello, Masaccio. Pour la première fois
depuis des siècles, un artiste s'était de nouveau appliqué
à peindre le plein air et à ajouter à la beauté de
l'homme celle de la nature. Il n'y a plus rien de gothique dans ces personnages:
ils portent, la plupart, il est vrai, le costume du temps, mais ils sont libres
dans leurs attitudes, leurs gestes, l'expression de leurs traits. Quant au paysage,
il est à la fois frais et précis, lumineux, limpide et profond.
Les Van Eyck y laissent éclater leur ardent amour pour la nature qui célèbre
ici tous ses triomphes, tantôt dans un éblouissant tapis de verdure
émaillé de violettes, de marguerites et de muguets, d'un effet prodigieux,
tantôt dans ces superbes bosquets de rosiers en fleur, dans cette végétation
luxuriante, presque méridionale, dominée par un palmier. L'Adoration
de l'Agneau mystique est l'uvre commune d'Hubert et de Jean Van Eyck. Une
série d'autres peintures des Madones et des portraits sont
dues à Jean seul; ce maître semble, en effet, s'être exercé
de préférence dans les tableaux de chevalet. Étant donné
le fini prodigieux de ses peintures, il est tout naturel que Jean Van Eyck n'ait
pas laissé un uvre très considérable: une demi-douzaine
de Madones, autant de portraits, tel est le bagage avec lequel il se présente
devant la postérité: c'en est plus qu'il ne faut pour lui assurer
l'immortalité. Une des plus saisissantes de ces Madones est celle du salon
carré, au musée du Louvre (commandée pour la cathédrale
d'Autun par le chancelier Rolin, qui y est représenté agenouillé
devant la Vierge). Tout est extraordinaire dans ce tableau: la gravité
de la mère et de l'enfant, qui paraît vieillot à force d'être
sérieux, la richesse du coloris, le tour de force de fini et de perspective
qui a fait tenir des centaines de personnages dans la ville placée au fond
(d'après les uns ce serait une vue de Bruges, d'après les autres,
une vue de Lyon). Une autre Madone, celle du musée de Dresde frappe
à la fois par son coloris éblouissant et par la solennité
de l'impression, tandis que le réalisme, un réalisme qui va jusqu'à
la brutalité, triomphe dans la Vierge de saint Donat (1436, à l'Académie
de Bruges).Comme portraitiste, Jean Van Eyck est hors de pair: seuls Raphaël,
Dürer, Holbein, Velasquez, Van Dyck, Rembrandt et, parmi les modernes, Louis
David, peuvent se mesurer avec lui. Ses effigies ont à la fois la précision
et la vérité, je veux dire cette vérité d'un ordre
supérieur, grâce à laquelle la reproduction textuelle d'une
physionomie déterminée devient un caractère, un type. Un
des plus anciens d'entre ces portraits est le petit buste du Vieillard au turban,
à la National Gallery de Londres (1433); il se distingue par sa finesse
et sa légèreté. D'autres sont plus saisissants, celui-ci
est plus spirituel. L'année suivante a vu naître un autre portrait
également conservé à la National Gallery, la double effigie
connue sous le titre de Couple de jeunes mariés (portrait d'un marchand
florentin fixé à Bruges Arnolfini et de sa femme).
Le morceau a tout l'importance d'un tableau d'histoire. Le plus populaire des
portraits de Jean Van Eyck est l'Homme à l'illet, au musée
de Berlin. Aucune épithète ne saurait traduire la sûreté
avec laquelle cette tête est modelée, la précision avec laquelle
tout est rendu, jusqu'aux moindres rides de cette face parcheminée. La
vivacité de l'expression, presque inquiétante et impertinente à
force de liberté et de vie, n'est pas moins digne d'admiration. Le portrait
de la Femme de Van Eyck, à l'Académie de Bruges, n'a pas le même
relief, mais gagne néanmoins l'estime des connaisseurs par l'implacable
fidélité avec laquelle l'artiste a fixé les imperfections
du visage pauvre, froid et aigre de celle qui fut sa compagne. Les Van Eyck comptèrent
pour élèves ou pour tributaires tous les peintres flamands et allemands
du XVe siècle, les Rogier Van der Weyden, les Bouts, les Memling, les Van
der Goes, les Wolgemut, les Scliongauer, etc. Seules de ce côté-ci
des Alpes, les écoles de Tours et de Cologne surent conserver une certaine
indépendance. Leur influences'étendit jusqu'à l'Italie, où
leurs tableaux se vendaient au poids de l'or et où Antonello de Messine
propagea leur nouveau procédé de peinture. Dans sa Philosophie de
l'art dans les Pays-Bas, M. Taine a résumé avec autant de netteté
que de force les caractères de la révolution qui a immortalisé
les frères Van Eyck : «Une renaissance flamande sous des idées
chrétiennes, des personnages vivants et des corps; un relief saisissant,
des scènes s'imposant à l'il et à l'esprit avec une
force et une solidité d'assiette extraordinaires, le coloris le plus fort
et le plus riche qui fût; jamais, des tableaux d'autel ou d'oratoire, s'adressant
à des fidèles pour leur suggérer la figure du monde surnaturel
ou les émotions de la piété intime, un concert où
chaque instrument donne toujours tout le son dont il est capable, d'autant plus
juste qu'il est plus éclatant. »
EUGÈNE
MÜNTZ, article «Van Eyck», t. 16, La Grande Encyclopédie,
Paris, 1882-1902
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