Edgar Hilaire Germain De Gas

1873 / 1917

"le maitre du contre-jour"

Peintre, sculpteur, graveur français
«L’art n’est pas un amour légitime ; on ne l’épouse pas, on le viole.»

Degas et la Photographie


La photographie fut pour Degas une activité tardive, limitée dans le temps mais qui présente le caractère singulier de nous plonger au coeur de ce qui a fait sa vie d'artiste. C'est bien ainsi que les auteurs du catalogue ont conçu leur projet en essayant de définir au mieux le caractère exceptionnel d'un ensemble réduit à une quarantaine d'oeuvres dont certaines avaient été montrées chez Tasset, son marchand, sans écho apparemment, malgré les recherches de Th. Reff. Les soirées photographiques chez les Halévy, 22, rue de Douai, celles du salon Manet, 40, rue de Villejust, les séances de l'atelier 37, rue Victor-Massé, de la bibliothèque du 23, rue Ballu, les scènes de plein air de Saint-Valéry et de La Queue, les documents relatifs à des oeuvres comme le fameux Nu se séchant, plus des témoignages sur des oeuvres perdues, voilà, entre l'été 1895 et 1896, les différents moments de cet engouement soudain. L'analyse ne peut venir que d'une prise en compte complète des différents enjeux de la photographie, en particulier de sa relation avec les données biographiques qui déclenchent le phénomène. Le voyage à Carpentras auprès de son ami Valernes, proche de sa fin, l'envoi d'un appareil à sa soeur Marguerite à Buenos Aires, plusieurs déclarations indiquent clairement que la photographie répond à un besoin affectif intense. Avoir quelque chose. Elle est aussi l'instrument d'une tristesse à laquelle Degas veut se confronter avec ses propres armes. S'il y a mélancolie, le terme signifie surtout chez Degas une terrible volonté. Daniel Halévy disait de lui qu'il était presque toujours dissatisfait. Le terme peut s'appliquer à un médium qu'il aborde avec l'audace d'un néophyte, informé des derniers développements de la technique, et la claire conscience de ses objectifs qui ne correspondent pas du tout à ceux de l'époque. On n'en attendait pas moins de lui. Le blanc et noir fut sa passion, même si le terme demande à être précisé s'agissant d'un Degas. Les commentaires permettent en effet d'avoir une certaine idée sur ce qu'il entendait par là: un excès analogue à la pratique des maîtres. "Mes noirs étaient trop poussés, mes blancs ne l'étaient pas assez, alors les uns et les autres étaient simplifiés comme chez les maîtres." Cette exigence que révèlent les séances de pose et l'utilisation des lampes ne doit pas exclure la lucidité particulière de Degas pour l'obscur. Ce vers quoi son art se dirige au prix, comme l'indique Malcolm Daniel, d'un processus de recadrage et d'agrandissement qui permet d'envisager une analogie avec la pratique du monotype ou du pastel. Il suffit de comparer la parodie de "L'apothéose d'Homère" enregistrée par Barnes lors du séjour à Dieppe et l'autoportrait avec Zoé pour comprendre comment Degas a pu serrer la pose en fonction de la lumière, transposant la substance de ses autoportraits de jeunesse, et surtout inventer une ambivalence entre l'art et la photographie si on accepte un instant de voir en Zoé Closier une bonne en place de la muse ingresque à laquelle certains peuvent penser. Il ne s'agit pourtant que de Degas, mais avec tout son rêve d'art et de gloire en voie d'homérisation, si on peut parler ainsi pour quelque chose d'aussi noble. Sur cette intensité obtenue par la photographie en tant que telle, il est clair que l'artiste avait son idée; il la risquait au prix d'accidents. Le cas des "photographies doubles" résultant d'une erreur consistant à exposer la plaque une deuxième fois à 90°, créant ainsi une "salade" de visages et de tableaux est présenté de façon prudente comme un raté amusant conservé dans l'album des Halévy. L'esprit Halévy saisi par Degas qui, rappelons-le, collabora au décor de La Cigale où il réalisa le fameux tour du tableau recouvert de mousse. Cette erreur est aussi une sorte de photographie de la photographie: "Rien en art ne doit ressembler à un accident, même le mouvement", disait-il. Autre élément d'intérêt, les photographies de Louise Halévy, notamment celle où elle est censée faire la lecture du journal. Étonnant motif, pris comme indice banal d'une intimité quasi familiale, à laquelle on ajoutera tout ce que peut signifier le journal pour Degas sans exclure ce que l'on sait, hélas, de la rupture à venir avec les Halévy. Comme toujours, la photographie joue son rôle de révélation mais Degas dirige cette fonction de manière quasi exclusive sur la dimension de l'art. Quand elle finit par s'y confondre au plus près, et c'est le cas avec "Danseuse le bras tendu" ou "Nu se séchant", on a le sentiment qu'elle achève son travail aveugle et que Degas a obtenu d'elle à la fois le possible et ce qui ne l'a pas été. Le "Renoir et Mallarmé" du 16 décembre 1895 représente à cet égard le chef-d'oeuvre de Degas auquel il reste toujours la solution des Mille et Une nuits.